Saïd Bouamama : «La France est une puissance économique en voie de secondarisation» (II)

France grèves
La situation sociale en France est intenable. D. R.

Sociologue algérien et auteur de plusieurs ouvrages, Saïd Bouamama nous donne son analyse sur les buts réels de l’entité sioniste en Palestine et au Moyen-Orient. Pour le fondateur du Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP), l’Etat sioniste souhaite créer les conditions pour une coalition internationale contre l’Iran au nom d’une pseudo-lutte antiterroriste. Interview.

Algeriepatriotique : La France, jadis respectée et puissante, n’a plus de voix sur la scène internationale et semble au bord de l’explosion à en juger par certains médias français qui parlent d’une dette abyssale qui pourrait atteindre 3 600 milliards d’euros en 2027.  Comment en est-elle arrivée là ?

Saïd Bouamama : La France est une puissance économique en voie de secondarisation. Deux mutations structurelles de l’économie mondiales sont venues bousculer ses bases historiques de puissance. La première est la disparition de l’URSS et avec elle de l’ensemble des équilibres issus de la Seconde Guerre mondiale. Un des effets en a été la réunification allemande faisant de la RFA la principale puissance européenne. Il en a découlé un changement de rapport de force au sein de l’Union européenne, faisant de celle-ci une superstructure déterminée par les besoins du capital allemand. La seconde mutation est le développement des puissances émergentes et en particulier de la Chine qui conduit à une ouverture du champ des possibles en matière de partenariat économique pour tous les pays du Sud Global. Les parts de marché particulièrement lucratives héritées de l’histoire ont fondu devant cette nouvelle concurrence, les accès garantis aux matières premières se sont raréfiés, les prétentions néocoloniales sont devenues de plus en plus insupportables pour un grand nombre de pays auparavant «chasse gardée» de Paris.

En outre, la dynamique politique française s’est centrée à partir de la décennie quatre-vingts sur l’instrumentalisation et la diabolisation de la question de l’immigration qui a été construite politiquement et médiatiquement comme responsable de tous les maux de la société française. Il en a découlé une instabilité politique structurelle sur fond de montée permanente de l’extrême droite et de montée de la colère sociale (Gilets jaunes, mouvements contre la réforme des retraites, explosion des quartiers populaires après l’assassinat raciste du jeune Nahel, etc.).

Enfin, la France a été confrontée à une nouvelle phase du mouvement de libération nationale tant dans ses colonies que dans ses néocolonies. Concernant les premières, nous assistons aux effets délétères de la division des Comores condamnée par les Nations unies, à la radicalisation de la lutte du peuple kanak pour son indépendance, à la prépondérance des indépendantistes dans les institutions de la Polynésie dite «française», etc. Concernant ses néo-colonies, la situation n’est guère meilleure. Les coups d’Etat patriotiques au Mali, au Niger, au Burkina Faso et la victoire électorale de Bassirou Diomaye Faye au Sénégal font perdre à Paris le contrôle d’une région entière, tant sur le plan de l’accès à certaines matières premières que sur le plan géostratégique. Plus largement encore, le sentiment d’une ingérence paternaliste et néocoloniale est de plus en plus insupportable pour de nombreux syndicats, associations ou partis africains. Tous ces facteurs entremêlés expliquent l’entrée de la France dans un processus de secondarisation à l’échelle mondiale.

Comment décririez-vous le climat social actuel en France ?

La situation sociale en France est celle d’une colère rentrée ne trouvant pas de canaux d’expression politique efficaces. Les manœuvres du gouvernement pour ne pas prendre en compte le verdict des urnes des dernières législatives accroissent une crise de légitimité et de crédibilité déjà largement entamée avec des mouvements sociaux massifs à succession de plus de cinq ans. L’absence de majorité viable au Parlement met à la fois le gouvernement en situation de dépendance vis-à-vis de l’extrême-droite et rend impossible toute politique cohérente à long terme. L’engagement atlantiste dans la guerre en Ukraine, à l’opposé des intérêts objectifs d’une partie importante des industriels français, a en outre un double effet pesant. Le premier est de grever le budget national par des dépenses d’armement en explosion et le second est une facture énergétique en hausse importante. Le second effet est la fermeture d’une partie non négligeable des marchés des alliés de Moscou. Tous ces facteurs susciteront inévitablement une pression fiscale grandissante sur les classes populaires alimentant encore plus les colères sociales.

Une fois le président Tebboune réélu, Emmanuel Macron a dépêché sa conseillère à Alger pour transmettre un message aux autorités algériennes fâchées depuis le revirement inattendu de Paris dans le dossier sahraoui. Pensez-vous que les différends pourront être dépassés sachant que l’Algérie ne cédera pas sur cette très sensible question ?   

La question du Sahara n’est pas une question secondaire qui peut se dépasser simplement par des concessions de forme. Elle s’inscrit dans une question plus vaste qui est celle du rôle de la monarchie marocaine dans les stratégies occidentales de contrôle de l’Afrique du Nord et avec elle d’une partie importante du continent africain. Ce rôle n’est rien d’autre que de faire du Maroc la tête de pont des intérêts occidentaux, en général, et Etats-Unis, en particulier, dans cette région. C’est ce rôle qui explique les relations économiques avec la monarchie marocaine, le processus de normalisation du Maroc avec Israël, l’offensive économique et diplomatique du Maroc en Afrique subsaharienne en couverture des intérêts occidentaux touchés par le discrédit grandissant de la France, etc. Les pressions sur l’Algérie ne peuvent dans cette logique que grandir pour que celle-ci s’aligne sur l’agenda de reconquête occidental après des décennies de recul devant la montée de la logique multipolaire en Afrique. De la déstabilisation «djihadiste» à la montée des tensions avec le Maroc, en passant par l’instabilité régionale, les outils mobilisables pour faire pression et contraindre à l’alignement sont nombreux.

La France est en difficulté en Afrique, et sa présence dans ce continent est confrontée à un rejet croissant, notamment de ses anciennes colonies. Son influence se décline. Cherchera-t-elle un autre moyen pour se maintenir et renforcer son activisme au Sahel ? Si oui, a-t-elle quelque chose à se reprocher dans lévasion des 200 terroristes de la prison de Niamey ? 

Frantz Fanon expliquait déjà que jamais une puissance coloniale ne cédait ses sources de profits volontairement et sans tenter de les reconquérir. Il en est de même aujourd’hui. Toute l’histoire de la Françafrique témoigne de la multitude de moyens mobilisés par la France après les indépendances pour maintenir les liens de dépendance de ses anciennes colonies : manipulations électorales, appuis à des coups d’Etat, interventions militaires, pressions économiques, etc. Il n’y a aucune raison que cela s’arrête aujourd’hui. La documentation en ma possession ne permet pas d’affirmer une responsabilité française dans l’évasion de Niamey. Cela dit, celle-ci n’est pas dénuée de toute probabilité compte tenu de cette longue histoire d’ingérence en Afrique.

L’Afrique est décrite comme la nouvelle zone de bataille entre Occidentaux. Des puissances étrangères et certains pays arabes se battent pour y maintenir leur domination et sans se soucier de la situation chaotique qui y règne, chose qui constitue une menace directe pour la sécurité et l’intégrité territoriales de l’Algérie. Pouvez-vous nous dire ce qui se passe exactement au Sahel ?

Le Sahel est un couloir stratégique permettant le contrôle d’au moins la moitié du continent africain et de ses richesses énormes. Déjà, au moment de la décolonisation, cette primauté stratégique était avérée. En témoigne le projet français de création d’un nouvel Etat, une sorte de «Sahelistan», regroupant le Sud algérien et le Nord-Mali. Il en a coûté au peuple algérien plusieurs années de guerre supplémentaires, Paris tentant d’imposer dans les négociations une indépendance sans le Sahara. Seules la fermeté du FLN sur cette question dans les négociations, d’une part, et la solidarité panafricaine du président malien Modibo Keita, d’autre part, ont fait échouer cette stratégie française. La destruction barbare de la Libye est venue réenclencher une séquence d’instabilité dans la région propice à toutes les manipulations et parmi elles à la «manipulation djihadiste». C’est pourquoi les coup d’Etat patriotiques du Niger, du Mali et du Burkina Faso sont de bonnes nouvelles. C’est pourquoi, également, ces changements de régime ont été accueillis favorablement par les peuples en dépit de la forme «coup d’Etat». Ces ruptures dans l’ordre régional expriment une recherche d’une voie vers la stabilité, la souveraineté et la rupture avec la dépendance néocoloniale en opposition au chaos généré par la destruction de la Libye et au caractère néocolonial des liens de ces pays avec Paris. Chacun de ces nouveaux régimes est différent et correspond à des réalités nationales spécifiques mais tous sont le résultat d’une volonté de sortie du chaos qui ne profite qu’à des puissances extérieures.

Le Mali accuse l’Algérie d’ingérence et, explicitement, de soutenir les groupes terroristes qui frappent son territoire. Qu’est-ce qui se cache derrière les provocations maliennes ? 

Le Mali et l’Algérie sont objectivement, étant donné leur situation géographique, dans une communauté de destin, partageant une frontière de 13 300 km au cœur du Sahara qui est un terrain propice à toutes les déstabilisations. C’est pourquoi les accusations maliennes à la tribune de l’ONU ne sont de l’intérêt ni du peuple malien ni du peuple algérien. Les deux pays sont, en outre, l’objet de tentatives de déstabilisation qui seront d’autant plus déjouées que les stratégies de réponse seront coordonnées. L’intérêt commun exige que les contradictions secondaires soient traitées entre les deux parties et non sur la scène internationale où plusieurs tiers acteurs ont intérêt à envenimer la situation. Il existe de fait des désaccords de tactiques sur la question de la lutte «anti-djihadiste» et sur la question des Touareg, qui ne peuvent se résoudre qu’en prenant en compte la «communauté de destin» qui s’impose aux deux parties. Faire autrement, c’est tout simplement ouvrir la porte à des ingérences extérieures d’acteurs politiques trop contents de pouvoir reprendre pied sur un terrain perdu.

Le monde vit une crise économique brutale avec la multiplication de conflits militaires de haute intensité. S’achemine-t-on vers une troisième guerre mondiale ?

Nous sommes à un nouveau tournant de l’histoire mondiale. L’hégémonisme états-unien est confronté à une aspiration à la multipolarité inédite et imprévue. Cette aspiration convergente est loin d’être homogène. Elle regroupe des acteurs et des Etats de natures différentes, des régimes politiques hétérogènes, des classes sociales diverses, des idéologies officielles contradictoires. Ce qui les fait converger, c’est le refus commun du système mondial actuel, de ses institutions économiques internationales, des ingérences et sanctions des puissances occidentales, en général, et des Etats-Unis en particulier. La classe dominante états-unienne et ses alliés européens tentent par tous les moyens de préserver l’ancien ordre des choses et font ainsi courir le risque d’une troisième guerre mondiale. Celle-ci est d’ailleurs d’ores et déjà enclenchée dans des guerres locales qui se multiplient de l’Ukraine à la Palestine après les guerres de balkanisation de l’Irak, de la Libye, de la Syrie, etc. Ce constat étant posé, les peuples ne sont jamais impuissants face au danger d’une guerre généralisée. Sans doute est-il temps de faire émerger un mouvement mondial de la paix capable de s’opposer partout à la montée du péril.

Interview réalisée par Kahina Bencheikh El-Hocine

(Suite et fin)

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