Une contribution de Julie Jauffrineau – Emmanuel Macron ou l’effort du chaos
Une contribution de Julie Jauffrineau – Si le monde nous semble chaotique, les discours du président français le sont tout autant. D’affirmations en revirements de situation, la duplicité des discours du président ne leurre plus personne. Les mots perdent leur sens à mesure qu’il les agite. Paix, cessez-le-feu, droit international. Derrière les séduisants éléments de langage, le «pays des droits de l’Homme» ne convainc plus personne sur la scène internationale. Des discours de paix déconcertants pour l’Ukraine à la soudaine reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental, en passant par les discours équilibristes sur la situation au Moyen-Orient, les déceptions s’accumulent, l’hypocrisie indigne et le fil menace de rompre.
La paix par la guerre
Le temps où Macron nous était présenté comme le premier président européen à rencontrer Poutine, au début de l’entrée en guerre de la Russie contre l’Ukraine, est dépassé. On a cru voir ressurgir la puissance négociatrice de la France. Ça n’a été qu’un sursaut. Désormais, le gouvernement français prône la paix pour l’Ukraine par la force. «Je vais devoir envoyer des mecs à Odessa», il faut «mettre en échec la Russie», «rendre [sa] victoire impossible» ; la France fournira «un soutien sans limites» à l’Ukraine ; «Nous cherchons la paix. La France saura joindre ses forces à celles de tous les partenaires sincères». Singulière façon de protéger la population civile ukrainienne que de la contraindre à mourir au combat !
Côté diplomatie, plus rien ne va. Outre le non-renouvellement de l’agrément diplomatique d’Alexander Makogonov, le porte-parole de l’ambassade de Russie en France – qui n’est autre qu’une expulsion – comment ne pas s’indigner face à l’éviction de la Russie lors du Sommet de «haut niveau» sur la paix en Ukraine, en juin dernier ? Alors que la France s’y est rendue fièrement, la Chine, au contraire, s’en est offusquée. Elle n’a pas vu l’intérêt d’un tel déplacement. Quelle paix envisager entre la Russie et l’Ukraine en l’absence du principal acteur concerné ?
Ce n’est pas en nourrissant le cercle vicieux des armes que le conflit sera résolu. Ce n’est pas non plus à travers des discours de paix inconsistants que la France restituera la souveraineté de l’Ukraine et regagnera le respect international. Pour que tout cesse, la France ferait mieux de favoriser les négociations entre la Russie et les Etats-Unis, car ces derniers refusent pour l’heure tout compromis et utilisent l’Ukraine pour contenir leur adversaire. En attendant, la paix souhaitée pour l’Europe n’est que poudre à canon.
Courbez l’échine et retrouvez votre souveraineté
Les paradoxes du gouvernement ne s’arrêtent toutefois pas à l’Ukraine. Lors de la dernière Assemblée générale des Nations unies, Emmanuel Macron disait, en parlant de la Russie : «Quand je vois certains vouloir proposer la paix en demandant la capitulation, je m’étonne qu’on puisse même soutenir une telle idée.» N’est-ce pourtant pas ce qu’il propose pour le Liban ?
Ce 24 octobre, lors de la Conférence internationale de soutien à la population et à la souveraineté du Liban, le président français aura émis beaucoup de regrets, condamné les attaques du Hezbollah et promis l’aide humanitaire attendue. Mais en aucune manière il n’a condamné Israël pour ses innombrables attaques contre le Liban et sa population. Il a affirmé le soutien de la France à l’ONU, pour assurer le retour de la paix dans le pays, sans même évoquer les bombardements israéliens contre la FINUL où plusieurs casques bleus ont trouvé la mort. Il a appelé au cessez-le-feu, sous condition que le Hezbollah respecte la résolution 1701 de l’ONU, en omettant de dénoncer les plus de cinquante résolutions de l’ONU, émises à l’encontre d’Israël et bafouées par l’Etat hébreux. Enfin, il propose le renforcement de l’armée libanaise, aujourd’hui désarmée et à la merci des faveurs de l’Occident, une fois le cessez-le-feu acté et le Hezbollah démantelé. C’est-à-dire qu’il demande au Liban de se défaire de sa puissance dissuasive et de se plier aux volontés d’Israël pour retrouver sa liberté et sa pleine souveraineté. L’absurdité ne pouvait être plus totale. Dans combien d’années l’Occident acceptera-t-il que l’armée libanaise renforce sa puissance militaire, y compris aérienne, pour acquérir une force de dissuasion ? Le Sud du fleuve Litani sera-t-il encore libanais ? Le Liban s’appellera-t-il alors Israël ?
Dès lors, quand Emmanuel Macron soutient que «la guerre ne doit permettre aux forces du chaos de l’emporter, ni au Liban ni nulle part ailleurs», on peut se demander qui il désigne. Israël ? Le Hezbollah ? L’Axe de la Résistance ? Macron considère le général de Gaulle comme son grand inspirateur. Au lieu de prendre en héritage son charisme et sa défense de la souveraineté de la France, il n’a retenu que la verve élusive du «Je vous ai compris» ! Sans savoir qui sont ces «forces du chaos» désignées par le président français, on retiendra l’effort du chaos auquel Macron lui-même prend activement part.
Le droit international, un recours à géométrie variable
Tout récemment, nous avons pu noter un nouvel exploit du président français, que dénonce la Ligue des droits de l’Homme. Emmanuel Macron a pris la décision de reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental. Sans concertation, ni vote parlementaire, il a renversé la position française concernant cette région qui, depuis 1963, est inscrite sur la liste des territoires à décoloniser. Il a supplanté l’ONU, pour le plus grand plaisir de Mohammed VI. Le peuple sahraoui l’a-t-il vu d’un même œil ?
Cette dernière prise de position piétine le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. La Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental (Minurso) a pourtant été créée dans ce but, en 1991. En l’occurrence, en l’absence d’un référendum – jusqu’à présent rejeté par le Maroc, par peur d’un vote sahraoui en faveur de l’indépendance –, les pays qui reconnaissent la souveraineté de la royauté sur ce territoire non autonome dénigrent la voix des Sahraouis et violent le droit international. C’est notamment le cas des Etats-Unis et d’Israël, premiers Etats à l’avoir fait, fin 2020, lors de la première administration Trump, en échange de la normalisation des relations entre Rabat et Tel-Aviv. Le «deal du siècle» d’après Donald Trump.
Pour la France, renforcer le pouvoir colonial du Maroc permet, d’une part, de s’octroyer toute la sympathie de la royauté pour exploiter les immenses ressources dont regorgent les sous-sols du Sahara Occidental, dans le mépris du peuple sahraoui. Les entreprises françaises, telles que TotalEnergies et Engie, ont pu profiter du récent voyage de Macron au Maroc pour signer de nouveaux contrats juteux. D’autre part, on pourrait considérer que cette prise de décision a pour objectif sous-jacent de légitimer la souveraineté de la France sur la Nouvelle-Calédonie. Cet autre territoire, plongé dans le Pacifique, est également inscrit sur la liste des territoires non-autonomes et à décoloniser, à l’instar du Sahara Occidental. Et les référendums pour l’indépendance de ce territoire restent actuellement controversés.
Finalement, pour Macron, le recours au droit international – ou plutôt à l’«ordre fondé sur des règles» – est une arme politique agitée au gré des intérêts géopolitiques. S’il permet de justifier la guerre contre la Russie, il le brandit. S’il contraint Israël à respecter les droits des peuples palestinien et libanais, il l’élude. Et s’il complique le pillage des ressources, il l’enfouit. A retourner sans cesse sa veste, tout en se détournant du droit international, le Président français a perdu toute crédibilité. Pire encore, il nuit aux intérêts géopolitiques du pays.
Combien de temps faudra-t-il encore pour que ce cirque cesse ? Car tout cela n’est qu’un spectacle joué par de mauvais acteurs qui se voudraient croire gardiens de la raison, perdus en pleine hybris. Pour en finir avec le chaos, la France doit chercher des solutions diplomatiques aux conflits, affermir ses positions par des actions concrètes, et défendre le respect du droit international de manière inconditionnelle.
J. J.
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