Quand la voleuse de subventions parle d’esclavage : réponse à une diversion
Une contribution de Khaled Boulaziz – Il y a quelque chose de savoureux – et de profondément indécent – à entendre les héritiers du pillage moral s’improviser comptables de l’histoire. A commencer par Marine Le Pen, dont les discours sur la mémoire nationale sont aussi lustrés que les dossiers poussiéreux de ses fraudes européennes. Oui, celle-là même qui, tout en se réclamant du peuple, s’est servie à pleines mains dans les caisses du Parlement européen pour salarier ses fantômes politiques. Pirate sans vergogne, elle a levé l’ancre au nom de la nation, mais a jeté ses filets dans les eaux troubles de l’indemnité indue.
Un rapport de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a révélé que Marine Le Pen, ainsi que plusieurs eurodéputés de son entourage, auraient dû rembourser plus de 617 000 euros pour des salaires versés à des assistants parlementaires fictifs, ou affectés à des tâches purement partisanes. Cette somme s’ajoute aux 300 000 euros qu’elle avait déjà été sommée de restituer pour d’autres irrégularités. Le tout pendant qu’elle prêchait la vertu, l’ordre et l’identité nationale. Marine Le Pen, pirate en tailleur, aura donc navigué des années sur les flots tranquilles de l’argent européen, tout en crachant sur Bruxelles depuis la passerelle de son parti.
Alors, quand des tribunes – à l’image de celle récemment publiée dans Marianne par Renaud-Philippe Garner – s’arment de phrases à double fond, comme «si les Français doivent payer pour les crimes de leurs ancêtres, cela vaut pour les Algériens qui pratiquèrent l’esclavage» (*), il ne s’agit pas d’un souci d’équité. Il s’agit d’une diversion. Une manœuvre rhétorique qui vise à détourner l’attention de la prédation coloniale française en activant le ressort bien commode de l’amalgame. Une sorte de «piraterie inversée» où les bourreaux s’offrent le luxe d’accuser leurs victimes de complicité historique, pour mieux blanchir leurs forfaits.
Mais cette manœuvre mérite réponse. Et elle en recevra une.
Accuser la Régence d’Alger d’avoir pratiqué l’esclavage n’est pas une révélation. C’est un fait. Comme l’est celui de la course, du rapt, de la rançon. Mais encore faut-il être honnête : ces pratiques, si elles sont condamnables, ne sauraient être arrachées de leur époque, ni soustraites au miroir européen.
Car, si Alger pratiquait la piraterie, que faisait donc la France ? Elle armait ses corsaires, elle émettait des lettres de course, elle vendait aussi des captifs, elle signait des traités de rançon, elle pillait, elle colonisait. Le mot change, la méthode reste. La Compagnie des Indes n’était pas une mission charitable, et la Royal Navy n’était pas une flotte de moines.
On parle des cages d’Alger, mais on oublie les cales de Nantes. On dénonce les raïs, mais on sanctifie les corsaires. On s’émeut de la mosquée de la mer, mais on oublie la chambre de commerce. L’histoire, écrite à Versailles, a maquillé les pirates français en héros et les corsaires d’Alger en monstres.
Non, la France n’est pas en position de faire la leçon sur la piraterie. Et ceux qui exigent des comptes de l’Algérie sur le commerce du rapt devraient d’abord ouvrir les registres de Bordeaux et les archives de Lorient. On y trouvera d’autres chaînes, d’autres noms gravés, d’autres ports complices. La barbarie, quand elle porte une perruque ou un tailleur bleu marine, n’en est pas moins barbare.
Que les pirates contemporains balaient donc le pont de leur propre navire avant de pointer les marins d’hier.
K. B.
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