Privatisation : il faut éviter d’induire en erreur les autorités politiques du pays
Contribution du Pr Abderrahmane Mebtoul – Force est de constater qu’il reste beaucoup à faire pour que certains responsables algériens s’adaptent aux arcanes de la nouvelle économie, aucun pays à travers l’histoire ne s’étant développé grâce uniquement aux matières premières mais par la bonne gouvernance, la réforme des institutions et la valorisation du savoir. Evitons d’induire en erreur les autorités du pays avec des surcoûts faramineux comme par le passé sans rentabilité réelle.
Par exemple, l’investissement, avec tous les annexes arrivé au port, de Gara Djebilet nécessitera plus de 7 milliards de dollars d’investissement, l’ex-ministre de l’Industrie en 2008 estimait à 15 milliards de dollars avec la création de 4 800 emplois directs et 15 000 emplois indirects (l’actuel ministre parle de 3 500, énorme écart, source APS) et l’actuel ministre de l’Industrie en date du 11 juin 2020 avait déclaré que le coût d’investissement dans les deux projets phosphate et Gara Djebilet est estimé «entre 15 et 16 milliards de dollars»; cela démontre la non-maturation des projets de la part des responsables, et qui croire avec des différences de plusieurs milliards de dollars ?
Afin d’éviter d‘induire en erreur tant l’opinion publique que les plus hautes autorités du pays, l’actuel ministre des Mines doit donner le montant en dinars et en devises du projet dans sa globalité, la part du financement de la partie algérienne et la rentabilité effective pour éviter les errements du passé qui ont conduit le pays à la situation actuelle. A un cours de 100 dollars la tonne (cours moyen de 2020), le fer brut, pour une exportation brute de 30 millions de tonnes auquel le chiffre d’affaires serait de 3 milliards de dollars, montant duquel il faudra retirer 40% de charges, le coût d’exploitation étant très élevé restant 1,80 milliard de dollars. Ce montant est à se partager selon la règle des 49/51%, avec le partenaire étranger, restant à l’Algérie 920 millions de dollars.
C’est que l’exploitation du fer de Gara Djebilet nécessitera de grands investissements dans les centrales électriques, des réseaux de transport, une utilisation rationnelle de l’eau, des réseaux de distribution qui fait défaut du fait de l’éloignement des sources d’approvisionnement, tout en évitant la détérioration de l’environnement, unités très polluantes et surtout une formation pointue. Et là on revient à la ressource humaine, pilier de tout processus de développement. En prenant l’hypothèse de 7 milliards de dollars, le retour en capital pour une exportation de 30 000 tonnes de fer brut/an, serait de 8 à 10 ans.
Donc, pas de rente et, donc, seule la transformation en produits nobles (aciers spéciaux) peut procurer une valeur ajoutée plus importante à l’exportation, mais nécessitant d’importants investissements et des partenaires qui contrôlent le marché mondial. Par ailleurs, où en sont les réalisations effectives des projets de mines d’or, proposés aux jeunes investisseurs dans le sud, sachant que l’exploitation a un coût important, et la rentabilité est fonction du cours de l’once d’or qui fluctue, depuis trois années, entre 1 600 et 2 100 dollars l’once, la cotation le 6 janvier 2020 étant de 1 949 dollars.
Soyons réalistes, la rente des hydrocarbures sera pour longtemps la principale pourvoyeuse de devises où, avec la crise actuelle, il est utopique d’attirer massivement les IDE et de canaliser le capital-argent de la sphère informelle. D’où l’importance de l’installation du Conseil national de l’énergie, seul organe habilité à tracer la future politique énergétique devant s’orienter vers un mix énergétique, fondement de la transition énergétique.
L’Algérie a toutes les potentialités de surmonter la crise actuelle sous réserve d’une vision stratégique de développement hors hydrocarbures, une lutte contre la corruption passible du code pénal à ne pas confondre avec acte de gestion, passant par la numérisation avec des interconnexions intra-secteurs reliés aux réseaux internationaux. La transition d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures suppose un profond réaménagement du pouvoir, nécessitant une restructuration du système partisan, loin des aléas de la rente et, surtout, la dynamisation de la société civile ; pas celles qui vivent de la rente et qui ont applaudi tous les gouvernements passés qui, en symbiose avec les Etats et les institutions internationales, jouera un rôle de plus en plus déterminant en ce XXIe siècle.
Les compromis des années 2021-2030 devront concilier l’impératif de productivité et la cohérence sociale, les principes d’une société ouverte et le devoir de solidarité ; en un mot, l’efficacité et l’équité ; les politiques parleront de justice sociale qui ne saurait signifier égalitarisme vision populiste suicidaire. En bref, la réussite du processus de développement implique la refonte du système politique et socio-économique. La tolérance par la confrontation d’idées contradictoires productives, loin de tout dénigrement, est la seule voie pour dépasser l’entropie actuelle.
A. M.
Expert international, président du Conseil national des privatisations de 1996 à 1999
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