Une contribution de Youcef Benzatat – Quel message le général Toufik a-t-il voulu délivrer aux Algériens ?
Après le général Khaled Nezzar, c’est au tour du général Mohamed Mediene d’élever la voix contre la parodie de justice qui a mené à la condamnation du général Hassan à cinq années de prison ferme. Des voix qui grondent, donc, contre cette condamnation, et pas des moindres, puisqu’il s’agit de deux maillons très importants de la chaîne de commandement de l’Armée nationale populaire, garante de la défense de la souveraineté nationale. Si le premier avait qualifié de criminelle (au sens pénal, ndlr) la condamnation du général Hassan, Mohamed Mediene évoque une injustice envers un patriote animé d’une passion exemplaire au service du pays. Car qui mieux placé que l’ex-patron du DRS pour juger un élément de son département sur son honnêteté professionnelle, sa loyauté et son dévouement pour les missions dont il était chargé afin de préserver la sécurité des citoyens et des institutions de la République ? C’est dire que quelque chose ne tourne pas rond dans les sphères du pouvoir pour que deux de ses principaux animateurs à la retraite s’offusquent d’une telle condamnation. Il est inutile de rappeler l’opacité et l’effacement médiatique qui entourait Mohamed Mediene par le passé, et ce, quelles que soient les circonstances. S’il est sorti exceptionnellement de sa réserve, c’est que derrière cette condamnation se dissimule probablement un fait d’une gravité critique qui l’aurait amené à briser le silence. En s’adressant à l’opinion générale de façon explicite : «(…) J’ai estimé qu’il est de mon devoir de faire connaître mes appréciations à l’intention de tous ceux qui sont concernés par ce dossier, ainsi que tous ceux qui le suivent de près ou de loin», non sans avoir averti qu’il avait au préalable «usé de toutes les voies réglementaires et officielles», ne voulait-il pas alerter l’opinion sur sa préoccupation devant la gravité d’un tel fait ? Par son «intrusion médiatique», Mohamed Mediene voulait-il délivrer un message aux Algériens en se gardant de s’étaler sur les détails qui, d’ailleurs, sont connus de tous, pour éviter certainement le traitement qu’a connu le général Benhadid, en ayant détaillé les dérives qui caractérisent la gouvernance de l’entourage de Bouteflika ? Car il ne s’est pas contenté d’exiger la réparation d’une injustice dont le général Hassan est victime, mais de préciser que cette affaire suscite naturellement «des questionnements légitimes». S’agit-il d’une mise en garde contre une dérive plus grave que le traitement arbitraire de cette affaire ne laisse penser de la part des tenants du pouvoir actuel ? Sinon, pourquoi s'emploie-t-il à mettre en garde contre d’éventuels dévoiements de ses propos et de leur détournement du but recherché ? Quel but son «intrusion médiatique» recherchait-elle ? Mohamed Mediene ne pouvait sortir de sa réserve exclusivement pour mettre en garde l’opinion contre l’incohérence et l’arbitraire qui se sont emparés de la justice militaire et de ses éventuels commanditaires, que tous les Algériens peuvent aisément imaginer. Il apparaît clairement dans ses propos qu’il s’agit moins «de laver l’honneur» du général Hassan ou de quelques victimes de l’arbitraire et de l’acharnement de la justice, que de pointer du doigt la vulnérabilité de tout cadre entièrement dévoué à la défense de l’Algérie. Tout en précisant que «sa loyauté et son honnêteté professionnelle ne peuvent être mises en cause», il poursuit explicitement en mettant l’accent sur le fait qu’«il fait partie de cette catégorie de cadres capables d’apporter le plus transcendant aux institutions qu’ils servent». Il en ressort, donc, que c’est leur patriotisme qui est la cible de cet acharnement et Mohamed Mediene voulait alerter l’opinion sur cet état de fait. On est en droit de déduire que le contenu de son message est une mise en garde contre cette dangereuse causalité entre patriotisme et acharnement judiciaire, qui ne peut avoir pour conséquence, à terme, qu’une atteinte à la souveraineté nationale. Comme il l’a lui-même suggéré en incitant l’opinion àdes questionnements légitimes. Qui mieux placé que l’ex-patron du DRS pour être au fait de la perte de souveraineté nationale sous l’ère des frères Bouteflika, de Chakib Khelil et de tout le sérail à leur service, dont le critère de cooptation se mesure à leur déficit de patriotisme et à leur aptitude d’être facilement maniables et volontairement perméables à la corruption ? On est en droit de le penser au regard des décisions économiques et financières prises sous la gouvernance de Bouteflika depuis près de 15 ans. A commencer par le gaspillage de près de 1 000 milliards de dollars, sans avoir permis à l’économie nationale de créer des richesses et donc des emplois, qui auraient permis une intégration socioéconomique des Algériens et l’émancipation de la dépendance de la rente. Pis, dans sa fuite en avant, sous la pression internationale, l’Exécutif sous Bouteflika ira jusqu’à hypothéquer les perspectives de développement en profondeur des capacités productives nationales en ouvrant la voie à la profanation des immenses territoires du Sud algérien à l’exploitation des hydrocarbures de schiste. Dans ce sillage, une chaîne de télévision américaine fait état d’une promesse d’investissements algériens aux Etats-Unis d’ici 2019 d’une somme de près de 260 milliards de dollars, faite, selon cette chaîne, par le ministre de l’Industrie et des Mines, Abdesselam Bouchouareb, accompagné du président du FCE, Ali Haddad. Aussi fantaisiste soit-elle, cette information renseigne du moins sur l’absence de préoccupations de l’Exécutif face à la priorité de dynamiser l’économie nationale et sa soumission aux chants des sirènes. Ces dérives antipatriotiques ne permettent plus de spéculer sur une quelconque crédibilité «du programme du Président». Et comble de mépris envers les Algériens et leurs intérêts vitaux, l’Exécutif ne se gêne pas de voter une loi de finances 2016 antisociale, sans précédent depuis l’accès de l’Algérie à l’indépendance. En prenant à témoin l’opinion algérienne, Mohamed Mediene voulait-il tout simplement dénoncer la perte de souveraineté nationale au profit des véritables commanditaires de ces parodies de justice et des purges en cascade au sein de la chaîne de commandement de l’armée nationale et des services, dont il est témoin et victime ? En d’autres termes, le général Mohamed Mediene voulait-il tout simplement nous avertir du danger de la situation, par le fait que l’Algérie vient de consommer son passage de la tutelle du DRS à celle d’une puissance étrangère ?
Youcef Benzatat