Un Etat-machine
Par A. Boumezrag – Il fut un temps où la France se gouvernait. Avec des hommes d’Etat – parfois brillants, souvent opportunistes –, des débats houleux, des visions politiques – et même, soyons fous, une ambition nationale. Mais ce temps-là semble révolu. Aujourd’hui, l’Hexagone n’est plus dirigé : il est géré. Comme un logiciel en veille, il tourne en boucle, applique ses routines, corrige quelques bugs mineurs… et redémarre en cas de crash.
Regardez bien : qui gouverne réellement ? Un président technocrate qui ajuste les curseurs de la communication ? Une opposition plus occupée à tweeter qu’à proposer ? Un Parlement réduit à une chambre d’enregistrement ? En réalité, la vraie mécanique du pouvoir ne repose plus sur des individus, mais sur un système, un enchevêtrement de structures administratives, de décisions automatisées et d’intérêts verrouillés.
Les crises s’enchaînent – inflation, retraites, révoltes sociales – et pourtant, rien ne change vraiment. La réponse est toujours la même : un rapport d’experts, une loi bricolée, un plan d’action jamais appliqué. Peut importer le problème, l’algorithme s’autocorrige, ajuste ses variables et attend que l’orage passe.
On nous répète que l’Etat doit être «efficace», «agile», «moderne». En réalité, il est devenu un centre de gestion des flux : flux budgétaires, flux migratoires, flux sécuritaires. Chaque ministère ressemble désormais à une startup du CAC 40 : processus optimisés, gestion sous PowerPoint, décisions prémâchées par des consultants qui facturent au slide.
Un problème ? Un logiciel n’a ni vision ni courage. Il se contente d’exécuter ses lignes de code, d’éviter les erreurs fatales, de maintenir l’équilibre. Pas d’audace, pas de refonte, juste de la maintenance corrective.
Bien sûr, on vote encore. Tous les cinq ans, l’interface utilisateur change légèrement. On modifie la couleur des boutons, on rafraîchit le slogan («Tout devient possible», «La France forte», «Choisir l’avenir»), mais le moteur reste le même. Les électeurs espèrent une mise à jour majeure… et se retrouvent avec un simple patch de sécurité.
La vraie gouvernance est ailleurs : dans les grandes institutions non élues (Bruxelles, Bercy, le Conseil d’Etat), dans les multinationales qui fixent les règles du jeu, dans les algorithmes financiers qui dictent les politiques budgétaires.
Mais voici le hic : un système automatisé, ça fonctionne… jusqu’à ce que ça plante. L’histoire ne tolère pas l’inertie éternelle. Un jour, un grain de sable enraye l’engrenage : une révolte imprévue, une crise hors norme, une faillite institutionnelle. Et là, plus personne pour relancer la machine.
La France sous pilotage automatique ? Oui, mais jusqu’à quand ?
«Un Etat qui ne sait plus où il va, mais qui accélère quand même.» (Inspiré de Paul Valéry).
Un Etat sans cap, sans pilote, mais toujours en mouvement : voilà la France de 2025. Une machine qui avance par inertie, où les décisions se prennent par défaut, où chaque crise est gérée comme un simple bug à corriger avant de reprendre le programme habituel.
Mais l’histoire est cruelle avec ceux qui refusent d’évoluer. Un système automatisé peut tourner longtemps, mais jamais éternellement. A force d’éteindre les alarmes au lieu de réparer les circuits, on finit par foncer droit dans le mur. Et ce jour-là, il ne restera plus qu’une question : y avait-il vraiment un pilote… ou juste un écran figé ?
Moralité, les Etats meurent comme les logiciels : d’abord ils ralentissent, puis ils plantent et, enfin, plus personne ne sait comment les redémarrer.
A. B.
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