Marek Skolil à Algeriepatriotique : «L’Europe ne s’implique en faveur d’aucun candidat en Algérie»
Algeriepatriotique : Nous constatons que les pays de l’Union européenne font montre de beaucoup de souplesse dans la délivrance des visas, de toutes catégories, y compris de long séjour, ces derniers mois. A quoi ce revirement est-il dû ?
Algeriepatriotique : Nous constatons que les pays de l’Union européenne font montre de beaucoup de souplesse dans la délivrance des visas, de toutes catégories, y compris de long séjour, ces derniers mois. A quoi ce revirement est-il dû ?
Marek Skolil : Je vous rappelle que les entrées et les sorties sur les territoires des pays membres sont régies par la loi de ces pays en question. Nos amis algériens nous ont fait des reproches sur la forteresse Europe et les limitations concernant les citoyens algériens dans leur déplacement en Europe. Je sais que suite à cela beaucoup de pays ont multiplié leurs efforts pour le traitement de visas et ce sont les pays membres qui nous disent que le nombre des dossiers de visa traités est en augmentation. Mais encore une fois, il faut bien comprendre l’Union européenne n’est pas la première autorité dans ce domaine, car il y a des autorités nationales, et nous ne pouvons que nous réjouir qu’il y ait des améliorations depuis quelques années.
Il y a eu le processus de Barcelone, la politique européenne de voisinage… Quelle autre forme de rapprochement peut-on envisager sur le moyen terme entre les pays de l’UE et ceux de la rive sud de la Méditerranée ?
En plus du cadre de coopération qui existe déjà entre l’Algérie et l’UE, dans tous les secteurs, le rapprochement a bénéficié d’une valeur ajoutée, celle de la nouvelle politique européenne de voisinage qui consiste à nous mettre autour d’une table, avec chaque pays, y compris l’Algérie qui en a exprimé le souhait dans un nouveau cadre de voisinage pour négocier un plan d’action. Nous y sommes en plein dedans et nous sommes en train d’avancer dans les négociations. Nous avons, certes, quelques étapes à franchir, mais comme l’a si bien exprimé M. Mokrani, représentant du ministère des Affaires étrangères le souhait de l’Algérie de clore les négociations bientôt, ce qui est notre souhait aussi, nous permettra de définir un certain nombre de priorités. Ce n’est pas à moi de vous dire quelles sont ces priorités, cela doit être défini par les négociations, certaines sectorielles et d’autres dans un domaine plus général comme la gouvernance. Mais il faut se mettre d’accord, ça se fait dans le cadre de ce qu’on appelle la négociation d’un plan d’action.
Le programme d’échanges universitaires Erasmus Mundus-El Idrissi entre les pays de l’Union européenne et ceux du sud de la Méditerranée sera-t-il élargi au niveau de la graduation à l’image du programme Erasmus ?
Je ne peux pas vous donner des détails. Je sais que ce programme marche très bien et qu’il est populaire dans les pays du voisinage. Nous avons parlé, ce matin, des modifications que la commission de la nouvelle période qui commence maintenant va apporter à ce programme. Et si je ne me trompe pas, il est clair que l’objectif est celui d’augmenter le volume des échanges.
Le démantèlement tarifaire, prévu en 2017 entre l’Algérie et l’UE dans le cadre de l’Accord d’association, est reporté à 2020. Ce démantèlement a déjà eu pour conséquence une perte de recettes pour le Trésor équivalent à 3 milliards de dollars et suscite de graves préoccupations, selon l’ancien ministre de l’Industrie, sur le devenir de l’économie algérienne, puisqu’un grand nombre d’entreprises algériennes, qui n’arrivent pas à faire face à la concurrence des produits européens qui seront importés, libres de taxes douanières, sont menacées de disparition. Nous avons l’impression que quels que soient ces accords, ils ne profitent qu’aux pays du Nord au détriment de ceux du Sud…
Je vous remercie pour votre franchise en me posant cette question, que nous posent d’ailleurs beaucoup d’Algériens, pas seulement au niveau officiel, et même des hommes d’affaires. Je pense qu’il faut clarifier ce malentendu. L’accord d’association, qui a été négocié en 2002 et qui est entré en vigueur en 2005, et que nous avons mis en application pour tout ce qu’il pouvait rapporter de positif pour l’Algérie afin de permettre à celle-ci d’entrer dans le programme de coopération avec l’Union européenne, n’est pas seulement un accord commercial, c’est un accord qui a plusieurs volets : il y a le volet politique, le volet commercial qui se résume à la création, selon un échéancier prévu, de la zone de libre-échange entre l’Algérie et l’UE pour favoriser les échanges et le volet coopération, dont nous parlons aujourd’hui et qui permet à l’Algérie de profiter de tous les programmes que l’UE met à la disposition des pays voisins et pays associés pour nous rapprocher, et j’insiste sur cette notion de rapprochement. Maintenant, vous me dites qu’il y a des pertes de recettes, etc., il faut déjà regarder quelle est la structure du commerce de l’Algérie avec le monde et l’UE. Si vous regarder bien ces chiffres-là, il est faux de dire que l’accord d’association aurait avantagé l’UE par rapport aux autres exportateurs vers l’Algérie. Car si vous regardez la part de l’UE dans les échanges commerciaux, comparés à ceux qui existaient avant l’accord, elle reste plus au moins au même niveau, aux environs de 54% à 58%, et c’est la même proportion en 2002 et 2005. Ça veut dire que la part de l’UE n’a pas augmenté suite à l’accord de l’association. Ce qui a augmenté est le volume total des importations algériennes et cela est dû à la structure de l’économie algérienne qui est comme vous le savez très dépendante des hydrocarbures. Pour qu’on puisse réaliser le plein potentiel de l’accord d’association, dans notre intérêt commun, il y a ce volet de coopération et le volet réforme qu’on devrait accompagner. Sur ce plan, nous avons réalisé des avancées très importantes dans certains domaines. Pour fortifier l’économie algérienne, l’UE a mis en place une série de programmes qui s’appelle l’appui de la mise en place de l’accord d’association, dédié concrètement au soutien des PME. Mais il reste des défis qui doivent être relevés par l’Algérie elle-même. Et je pense que l’Etat algérien y travaille, puisque nous assistons ces jours-ci à la rencontre de la tripartite qui englobera, entre autres, ces questions avec les partenaires économiques. Et ce qui est important, c’est ce que nous essayons de nous placer dans la complémentarité avec les politiques qui sont décidées par le gouvernement algérien et je crois que lorsqu’on regarde le pacte économique et social qui a été adopté hier, vous trouverez des orientations par rapport auxquelles nous avons des programmes qui sont déjà en cours et sur lesquels nous sommes tout à fait prêts à apporter des modifications afin d’augmenter cette complémentarité entre les politiques algériennes et la coopération technique avec l’UE.
L’Union européenne maintient que «les colonies sont illégales au regard du droit international, elles constituent un obstacle à l’instauration de la paix et elles risquent de rendre impossible une solution à deux Etats». Dans le même temps, elle importe quinze fois plus de marchandises des colonies illégales israéliennes que des Palestiniens. Comment expliquez-vous cette contradiction dans la politique de l’Union européenne ?
Nos relations avec les territoires palestiniens et avec Israël ne se réduisent pas à nos échanges commerciaux. Nous avons des échanges avec les deux parties, et vous savez qu’il s’agit d’un conflit qui dure depuis très longtemps. Notre volonté est de soutenir et d’encourager toute solution qui sera négociée par les deux parties et nous sommes – c’est important de le souligner quand vous parlez de ces chiffres-là – le premier bailleur de fonds qui soutient l’autorité palestinienne. Je crois que notre volonté de contribuer à la solution est non à l’approfondissement du conflit qui existe est réelle. Il faut retenir cela, car il est tout à fait connu que l’UE a une place privilégiée dans le soutien à l’autorité palestinienne. Je ne sais vraiment pas comment se fait la nomenclature de codification des importations entre ces pays et l’UE, je ne suis pas spécialiste de la question. Mais ce qui est important de comprendre c’est que nous avons une politique qui se veut équitable par rapport aux deux parties. Nous avons des relations commerciales avec Israël, mais, aussi, des relations commerciales avec l’autorité palestinienne que nous soutenons plus que tous les autres bailleurs de fonds dans le monde.
Le très contesté accord de pêche conclu entre l’Union européenne et le Maroc, qui inclut les eaux territoriales du Sahara Occidental dans son champ d’application, contrevient aux principes du droit international et ne prend pas en compte les intérêts du peuple sahraoui. Comment une telle validation a-t-elle été accordée en dépit des considérations juridiques telles que définies par le droit international et par les règles jurisprudentielles ?
Ma réponse est très simple. Même la plus petite décision de l’UE ne peut pas se faire sans passer par des études préalables très nombreuses de tous les aspects juridiques de nos décisions. En interne et en externe, la décision passe par un contrôle extrêmement rigoureux de tous les aspects juridiques. Donc, si nous avons procédé, dans le cadre du droit international et dans le cadre aussi de nos propres normes de fonctionnement qui sont extrêmement dures juridiquement, et/ou aucun pays membre de l’UE ne peut vraiment influencer une décision d’un point de vue juridique pour qu’on se retrouve dans l’illégalité, à la décision de signer l’accord avec le Maroc, croyez-moi qu’elle a été prise sur la base d’analyses juridiques dont l’UE et la Commission européenne disposaient au moment de cet accord. Ce qui veut concrètement dire qu’il y a dans l’accord des garde-fous et des articles qui garantissent que la gestion de ses aspects respecte les intérêts de toutes les parties concernées, dont le peuple sahraoui. Si une telle clause n’était pas conclue dans l’accord, je vous le garantis, le Parlement européen ne l’aurait jamais approuvé.
Dans une interview accordée au journal marocain Libération, Alem Menouar, ambassadeur du Maroc auprès de l’Union européenne, a dévoilé le rôle joué des «diplomates non étatiques», selon son expression, avant le vote pour cet accord ? Comment une diplomatie parallèle peut-elle influer sur une institution aussi prestigieuse que l’UE ?
Honnêtement, je m’abstiendrais de commenter les déclarations d’autres diplomates. Je ne sais pas concrètement de quoi il s’agit. Ce que je peux vous dire, par contre, c’est que dans tout environnement international, dans lequel nous nous situons actuellement, il y a tous les niveaux de relations existantes. Aujourd’hui, la diplomatie n’est plus seulement l’affaire des gouvernements. C’est toujours la partie principale, mais quand vous regardez, par exemple, les grandes négociations internationales sur les questions qu’on appelle questions horizontales, vous avez un nombre important d’acteurs internationaux qui participent aux relations internationales. Je vous réponds sur un plan général, parce que je n’ai aucune connaissance de ce dont vous venez de me parler. Il n’y a rien de choquant à ce que dans les relations entre pays, il y ait des acteurs non étatiques qui essaient d’influer sur ces relations.
Comment l’Union européenne perçoit-elle le contexte politique en Algérie à la veille des élections présidentielles ?
Nous sommes extrêmement attachés à nos relations avec l’Algérie qui est un partenaire stratégique dans la région. Nous sommes respectueux de l’ordre constitutionnel et de la vie politique algérienne, mais ce n’est pas un domaine dans lequel nous nous impliquons.
Votre accord d’association parle de coopération dans le domaine politique…
Oui, effectivement, lors des dernières élections, nous étions invités par l’Algérie pour envoyer une mission d’observateurs. Je ne suis pas en train de dire que nous n’avons pas de relations politiques avec l’Algérie, mais les élections dans tous les pays du monde se font par la volonté des peuples concernés et, en dépit de ce que dit la presse algérienne parfois, ce ne sont pas les électeurs de Pittsburg, de Toulouse où de Carlsbad qui votent lors de ces élections.
L’UE soutient-elle la candidature du président sortant ?
Je n’ai absolument rien à vous dire par rapport à cela, car l’UE ne travaille pas ainsi. Nous ne nous impliquons pas en faveur d’un candidat ou d’un autre. Ce n’est pas dans les pratiques de l’UE.
Entretien réalisé par Mohamed El-Ghazi