Oran zina ! A votre santé !
Par Al-Hanif – Une photo de la gare d’Oran envoyée à des amis installés dans le snob Manhattan leur a tiré des cris d’émerveillement et a fait office de Madeleine de Proust pour ces exilés, partis il y a plus de quarante ans à la conquête du rêve américain.
Hélène Cixous, une native de la ville, avait coutume de dire et d’écrire : «Je dis Oran et les mots accourent, descendent les boulevards et les ruelles.»
Je dis Oran et des images de la gare et du train de nuit qui nous délivraient au petit matin haché-menu à Alger affluent.
Je dis Oran et les longues escales dans les cafés à proximité du marché Michelet, formidables tours de guet, qui vous permettaient de happer le badaud qui vous devait de l’argent ou de héler une connaissance refluent.
Je dis Oran et les ruelles peu fréquentées refont, dans la mémoire, couple avec les amours débutantes.
Mon Oran n’avait rien à voir avec la réputation de luxure qui lui a été accolée. Il était amical, chaleureux et si hospitalier que peu d’étrangers en repartaient.
De part les brassages de population et le nombre grandissant de personnes qui en font leur ville d’adoption, sinon de cœur, Oran est la vraie capitale de l’Algérie. L’âme de la ville ne plane plus sur le centre étiolé, et le quartier historique de Sidi El-Houari connaît un déclin semblable à celui de la Casbah.
La ville-vertige a migré vers l’est en lignes droites, véritables leurres de conglomérats de buildings qui s’obstinent à avoir vue sur la mer.
Les prix que l’on annonce pour être acquéreur d’un logement relèvent de la dissuasion nucléaire, et pourtant, il n’y a point de pénurie de demandeurs. Des voitures cossues se garent avec arrogance, et des automobilistes, souvent des couples, s’en extirpent pour juger de l’état d’avancement des travaux.
Désormais, Canastel, jadis havre de verdure et de paix, est encerclé par des bâtisses qui jurent dans le décor pour qui a connu les anciennes villas, cachées par des plantes grimpantes et signalées par d’odorants mimosas sauvages.
Bir El-Djir, autrefois livré aux ronces et aux moutons engraissés pour l’Aïd, dévoile des façades de maisons qui pourraient rivaliser avec des forteresses de béton. Le savoir-faire d’artisans, souvent marocains, sauve heureusement les intérieurs en leur donnant un caractère andalou.
Il existe un nouvel Oran, insipide, sans couleur ni saveur et qui porte des noms ronflants : Millénium, Dubaï, et toute l’activité consiste à entrer et à sortir de magasins qui offrent tous les mêmes articles. L’accent oranais si savoureux est aux abonnés absents, et si vous veniez à croiser par accident un natif de la ville, il vous chantera la complainte du Dernier des Mohicans.
Oran, sous des dehors frivoles, est une ville sérieuse et les Kabyles qui y ont fait fortune louent chaque jour leur intuition d’avoir quitté la Kabylie pour s’y installer.
Des entrepreneurs s’accommodent de l’esprit cigale de leurs ouvriers et vantent la tolérance des habitants.
Je dis Oran, et des noms accourent, ceux d’amis installés aux quatre coins du globe et qui retrouvent instantanément l’accent des origines que tous ont emporté aux talons de leurs souliers.
Oran zina ! A votre santé !
A.-H.
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