Une contribution de Khaled Boulaziz – Le Middle East Institute (MEI), ce think tank basé à Washington qui se veut «centre de réflexion sur la paix et la stabilité au Moyen-Orient», vient de publier un texte d’apparence anodine : «Morocco–Algeria : The case for ambitious reconciliation». Sous la plume policée d’une experte, ce document prétend offrir une feuille de route vers la réconciliation entre Rabat et Alger. En réalité, il s’agit d’un manifeste politique maquillé en analyse : une opération idéologique où la paix devient le paravent d’une intégration forcée du Maghreb dans l’architecture stratégique issue des Accords d’Abraham.
Le MEI n’est pas un laboratoire neutre. Fondé en 1946 par d’anciens diplomates américains, il s’est imposé comme un prolongement intellectuel de la diplomatie néoconservatrice sioniste au Proche-Orient. Son financement provient de fondations, de gouvernements du Golfe et de partenaires institutionnels liés au complexe militaro-énergétique occidental. Derrière ses «briefings» lisses, on retrouve la matrice d’un discours : promouvoir un ordre régional où la reconnaissance d’Israël, la libéralisation économique et la sécurisation des flux énergétiques deviennent les conditions préalables de toute normalité politique.
C’est dans ce cadre qu’il faut lire l’article sur la «réconciliation algéro-marocaine». Sa logique est claire : le Maroc, déjà arrimé à la normalisation avec Israël, serait l’exemple à suivre ; l’Algérie, «isolée» et «défensive», devrait cesser de résister à la nouvelle ère et s’aligner sur les bénéfices supposés de la paix économique. Autrement dit, ce qui est bon pour Israël et pour les investisseurs transatlantiques serait bon pour tout le Maghreb. Cette équation, que le texte ne formule pas explicitement mais dont chaque phrase transpire la logique, constitue le noyau d’une Pax Judaica contemporaine : un ordre régional façonné à partir de la centralité israélienne et de la subordination économique des Etats arabes à un schéma de sécurité américano-israélien.
Dans cette vision, la paix n’est plus un idéal moral mais une architecture de contrôle. Elle s’achète, se négocie, se finance. Depuis les Accords d’Abraham, la «normalisation» n’est pas une réconciliation entre peuples mais une transaction, des reconnaissances diplomatiques contre des deals économiques. Jared Kushner, gendre de Donald Trump et architecte autoproclamé de cette diplomatie immobilière, en a fait une méthode : convertir le capital politique américain et israélien en partenariats de construction, de ports, de data centers et d’hôtels. La paix devient un produit dérivé du marché mondial.
Le MEI, en réclamant une «ambitieuse réconciliation» entre Alger et Rabat, recycle cette rhétorique de «paix rentable». Mais ce discours s’effondre moralement au regard du moment historique où il paraît. Car tandis que Washington et ses relais intellectuels continuent à vendre la paix comme un modèle exportable, Gaza brûle. Depuis un an, les rapports des Nations unies décrivent une catastrophe humanitaire : destructions massives, famine, déplacements forcés. La Cour internationale de justice, en janvier 2024 puis à nouveau en mars, a reconnu un «risque plausible de génocide» et ordonné à Israël de prendre des mesures préventives. L’histoire retiendra que c’est dans ce contexte, au milieu des décombres, qu’un think tank américain a jugé opportun de vanter la «coopération maghrébine» sous bannière israélo-atlantiste.
Le contraste est glaçant. À Gaza, la paix s’écrit en chiffres de morts ; à Washington, on la rédige en formules abstraites. Le texte du MEI ignore volontairement cette fracture morale. Il décrit Israël comme un acteur implicite de stabilité et nie la charge symbolique que porte la question palestinienne dans les sociétés maghrébines. Pour l’Algérie, qui a toujours soutenu le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, notamment celui des Palestiniens et des Sahraouis, accepter ce cadre reviendrait à abjurer sa propre doctrine diplomatique.
Le message est donc transparent : si l’Algérie veut exister dans la nouvelle cartographie du monde arabe, elle doit se rendre compatible avec le modèle israélo-marocain. La «réconciliation» que le MEI appelle de ses vœux n’est pas un pont entre deux peuples, mais une porte d’entrée dans un système de dépendance politique. Derrière le vocabulaire aseptisé – «désescalade», «coopération énergétique», «intégration régionale» – se dissimule une volonté de désamorcer toute résistance souveraine.
Cette logique s’accompagne d’une manipulation lexicale. La «paix» est mobilisée comme un mot-talisman pour neutraliser toute objection politique. Or, dans les faits, ce n’est pas la paix qui s’installe mais la docilité. Le MEI parle de «désescalade», mais la seule escalade réelle est celle des morts à Gaza ; il évoque la «stabilité», mais c’est la stabilité des rapports de force figés. Ce vocabulaire d’expert, prétendument neutre, masque une opération idéologique : transformer l’adhésion au modèle israélo-américain en horizon naturel de la modernité maghrébine.
L’article du MEI participe ainsi à une entreprise de blanchiment discursif. Il transforme un projet géostratégique – l’expansion d’un ordre régional centré sur Israël – en narration économique séduisante : marchés intégrés, corridors énergétiques, tourisme, «soft power». Dans le même temps, il marginalise la mémoire anticoloniale et la solidarité avec la Palestine, les réduisant à des «attitudes d’un autre âge». C’est l’ultime perversion du langage : faire passer la fidélité à la justice pour un archaïsme.
Mais cette tentative d’imposer une Pax Judaica au Maghreb se heurte à une donnée irréductible : l’opinion publique. Dans les rues d’Alger, de Casablanca, de Tunis, la cause palestinienne demeure un repère moral. L’image d’Israël comme puissance occupante, documentée par les agences de l’ONU, rend politiquement intenable tout projet d’arrimage direct au modèle israélien. Le MEI sous-estime cette dimension. Son approche, centrée sur les élites et les intérêts économiques, ignore la profondeur historique de la mémoire anticoloniale et la force de la légitimité populaire.
L’Algérie, pour sa part, ne peut être sommée d’intégrer un ordre dont les fondations sont entachées par la violence. Se «réconcilier» dans ces conditions reviendrait à s’agenouiller devant une architecture construite sur l’injustice. La véritable paix, celle que le MEI évite de nommer, commence par la reconnaissance des crimes, pas par leur effacement sémantique.
Tant que Gaza sera un champ de ruines, toute rhétorique de paix exportée depuis Washington sonnera comme une ironie macabre. Les think tanks pourront bien multiplier les plans, les conférences et les «frameworks», ils ne feront qu’enjoliver un ordre fondé sur le déséquilibre. La paix ne se décrète pas depuis les tours vitrées de la K Street, à Washington D. C. ; elle se bâtit sur la dignité des peuples.
La Pax Judaica qu’on cherche à imposer au Maghreb n’est pas la fin des conflits ; c’est la continuation de la guerre par d’autres moyens : diplomatiques, économiques, symboliques. Et face à cette opération de travestissement, la seule réponse digne est le refus lucide. L’Algérie n’a pas à se soumettre à une paix qui humilie, ni à applaudir un modèle qui justifie l’oppression.
La vraie ligne de fracture est entre ceux qui croient que la paix peut s’acheter et ceux qui savent qu’elle doit se mériter. Et dans le vacarme des bombes sur Gaza, aucune «ambitieuse réconciliation» ne peut masquer le silence assourdissant de ceux qui ont choisi le camp du marché contre celui de la justice.
K. B.



Derrière une réconciliation algéro-marocaine se cache tout simplement une invitation à la normalisation avec l’entité sioniste génocidaire. CQFD.
C’est pas parce que monsieur le président ABDELMADJID TEBBOUNE a gracié sang sale que ses guignols veulent réconcilier L’ALGÉRIE et le maroc , ses gens peuvent emballer leurs histoires