Par Houari A. – Dans une tribune publiée dans les colonnes d’Al-Araby Al-Jadid, le journaliste indépendant marocain Ali Anouzla rapporte un épisode qui secoue depuis une semaine le paysage médiatique et politique du Maroc. La fuite de vidéos issues des délibérations internes de la commission d’éthique du Conseil national de la presse, un espace supposé clos et protégé, a révélé, non pas une simple discussion professionnelle, mais un déchaînement de vulgarité, d’humiliations et de dérives graves. Ce que montrent ces images dépasse le cadre d’un litige disciplinaire et exposent un malaise institutionnel profond.
Comme le souligne Anouzla, l’affaire dépasse largement la question des propos grossiers échangés à l’encontre d’un journaliste indépendant poursuivi dans une procédure disciplinaire contestée. Les enregistrements mettent en évidence la violation de principes fondamentaux : présomption d’innocence, droit à une défense effective, impartialité de l’instance, séparation des rôles entre les niveaux de jugement. Ce qui aurait dû être une délibération sereine est devenu, selon les séquences dévoilées, une parodie de justice interne : décisions préétablies, influence d’acteurs extérieurs à la commission, exclusion de l’avocat, enregistrement clandestin de la séance, confusion entre juges d’appel et juges de première instance.
La brutalité du choc tient à ce que les Marocains ont pu observer, pour la première fois, le fonctionnement interne d’une institution prétendument vouée à l’éthique. A travers ces images, ils ont découvert un univers qui, écrit Anouzla, rappelle les récits dystopiques d’Orwell ou de Kafka : une salle close où quelques individus, usant d’un langage dégradant, décident du sort d’un confrère parce qu’il les dérange. Cette scène a agi comme un révélateur. Beaucoup y voient le reflet de pratiques similaires dans d’autres espaces opaques du royaume, où se prennent des décisions lourdes de conséquences loin des regards.
L’affaire prend désormais une dimension politique majeure, marquée par l’indignation de nombreuses organisations, les réactions de partis, l’interpellation du gouvernement au Parlement. Car ce scandale pose la question centrale évoquée par Anouzla : comment les citoyens peuvent-ils encore faire confiance à des institutions censées protéger leurs droits lorsque celles-ci donnent, à visage découvert, la preuve de leur dérive ?
En dévoilant un mode de décision basé sur l’arbitraire et l’opacité, cette affaire rappelle que nul Etat ne peut fonctionner durablement dans les coulisses. La vérité finit toujours par surgir. Le vrai débat, conclut implicitement le journaliste, n’est plus de comprendre ce qui s’est passé dans cette salle, mais pourquoi le Maroc a glissé jusqu’à accepter un tel niveau de dislocation éthique, et s’il est encore temps d’y remédier. Les observateurs les plus optimistes répondent par la négative.
H. A.


