Par Mohamed K. – Le président de la République sahraouie et secrétaire général du Front Polisario, Brahim Ghali, a adressé une longue lettre au secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, ce mercredi 22 octobre. Ce courrier, transmis à quelques jours des discussions du Conseil de sécurité sur le renouvellement du mandat de la Minurso, dresse un constat sévère de la situation au Sahara Occidental et formule une série d’accusations à l’encontre du Maroc, Etat occupant, tout en appelant à une implication plus ferme de l’ONU pour faire respecter le droit international.
Dans ce texte dense et vigoureusement argumenté, le Front Polisario accuse le Maroc d’avoir «matériellement violé» le cessez-le-feu de 1991 et les accords militaires associés, notamment depuis l’intervention de ses forces à Guerguerat, en novembre 2020. Cette opération, qui avait conduit à l’ouverture d’une brèche dans la zone tampon et à la construction d’un nouveau mur de sable d’une vingtaine de kilomètres, a provoqué la rupture définitive du cessez-le-feu et déclenché la reprise des hostilités. Le Maroc, rappelle la lettre, a lui-même qualifié ces actions d’«irréversibles». Brahim Ghali reproche au secrétariat général de l’ONU de ne pas avoir tenu Rabat pour responsable de cette violation, estimant que le silence onusien a encouragé l’impunité et aggravé les tensions.
Le président sahraoui évoque également les arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne le 4 octobre 2024, qui ont invalidé les accords de pêche et de commerce agricole conclus entre l’Union européenne et le Maroc, pour absence de consentement du peuple sahraoui. Ces décisions sont une confirmation juridique de la souveraineté du peuple sahraoui sur ses ressources naturelles. Dans cette optique, la lettre accuse Rabat d’exploiter illégalement les richesses du Sahara Occidental et d’entreprendre des projets d’infrastructure destinés à imposer un fait accompli colonial.
L’un des exemples les plus récents cités par le Front Polisario est la construction d’une route de 93 kilomètres reliant Smara à la Mauritanie, à travers le mur de sable. Présentée par le Maroc comme une voie civile, cette infrastructure est, souligne la lettre, une «mesure d’escalade et de provocation» qui illustre la politique d’annexion poursuivie depuis 1975. Pour le mouvement sahraoui, cette nouvelle initiative rappelle la crise de Guerguerat en 2016, lorsque Rabat avait ouvert une piste dans la zone tampon, sans réaction ferme de la communauté internationale. Brahim Ghali met en garde contre les «conséquences graves» que ces actions pourraient avoir sur la stabilité régionale.
La question des droits de l’Homme occupe également une large place dans le courrier. Le Front Polisario déplore que le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme n’ait pas eu accès au territoire depuis dix ans, malgré les appels répétés du Conseil de sécurité. Il dénonce des «violations systématiques» commises contre les civils sahraouis : restrictions à la liberté d’expression et de réunion, surveillance accrue, harcèlement de militants et de femmes défenseures des droits de l’Homme. Les conditions de détention des prisonniers politiques, notamment ceux du groupe de Gdeim Izik, sont décrites comme «déplorables», avec un impact grave sur leur santé et leurs familles, privées de visites. Le Polisario appelle à leur libération immédiate et inconditionnelle.
La lettre critique, par ailleurs, la situation de la Minurso, mission créée en 1991 pour organiser un référendum d’autodétermination. Selon le mouvement sahraoui, la Mission est aujourd’hui «gravement entravée» dans son travail, notamment à cause des restrictions imposées par le Maroc. Brahim Ghali cite l’impossibilité pour la Minurso de rencontrer librement les interlocuteurs sahraouis à l’ouest du mur de sable, l’obligation d’utiliser des plaques d’immatriculation marocaines et l’estampillage des passeports de la Mission, autant de pratiques contraires à son statut. Le Front Polisario demande que le Conseil de sécurité exige la levée de ces restrictions et l’inclusion d’un mécanisme permanent de surveillance des droits de l’Homme dans le mandat de la Minurso.
Sur le plan politique, Brahim Ghali rappelle que le Sahara Occidental reste inscrit depuis 1963 sur la liste des territoires non autonomes de l’ONU et relève du processus de décolonisation défini par la Charte des Nations unies et la résolution 1514. Cinquante ans après l’invasion marocaine de 1975, le président sahraoui estime que la communauté internationale a failli à sa mission. «Il est temps que les Nations unies assument leurs responsabilités», écrit-il, précisant que le peuple sahraoui continue de revendiquer son droit inaliénable à l’autodétermination et à l’indépendance.
La lettre se conclut sur un appel au dialogue. Tout en accusant le Maroc de mener une guerre d’usure contre le processus de paix, le Front Polisario réaffirme sa volonté de coopérer avec le secrétaire général et son Envoyé personnel pour parvenir à une solution pacifique, juste et durable, fondée sur la volonté du peuple sahraoui. Le mouvement se dit prêt à engager des négociations directes avec le Maroc, sans conditions préalables, dans le cadre des Nations unies et de l’Union africaine, en s’appuyant sur une «proposition élargie» soumise le 20 octobre 2025.
M. K.


