Moines de Tibhirine : des terroristes coupables de crimes ont-ils été épargnés par la justice ?
L’affaire de l’assassinat des moines de Tibhirine, qui a alimenté la thèse du «qui tue qui ?» visant à discréditer l’armée nationale populaire (ANP) engagée dans une lutte féroce contre le terrorisme, rebondit à nouveau pour confirmer ce que l’Algérie n’a cessé de clamer : les moines de Tibhirine ont été victimes des terroristes qui écumaient la région à cette époque. Cette confirmation ne vient pas des autorités algériennes mais du sol français d’où étaient parties les accusations contre l’ANP à propos de cette affaire. Le magazine français Marianne rend compte, dans sa dernière édition, d’un documentaire qui comprend des interventions d’acteurs directs de ce drame et de témoins de premier plan. Coréalisé par le journaliste algérien et correspondant du magazine français Marianne, Malik Aït Aoudia, et Séverine Labat, une chercheure française très au fait de la question du terrorisme en Algérie, le documentaire sera diffusé par France 3, le jeudi 23 mai à 23h. Les personnes qui ont parlé dans le cadre de cette enquête l’ont fait en toute liberté, mais le plus surprenant, c’est qu’il s’agit de terroristes qui reconnaissent ainsi avoir été les complices de l’enlèvement et de l’assassinat des moines trappistes. C’est un aveu qui ne devrait pas rester sans suite, la loi sur la réconciliation nationale exclut, en effet, de ses dispositions ce genre d’actes. Marianne cite Omar Chikhi, «l’un des sept fondateurs du GIA» : «Djamel Zitouni me disait que les geôliers avaient été influencés par les moines, ils les voyaient prier, ils déposaient leurs armes, alors Zitouni changeait tout le temps les geôliers.» Egalement cité, Hassan Hattab, «fondateur du GSPC, ancêtre d’Aqmi», «trônant dans le fauteuil d’un superbe salon» : «Zitouni m’a appelé et m’a dit : «Je t’informe que j’ai tué les moines ce matin.» Je lui ai répondu : «Dans ce cas, on ne va pas pouvoir continuer à travailler ensemble. Tu as eu peur de tes hommes plus que de Dieu ?» Encore un autre, inconnu des médias, Abou Imen, «le dernier geôlier des moines, qui a assisté à leur décapitation» : «On n’a pas tiré une seule balle, de toute façon on manquait de balles. Ils ont tous été égorgés au couteau.» Ce n’est pas tout, il y a également Fethi Boukabous, «garde du corps de Djamel Zitouni» : «J’ai assisté aux discussions pour la rédaction du communiqué 43, qui réclamait en échange la libération d’Abdelhak Layada.» Et un Abou Mohamed, «émir du GIA» : «Moi, j’ai emmené les têtes dans une voiture pour les jeter sur la route… » Le documentaire donne les noms des assassins dénoncés par Abou Abderrahmane, lui aussi terroriste : «Abou Nouh de La Casbah, Rachid Oukali, Abdelghani de Sidi Moussa, Omar Abou Lhitem de Bouguara.» Marianne s’étonne de «ce calme des bourreaux, complices, hommes de main ou terroristes «dissidents», de leur aisance à parler et vivre». Le documentaire interpelle directement les autorités algériennes sur le sort à réserver à des personnes qui visiblement bénéficient de la clémence de la loi sur la réconciliation. Il y aurait de toute évidence impunité si leurs déclarations s’avéraient vraies.
Kamel Moulfi
Comment (11)