Morts pour avoir trop aimé leur pays
Par Youcef Benzatat – Ils auraient pu se satisfaire du train de vie de millions d’habitants parmi ceux qui peuplent leur pays. Partager leur résignation, leur misère sexuelle et affective, leur misère morale et sociale, la banalité du quotidien, dans l’attente d’un lendemain prometteur qui les délivrera peut-être de leur souffrance. Tuer le temps entre la mosquée et le stade de football. Tuer le temps dans le temps mort blottis contre un mur ou arpentant les rues grouillantes à mater les passantes. Vilipender à longueur de commentaires sur les réseaux sociaux tous ceux qu’ils identifient comme source de leur malheur. Du député au maire. De l’instituteur au commissaire. De l’imam au ministre. Du président au général.
Ils auraient pu se satisfaire d’un commerce ambulant de cigarettes, de chiffons, de bric et broc de tout genre, se perdre dans le commerce de la drogue pour soulager le poids de responsabilité qu’ils font peser sur leurs parents et gagner une relative indépendance financière. Faire un petit boulot chez un privé ou dans le secteur public, ou même s’engager dans un service de sécurité quelconque, douane, police, gendarmerie et même dans l’armée comme dernier recours, comme font des centaines de milliers parmi eux.
Mais ils étaient trop ambitieux, trop fiers, trop dignes et orgueilleux pour accepter un tel sort. Autant voir l’horizon s’ouvrir sur l’infini et mourir en mer, avec l’espoir de gouter au bonheur et à la gloire que de vieillir captifs, enfermés dans une prison à ciel ouvert dans laquelle ils se meurent d’une mort banale.
Fuir sur une embarcation de fortune, à leurs risques et périls. Laissant derrière eux tout ce qu’ils aimaient. Leurs parents, leurs amis et leur pays qu’ils auraient aimé qu’il soit meilleur. Ils ne pouvaient s’accommoder de la vie que mènent leurs proches dans la résilience. Ils sont nés de la race des princes. Ils étaient destinés à la gloire, dans la vie ou la mort. Ils ont choisi de le fuir pour ne pas additionner souffrance sur souffrance de le voir indigne et inhospitalier. Ils sont morts pour avoir trop aimé leur pays, noyés en haute mer. Combien viendront-ils encore s’échouer sur les rivages d’un illusoire paradis inaccessible ?
Y. B.
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