Les thèses novatrices d’un grand imam sur le port du voile en islam
Conseiller pour le dialogue interreligieux auprès du grand imam d'Al-Azhar, et professeur à l’Institut des langues orientales de Paris, Mahmoud Azab développait des thèses novatrices, argumentées et éclairées de l’islam. Interrogé, avant sa disparition survenue en juin dernier, sur les origines du voile des femmes en islam, il explique que pour en comprendre le sens et la portée, il faut d’abord connaître le statut de la femme dans la société antéislamique (la jahiliya) et le comparer à celui de la femme dans la société judéo-chrétienne biblique et ainsi qu'à celui de la femme dans les cultures grecque et égyptienne. D’entrée, il corrobore la thèse selon laquelle il faut avant tout percevoir le Coran comme «un document qui relate une époque et témoigne de la vie quotidienne plus que comme un livre religieux», en remarquant que souvent le texte coranique insiste sur des interdits. «Lorsque le texte dit "ne faites pas", cela veut dire que cette pratique, désormais interdite, était répandue avant l'apparition de l'islam.» Il s’appuie sur l’exemple des hommes et des femmes qui, avant l’islam, effectuaient nus le pèlerinage païen autour de la Kaâba. Pour cette raison, l'islam a interdit la nudité pendant la prière et le pèlerinage. C’est aussi le cas de l’enterrement des filles vivantes à la naissance. L’islamologue remarque que si les règles de prohibition apportées par l’islam sont strictes et rigoureuses, cela veut dire que l’acte prohibé était très répandu. Il explique la condition d’asservissement de la femme dans l’Arabie antéislamique par une sorte de «revanche» exercée par l’homme qui était pendant longtemps dominé par la femme. Et c’est à partir de là que le statut de la femme s’est gravement dégradé, qui la verra plonger dans l’esclavage le plus dur, à cause de la multiplication des cas de répudiation. Pour survivre, la femme répudiée, réduite désormais à la misère, se prostitue et, pour attirer l’attention, était obligée de s’exposer nue. C’est l’islam, d’après l’analyse de Mahmoud Azab, qui viendra la sauver. «La religion demande aux femmes qui se convertissent de se voiler afin d'être distinguée des esclaves ; comme une manière de dire pour chacune : "Nous n'avons plus besoin de nous vendre (d'être des esclaves) ; la nouvelle religion nous apporte un statut et désormais nous avons des droits"», souligne le professeur. Autrement dit, les hommes, dans ce cas, ne peuvent plus répudier leurs femmes à tort ou à raison et si le divorce est prononcé, ces femmes conserveront des moyens de subsistance. Ainsi, la prescription du voile est venue répondre à une situation sociologiquement bien déterminée et n’est donc pas «un principe fondamental de l'islam», insiste l’islamologue. Abordant la place du voile (hidjab) dans le Coran, le chercheur énumère sept cas différents, où ce terme est évoqué dans le texte coranique. Il peut être positif (pour préserver le croyant qui risquerait de succomber aux charmes des épouses du Prophète, sourate 53, verset 33), mais aussi négatif, puisqu'il empêche certains d'entendre l'appel de la nouvelle foi (sourate 41, verset 5). Pour arriver à la conclusion que les musulmans «commettent un contresens linguistique par rapport au vocabulaire coranique». Il y a aussi ce qu’il appelle un «contresens de but», en ce sens que, à l’origine, le voile devait désigner les femmes libérées de l'esclavage, parce que, en rejoignant la nouvelle religion, elles s’en trouvaient à l’abri du besoin. Or, aujourd'hui, dans beaucoup de cas, «le voile apparaît comme un asservissement de la femme», regrette le professeur. Pour lui, le Coran ne porte aucune recommandation spécifique, puisqu’il ne traite les habits de la femme que dans le large contexte de la vie sociale, de l'éducation et de la famille. En somme, «il incite à la pudeur». Or, comme il le fait encore remarquer, les injonctions qui visent à la bienséance vestimentaire ne concernent pas que la femme. «Et c'est là une erreur majeure commise par les interprètes qui n'ont pas assez étudié. A chaque fois que le Coran parle de la tenue vestimentaire, il parle aux deux sexes», affirme-t-il, en citant plusieurs versets attestant cette perception du Coran. S’agissant du «khimar», Mahmoud Azab démonte là encore la conception contemporaine, en apportant la preuve que c’était plus un vêtement mis sur les épaules qu’un voile qui partirait de la tête, et qui était prescrit dans l’esprit de libération de la femme. En résumé, le voile en général était «la solution technique» apportée à la soumission des femmes à une époque de l’histoire. «C’était un moyen, pas une finalité.»
Ali Khalifa