Une contribution de Youcef Benzatat – 8 mars : dépasser l’hypocrisie et refuser la fatalité des dogmes
Le combat pour l’émancipation de la femme devrait concerner en premier lieu la déconstruction de nos structures mentales patriarcales. L’émancipation de la femme, tout en étant un enjeu majeur pour le développement de la société, n’en demeure pas moins tributaire de l’émancipation de l’homme lui-même, aliéné à son tour par une culture patriarcale héritée d’une tradition machiste ancestrale, qui vient renforcer un statut misogyne inscrit dans la Loi fondamentale et influencé par un imaginaire mythologique religieux millénaire. C’est dire que le développement de la société est impérativement redevable de l’émancipation de toutes les catégories de sa composante, aussi bien des femmes, des hommes, que des enfants, dont le statut devrait évoluer vers plus de considération en tant que personnes à part entière. De ce fait, militer pour l’émancipation de la femme ne peut se réduire à la stigmatisation de l’un des aspects de la société qui participent à son aliénation et négliger le reste. A savoir, substituer une haine à une autre, en substituant celle dirigée contre la femme à la haine de la religion par exemple. Dans ce cas, militer pour l’émancipation de la femme, c’est militer pour l’émancipation de toute la société et élever ce combat au-delà des blocages sociétaux pour en faire un combat politique, puisqu’il s’agit de la reconsidération de tous les fondements de la société. Certes, le combat des femmes sur tel aspect ou tel autre de leur aliénation peut aboutir à des victoires partielles, mais le problème de leur statut inférieur dans la société dans lequel elles sont recluses demeure entier et les victoires acquises n’en demeurent pas moins qu’illusoires, car sitôt acquises, elles se heurtent aux contradictions qui structurent les fondements de la société, que cautionne institutionnellement la Loi fondamentale. Toute la question de leur émancipation ne peut donc trouver de véritables solutions que dans la reconsidération de la Loi fondamentale et en premier lieu l’émancipation de l’Etat lui-même. Il ne peut y avoir de souveraineté pour les individus sans souveraineté de l’Etat auquel ils appartiennent. En consacrant l’islam comme religion d’Etat – article 2 de la Constitution –, celui-ci se retrouve aliéné dans la religion et perd de ce fait sa souveraineté au profit de l’idéologie religieuse, pourvoyeuse, en tant qu’idéologie populiste, de tous les schémas patriarcaux du pouvoir, tels que l’autoritarisme, le totalitarisme, etc. Il ne suffit pas de décréter plus loin que «la liberté de conscience et la liberté d’opinion sont inviolables», que «la liberté d’exercice du culte est garantie dans le respect de la loi» (art. 36), tout en consacrant l’islam religion d’Etat, pour entretenir la confusion et neutraliser toute contestation de la part des différentes catégories de la société relative à leurs droits fondamentaux. Il ne suffit pas, non plus, de décréter que «le peuple est la source de tout pouvoir» (art. 6), ou bien que «le pouvoir constituant appartient au peuple», que «le peuple exerce sa souveraineté par l’intermédiaire des institutions qu’il se donne (…) et par l’intermédiaire de ses représentants élus» (art. 7), ou alors que «le peuple se donne des institutions ayant pour finalité (…) la protection des libertés fondamentales du citoyen et l’épanouissement social et culturel de la nation» (art. 8), alors que l’Etat lui-même souffre de l’absence de souveraineté, en étant aliéné dans l’idéologie religieuse. Militer pour l’émancipation de la femme, c’est d’abord et avant tout militer pour la souveraineté de l’Etat, comme garant de toutes les libertés fondamentales qui définissent la citoyenneté dans le cadre d’un Etat démocratique et républicain. En dernière analyse, le combat pour la liberté n’est pas du ressort exclusif des intellectuels et des politiques. Il appartient à tout citoyen ou citoyenne d’y contribuer, par tout moyen. Par le débat d’abord. Ensuite, l’éprouver dans sa propre existence et le traduire dans la conduite de sa propre vie. La liberté n’est pas une affaire de désir, elle est le souffle qui conditionne notre bonheur. A la question : «Qu’est-ce que le bonheur ?», le poète répond : «C’est se sentir libre.» Libre d’organiser son rapport au monde, aux autres et à l’absolu. Le combat pour l’émancipation de la femme est indissociable de celui de tous les citoyens. Il devrait concerner en premier lieu la déconstruction de nos structures mentales patriarcales et notre imaginaire mythologique religieux sans pour autant porter atteinte à la spiritualité qui conditionne l’existence des croyants, dans la tolérance, sans stigmatisation, ni haine, ni exclusion. En définitive, notre combat pour la liberté devrait nous amener à construire une société où la femme puisse disposer de toute sa souveraineté sur son corps et son esprit. L’enfant respecté en tant que personne à part entière. L’athée et le croyant respectés dans leur rapport à l’absolu. Le choix personnel de la sexualité devrait être protégé par la loi, sans crainte de discrimination, à l’école, au travail, dans l’espace public, ainsi que dans sa propre famille. Le chemin est long, très long, tellement les embûches sont nombreuses et difficiles à surmonter. Il ne faut pas se leurrer, un seul chemin peut y mener : substituer la morale laïque à la morale religieuse à l’école, dans l’espace public et dans les institutions de l’Etat. Introduire dans les programmes scolaires et éducatifs une matière qui enseigne la sexualité et l’égalité entre les hommes et les femmes. En somme, dépasser l’hypocrisie qui régit les fondements de notre société en refusant la fatalité des dogmes et des «constantes» de nos valeurs civilisationnelles et identitaires.
Youcef Benzatat