L’autoroute Est-Ouest coûtera plus de 13 milliards de dollars bien que loin des normes internationales
Le ministre des Travaux publics annonce officiellement que l’autoroute Est-Ouest programmée initialement à sept milliards de dollars a coûté à ce jour 13 milliards de dollars, avec des tronçons encore non achevés, alors que des officiels avaient annoncé à la télévision publique algérienne et à l’APS la fin des travaux pour fin 2010 et proclamé officiellement par l'ex-ministre des Travaux publics que le coût global final ne dépassera pas 11 milliards de dollars. Ce montant de plus de 13 milliards de dollars que j'avais estimé – ayant accès au dossier – a été repris par la presse algérienne et internationale (2010/2012) et les principales agences de presse internationales en 2012. Il est étonnant qu'il soit dévoilé officiellement maintenant. Au moment où des tensions budgétaires s’annoncent inévitables avec le cours bas des prix du pétrole, le langage de la vérité des gouvernants s’impose s’ils veulent être crédibles et mobiliser la population. Dépenser est une chose, gérer suppose à la fois de la compétence et de la moralité. Car même un analphabète avec des centaines de milliards mis à sa disposition peut réaliser cette autoroute, la facilité étant l’appel massif aux compétences étrangères et de dépenser sans compter grâce à la rente des hydrocarbures pour paraphraser la directrice du FMI concernant l’Algérie.
Le coût réel de l’autoroute Est-Ouest
Tout projet fiable doit mettre en relief, clairement, la hiérarchie des objectifs, les résultats escomptés par secteur, la portée, les indicateurs de performance, les indicateurs des objectifs et des échéanciers précis et, enfin, l’hypothèse de risques. Or, les responsables de ce projet s’en tiennent vaguement au descriptif technique, sans se préoccuper des coûts, ce qui devrait être en principe la préoccupation principale tant du gouvernement, du ministre que des managers, qui est le suivant : linéaire : 1 216 km ; profil en travers : 2×3 voies ; vitesse de base : 100 à 120 km/h ; nombre d’échangeurs : 60 environ (avec option de péage) ; 24 wilayas desservies ; équipements : aires de repos, stations-service, relais routiers et centres d’entretien et d’exploitation de l’autoroute. L’autoroute Est-Ouest ne modifiera pas le paysage routier national, puisqu’elle va pour l’essentiel suivre le tracé des nationales 4 et 5, qui relient Alger à Oran et à Constantine. En revanche, elle risque de bouleverser la vie économique des 19 wilayas directement traversées et des 24 desservies. Dans un pays où 85% des échanges commerciaux s’effectuent par la route, l’impact risque de se faire sentir rapidement. Onze tunnels devaient être percés sur deux fois trois voies et 390 ouvrages d’art réalisés, dont 25 viaducs, pour joindre les frontières tunisiennes, à l’est, et marocaines, à l’ouest, et réaliser l’autoroute transmaghrébine. Or, selon mes calculs, j’avais informé les pouvoirs publics en 2011 que le coût prévisionnel de l’autoroute Est-Ouest est estimé à plus de 12 milliards de dollars sans les annexes, soit entre 13 et 14 milliards de dollars avec toutes les annexes. Et ce, suite à de nombreuses observations, en sus des automobilistes, qui s’étonnaient de voir un tel mégaprojet livré parcimonieusement et de surcroît dépourvu d’équipements annexes comme les aires de repos, les stations-service et les stations de péage. Le programme d’équipement consiste en la réalisation de 42 stations-service, 76 aires de repos (motels, aires de stationnement, aires de jeux…), 57 gares de péage, 70 échangeurs et 22 postes de garde de la gendarmerie et autant de points de garde de la Protection civile. A cela, il faudra prévoir les coûts d’entretien, car on oublie souvent qu’une route s’entretient et selon les normes internationales, cela varie entre 84 000 dollars à 135 000 dollars/an et par km. Cela pose le problème du coût du péage.
Comparaisons internationales
Il existe des variations selon qu’il y ait contrainte ou pas. Le rapport officiel de la documentation française pour 2006/2007 sur une route à deux voies donne une moyenne de 7 millions de dollars au km hors taxes. Cela n’étant qu’une moyenne, car en affinant l’on constate, selon les régions, une moyenne fluctuant entre 5 et 8 millions de dollars hors taxes. Pour l’Europe, il existe, selon une intéressante étude de la direction des routes danoises (2006), d’importantes disparités en moyenne générale selon les contraints et les non contraints. Ainsi, pour l’Espagne, le Portugal, le Danemark, la Suède, le coût est de 3 à 4 millions de dollars le kilomètre construit, la France et l’Allemagne se situant dans une fourchette intermédiaire 6/7 millions de dollars pour le km (selon le contraint ou le non contraint en fonction ou pas des ouvrages d’art). Mais il faut éviter des comparaisons hasardeuses et comparer le comparable. En Algérie, tous les facteurs sont favorables. La main-d’œuvre est au moins 10 fois moins chère qu’en Europe ; il n’y a relativement presque pas d’intempéries ; les matériaux utilisés en grande quantité, les agrégats (tuf, sables et graviers), ne coûtent pratiquement que leurs frais d’extraction et le concassage, le carburant est 5 à 7 fois moins cher, les loyers, l’électricité et le gaz aussi, les occupations temporaires de terrains qui coûtent des fortunes en Europe ne sont même pas payantes en Algérie lorsqu’il s’agit de terrains relevant du domaine public. Mais il y a des problèmes administratifs et des procédures bureaucratiques sans compter les expropriations et les démolitions qui sont source de surcoûts. Ainsi, il faut se comparer au comparable. Prenons trois exemples, au Maroc : l’autoroute Casablanca-El-Jadid, d’une longueur de 81 km avec un coût global de 3 millions de dollars, a été financée par des emprunts octroyés par la Banque européenne d’investissement (BEI), le Fonds koweïtien pour le développement économique arabe (FKDEA) et le Fonds arabe pour le développement économique et social (FADES). Quant à l’autoroute Marrakech-Agadir, le coût a été pour 233 km environ 3,5 millions de dollars par km. Pour l’autoroute du Maghreb Fès-Oujda, d’une longueur de 328 km, avec certainement une perspective de jonction avec l’autoroute algérienne Ouest-Est, elle avait été estimée à un coût prévisionnel de 2,7 millions de dollars le km. Selon les données en ma possession dans certains pays d’Afrique, le coût est encore moindre. Pourquoi donc le coût de l'autoroute Est-Ouest est-il si élevé alors que selon la norme internationale d’une autoroute, il doit fluctuer entre 5 et 6 millions de dollars le kilomètre et au maximum 7 à8 millions de dollars avec les annexes, et même moins pour des pays voisins au niveau du Maghreb et pour certains pays d’Afrique ?
Urgence de la maîtrise de la dépense publique
Le problème est posé et ces surcoûts exorbitants ne concernent pas seulement l’autoroute Est-Ouest, mais la majorité, avec de rares exceptions, des projets sectoriels (habitat, transport, industrie, énergie, prestations de services, etc.).Bien qu’il faille ne pas confondre l’acte de gestion, gérer c’est prendre des risques si l’on veut développer les énergies créatrices ; avec l’acte de corruption préjudiciable à la société, la majorité des cadres étant honnêtes, cela pose la problématique d’un véritable contrôle qui doit être global. Il doit concerner en plus du contrôle routinier des services de sécurité, l’ensemble de la société supposant un Etat de droit la réhabilitation du contrôle de la société civile, du Parlement, de la Cour des comptes, institution dépendante de la présidence de la République, car l’Inspection générale des finances dépendant du ministre des Finances a un impact limité, car relevant de l’Exécutif. Le guide de management des grands projets d’infrastructures économiques et sociales élaboré par la Caisse nationale d’équipement pour le développement (CNED) et la soumission de toute réévaluation des projets au-delà de 15% à l’aval du Conseil des ministres, contribueront-ils à affiner l’action des pouvoirs publics en matière d’efficience des dépenses publiques ? Mais qu’en sera-t-il sur le terrain, l’expérience montrant un divorce moyens de réalisation-objectifs avec des surcoûts exorbitants ? Sans une gouvernance rénovée, une visibilité et une cohérence de la politique socioéconomique supposant l’intégration de la sphère informelle, produit du dysfonctionnement des appareils de l’Etat produisant la corruption, le contrôle budgétaire sera un vœu pieux avec un impact limité. Et la facilité devant les problèmes est de se réfugier derrière des lois (l’Algérie a les meilleures lois du monde mais rarement appliquées) ou des aspects techniques qui en fait produisent, du fait de la gouvernance mitigée et du pouvoir bureaucratique inefficient, l’effet contraire. Cela s’explique par le manque de vision stratégique, faute de contrepoids politiques véritables, par la dévalorisation du savoir, fondement de la gouvernance et d’un dialogue social et économique serein.
Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités