Par Anouar Macta – Le Sahara Occidental est devenu la scène d’un paradoxe cinglant. Le Maroc et ses alliés s’acharnent à exploiter un territoire qu’ils prétendent maîtriser, mais dont les richesses les minent plus sûrement qu’elles ne les renforcent. Le pillage systémique du phosphate, des ressources halieutiques et désormais des gisements énergétiques offshore n’est pas seulement une violation du droit international, mais un mécanisme d’autodestruction lente, maquillé en réussite économique.
Ces ressources ne profitent jamais à ceux qui y vivent, mais servent à irriguer un appareil monarchique qui se maintient, non par mérite ni par légitimité politique, mais par distribution de rentes, achats d’alliances et étouffement social. La rente sahraouie n’est pas un moteur de modernisation ; c’est un sérum de survie injecté à un système qui refuse de regarder en face ses propres faiblesses structurelles.
On voudrait faire croire que le «modèle marocain» séduit, attire, aspire. Pourtant, les Sahraouis n’en veulent pas. Et ce rejet, persistant, massif, inentamé, n’est pas l’œuvre d’un «intrus extérieur». Il procède d’une évidence : personne ne souhaite rallier un royaume où la citoyenneté se confond avec l’obéissance aveugle, où l’administration sert de bras armé à un pouvoir opaque, et où la dignité individuelle se négocie au guichet d’un Makhzen tentaculaire.
Un Etat qui peine à nourrir sa propre population prétend transformer, élever ou intégrer un peuple qu’il considère d’abord comme une source de revenus, mais le récit officiel se fissure dès que l’on touche au réel. Dans les provinces marocaines périphériques, la pauvreté s’étend, les infrastructures manquent, et l’Etat recule. Comment un tel système pourrait-il prospérer au Sahara Occidental autrement qu’en serrant encore davantage le cou d’un peuple déjà révolté par l’humiliation quotidienne ?
La complicité occidentale est, elle aussi, d’une clarté embarrassante. Les capitales qui donnent des leçons de démocratie et de droit humain ne s’embarrassent plus d’élans moraux lorsqu’une cargaison de phosphate, un permis d’exploration ou un contrat d’énergie verte se présentent. L’indignation humaniste disparaît toujours dans le bruit du tiroir-caisse.
Ce qui dérange, dans la position constante algérienne, n’est pas un prétendu «rôle caché». C’est la capacité d’Alger à exposer, sans fioritures, la mécanique coloniale réinventée, celle d’un pillage local adoubé par des parrains extérieurs, qui proclament des principes le matin et signent des contrats le soir. L’Algérie agit comme un miroir brut, renvoyant aux puissances leur propre duplicité, leur confort moral de façade, leur désinvolture envers les peuples qu’elles sacrifient aux intérêts du moment.
La monarchie marocaine, en s’accrochant à des ressources volées pour maintenir son édifice, a fait du Sahara Occidental son talon d’Achille. Les richesses du désert ne stabilisent pas le système, elles l’enchaînent à ses pires défauts. Chaque tonne extraite, chaque accord signé, chaque poisson vendu renforce l’illusion d’un pouvoir solidifié, alors qu’il ne fait que prolonger une fuite en avant.
Le butin sahraoui n’enrichit pas le Maroc. Il l’empoisonne. Et c’est au rythme de cette intoxication politique, économique et morale que s’écrit, sans bruit mais sûrement, l’érosion d’un système qui croyait pouvoir bâtir son avenir sur un territoire qu’il ne possède pas et un peuple sahraoui digne qui ne se soumettra jamais.
A. M.


