Education : ces sujets qui ne trouvent pas de solution
Par Bachir Hakem – Les cours particuliers, au lieu de venir au secours de l’élève pour améliorer ses connaissances ou compléter le rôle de l’école, sont en train de détruire tout apport pédagogique de l’école publique. Le problème est aujourd’hui comment y remédier. Depuis quelques années, des formes de soutien scolaire hors école se développent : coaching scolaire, cours particuliers, école de devoirs, etc. Avec les cours particuliers, c'est toute la question de la remédiation qui s'externalise en dehors de l'école. Au lieu de se tourner vers des dispositifs de remédiation interne à l'école, pour autant que l'école offre de tels services, les parents vont avoir recours à une aide extérieure, une aide qui a un coût financier conséquent, une aide qui pose question… Les cours particuliers ne sont pas une pratique récente, mais ce recours s'est étendu au XXe siècle et le récent développement d'établissements offrant des cours privés payants fait exploser ce marché. Ces constats d'un développement d'une «école» en parallèle, concurrente et complémentaire à l'école, d'une école après l'école, nous renvoie directement à la problématique de l'échec scolaire. En effet, pour lutter contre l'échec scolaire ou les difficultés d'apprentissage de leur enfant, les parents vont souvent dépenser des sommes conséquentes en remédiation, cours particuliers, coaching. Rien n'est trop bon pour leur permettre de réussir ! L'école ne leur semblant pas à même de répondre seule à l’échec scolaire, les parents cherchent les clés de la réussite en dehors.
La préoccupation pour l'école n'est pas nouvelle. L'école, passage obligé vers l'insertion sociale et professionnelle, est une étape importante dans la vie de chacun. Le jeune passe plus de dix ans de sa vie dans un établissement scolaire. L'obtention du diplôme est indispensable dans notre société pour avoir un métier et reste important, qu’on l’admette ou non, en matière de statut social. Cette course aux diplômes crée une grande compétition dans le monde scolaire. Si tous les jeunes et les familles sont engagés dans cette compétition scolaire, tous ne sont pas égaux et n'ont pas les mêmes chances et ressources (les jeunes et les familles ne sont pas égaux face à l'école, de nombreuses inégalités sociales et économiques existent). Pour faire réussir leurs enfants, les parents vont mettre en place un certain nombre de stratégies : achat de matériel didactique, livres d'exercices supplémentaires, aide des parents dans les devoirs et leçons, paiement d'un professeur particulier, inscription du jeune en étude dirigée, en stages d'études durant les vacances, etc. Car bien souvent, l'échec de l'enfant est vécu par les parents comme un échec parental. Véritable phénomène de mode ou réelle nécessité, les cours particuliers, qualifiés également d’«enseignement à la carte», constituent une ressource financière assurément importante pour les éducateurs qui ont opté pour cette voie, au demeurant très lucrative. Des «heures supplémentaires» qui ne s’effectuent pas toujours, en revanche, dans des conditions pédagogiques convenables, tant par le nombre d’élèves retenus que par le lieu choisi. Certains enseignants que d’aucuns qualifient de «hors-la-loi» exercent, quant à eux, dans des établissements privés, sans autorisation préalable, alors que d’autres mettent, à la fin du cours, leurs cartables au placard pour porter la casquette de «taxieur». Une manière d’arrondir, pour certains, des fins de mois difficiles ou de mettre du beurre dans leurs épinards pour d’autres. C’est selon. Mais quand ces «extras» se font au détriment des élèves, avec souvent la bénédiction de parents démissionnaires, ne lésinant pas sur les grosses dépenses pour des cours dispensés parfois dans des… hangars mal éclairés et à l’hygiène douteuse, l’on s’interroge comment un élève éprouvant des difficultés à assimiler le programme dans une classe d’école réglementaire arrive à mieux comprendre dans des conditions inadéquates ? Mieux encore : comment peut-on expliquer le fait qu’un élève tout juste inscrit en première année primaire soit contraint à suivre des cours… particuliers ?
Pour reprendre ce que pense tout professeur digne de ces cours particuliers ou d’école parallèle et ce qu’on peut lire dans différents journaux avec le même mépris pour ce phénomène tout en rejetant la responsabilité de l’enseignant : il est vrai qu’on a honte d'être professeur quand on voit certains de nos collègues et heureusement pas tous… «pousser le bouchon un peu trop loin». Ceux qui ne terminent pas un cours ou le survolent en disant aux élèves «que ceux qui veulent plus de détails n'ont qu'à venir à mes cours»… Il est vrai que des cours de soutien dans un garage humide, sale et puant, est un manque de respect envers soi-même ! Descendre à ce point ! Quelle honte ! Un peu d'éthique, voyons ! Il est tout aussi vrai que des cours de soutien donnés à une quarantaine d'élèves sont pure escroquerie ! Et ces cours «ne soutiennent rien du tout» vu le nombre ! Mais MM. les pédagogues, qui n'arrêtent pas de nous accuser en nous mettant tous dans le même tas (et là je ne cherche à juger personne), devraient savoir qu'il est question de «demande». Ce sont les parents qui «veulent» ces cours pour leurs enfants et réservent souvent un budget spécial surtout pour les classes d'examen ; les enseignants ne font que répondre à la demande. Les couples qui travaillent préfèrent «mettre le paquet» que d'aider leurs enfants à faire leurs devoirs, de plus les programmes changent et les méthodes aussi déjà que «nous autres du métier» avons du mal à suivre ! Pourquoi «ces pédagogues» qui nous pointent du doigt ne disent-ils pas que les profs ont une paye minable pour la masse de travail qu'ils ont à faire ? Pourquoi ne disent-ils pas que les classes sont surchargées ? Et qu'il est impossible de s'occuper au cas par cas ? Pourquoi ne se posent-ils pas la question comment font ces enseignants, déjà fatigués par une semaine de travail avec la voix totalement cassée en fin de journée (les problèmes de voix ne sont même pas reconnus comme maladie professionnelle alors que sous d'autres cieux si !) et qui sacrifient leurs heures de repos pour essayer de joindre les bouts du mois ? Juste pour pouvoir avoir un dessert, car la paye est bouffée par le crédit de leur «voiture, comme ironisent certains, sinon, ça les gêne que les pauvres fonctionnaires que nous sommes roulent en automobile à crédit ? Les cours de soutien sont effectivement un constat d'échec ! Mais l'échec de notre école tout simplement, les parents n'arrivent pas à suivre leurs enfants et les
enseignants donnent mieux quand ils ont un groupe de dix par séance ! Les
enseignants ont le temps et «l'espace» de se pencher sur chaque cas (remise à niveau, révision générale, applications et j'en passe …). Osons le dire ! Les cours de soutien ne sont nullement une obligation, ce sont les parents qui se sentent «obligés» de faire quelque chose afin que leurs enfants réussissent… peut-être ! Et puis les profs sollicités pour cela n'iront pas «cracher» sur une petite ou… grosse somme pour arrondir leurs fins de mois difficiles ! Bref, chacun trouve son compte dans cette histoire.
Aujourd’hui, le ministère, comme d’habitude, vient d’installer une commission spéciale pour lutter contre ce fléau des cours particuliers qu’on a maintes fois dénoncé. Mais la lutte contre les cours particuliers est impossible. Vu que le problème se pose à différents niveaux : le premier est le pouvoir d’achat de l’enseignant qui n’arrive plus à joindre les deux bouts malgré toutes les augmentations de salaire dont ont profité certains anciens professeurs en fin de carrière, car un enseignant débute à 30 000 DA, c’est-à-dire 160 euros et moins pour le cycle primaire et le collège. Le second est le statut de l’enseignant qui ne lui permet pas d’évoluer dans sa carrière. Et qui depuis 2003 attend d’avoir un statut digne du métier d’éducateur. Le troisième est la démission des parents d’élève et leur ingérence dans l’éducation pour la réussite de leur enfant, quels que soient les moyens. Le quatrième, l’un des plus importants, c’est la charge du programme enseigné qui ne correspond au niveau des élèves. Le professeur n’arrive plus à faire un maximum d’applications en classe. Le cinquième est la surcharge des classes qui ne permet pas à l’enseignant de suivre ses élèves cas par cas et de découvrir leurs difficultés. Le sixième est la valeur de l’heure supplémentaire qui est, pardonnez le mot, une insulte pour l’enseignant, car elle vaut 170 DA, c’est-à-dire un euro. Le septième est le dysfonctionnement entre le niveau de l’élève et le programme enseigné. Le huitième, c’est la démission de certains enseignants vu l’ingratitude de la société à commencer par leur tutelle, les parents d’élève, les élèves eux-mêmes et la société dans son ensemble. Le neuvième est le niveau et la qualité des sujets d’examen et la qualité des livres qui se trouvent sur le marché et que les amateurs de cours particuliers utilisent, car maintenant sans être professeur dans la spécialité, on peut donner ces cours, il suffit d’avoir un strict minimum de connaissance dans la matière et faire du copier-coller pour avoir des groupes de 40 avec une publicité de réussite totale et une diffamation sur les cours de classe qui ne servent plus à rien.
La solution se trouve au niveau de toute la société
Donc, le problème des cours particuliers est créé par le ministère de l’Education lui-même à 80% et non par les enseignants, de plus, 50% des travailleurs qui donnent ces cours sont pour la plupart dans le secteur autre que l’éducation ou bien des retraités qui pour la plupart n’ont pas été touchés par les dernières augmentations. Et même si quelqu’un voudrait lutter contre, ceci est impossible et même les personnes qui sont dans tout le ministère de l’Education ou un autre ministère envoient leurs enfants soient dans des écoles privées ou vers les cours particuliers. Ces cours particuliers sont pratiqués pour des élèves des écoles privées, ce qui est anormal. Et même les membres des commissions créées pour lutter contre ces cours envoient leurs enfants à ces séances ; je défierai tous les membres des commissions créées et qui seront créées à l’avenir de prouver que leurs enfants ne font pas ou n’ont pas fait des cours particuliers, je nommerai Mme la ministre elle-même. Maintenant, le mal est ailleurs et sa solution se trouve au niveau du ministère et de toute la société, car pour qu’il n’y ait pas de cours particuliers, il suffit que ce qui se fait en dehors se fasse à l’intérieur de la classe et que les parents s’occupent de leurs enfants et les laisser refaire leur année lorsqu’ils ne sont pas au niveau. Donc lutter contre les cours particuliers par la force n’est pas la solution. Ce ne sont pas des commissions créées n’importe comment qui vont trouver la solution, car même les membres de celle-ci comprennent soient des personnes qui ont envoyé leurs enfants à ces cours-garage ou ont eux-mêmes pratiqués ces cours avec une très grande affluence. Les cours particuliers sont aujourd’hui même assurés par ceux qui donnent des leçons sur ce phénomène qu’ils soient enseignants ou inspecteurs ou parents d’élèves ou responsables au niveau même du ministère de l’Education. Donc, engager une guerre contre les cours particuliers est une erreur, la vraie démarche à prendre c’est d’engager une lutte contre les raisons qui ont amené la montée de ce phénomène qui a nui aussi bien à l’éthique de l’enseignant qu’à l’école elle-même. Et je finirai par dire à Mme la ministre que l’éthique de l’éducation, c’est de ne plus voir d’enseignant donner des cours dans des garages, de ne plus voir une école parallèle à l’école après 16h, de ne plus voir des classes à plus de 30 élèves, de ne plus voir des classes sans professeurs ou avec des professeurs sans formation, de ne plus voir des responsables sans niveaux et qui créent eux-mêmes les problèmes, de ne plus voir des classes sélectionnées à l’intérieur du même établissement suivant les moyens du père, de ne plus voir des décisions qui contredisent les conseils de classe, de ne plus permettre à certains établissements d’accueillir des élèves qui habitent loin de l’établissement alors que leur domicile se trouve tout près d’autres établissements, de doter les établissements de surveillants suffisants, et le plus important, c’est que le travailleur de l’éducation doit avoir un salaire digne ainsi qu’un statut lui permettant de progresser dans sa carrière, alors, à partir de là, le secteur de l’éducation sera plus stable. Les syndicats n’ont rien à voir avec la stabilité du secteur, car ces représentants sont pour la plupart détachés, donc loin du métier d’enseignant et ce ne sont pas eux qui ont créé des classes à plus 50 élèves, ni eux qui ont diminué le nombre de postes budgétaires et par là le nombre de professeurs, ni eux qui ont fait les programmes, ce ne sont pas eux qui ont désigné certains responsables incompétents, ni eux qui diminué le nombre d’encadreurs, ni eux qui ont dit aux parents d’élèves de diriger les établissements, ni eux qui ont créé la violence à l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement. Donc, l’éthique de l’éducation est l’affaire de toute la société et ce n’est pas aux syndicats de la signer, car une charte d’éthique de l’éducation doit être adoptée par toute la société et dans laquelle doit figurer l’école et non pas comment faire une grève (qui est défini par le code du travail et la Constitution) ou les devoirs d’un enseignant (définis par son statut, le statut de la fonction publique et par la loi d’orientation du 23 janvier 2008). La charte d’éthique de l’éducation est une des orientations de l’Unesco, mais qui n’a aucun rapport avec les syndicats. La société tout entière doit décider quelle école voulons-nous et par-là dresser une charte d’éthique qui sera adoptée par un haut conseil de l’éducation qu’il faut créer et par le Parlement, car cette éthique ne doit pas être un pacte social. Un syndicaliste signe un pacte social et non une éthique de l’éducation, car il ne représente pas tous les acteurs de celle-ci.
B. H.
Professeur de mathématiques au lycée Colonel-Lotfi d’Oran
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