Didouche Mourad : le fin stratège et l’ange gardien de la Révolution (IV)

5 Juillet
Didouche révéla une ambition sans conteste de futur leader de la révolution. D. R.

Par Abdelaziz Boucherit – Il décida de quitter Constantine pour rejoindre sa famille à Alger. Il adhéra au PPA en 1943 à Alger ; d’autres situaient son adhésion au PPA en 1942. Il débuta sa vie active en se faisant embaucher au chemin de fer, à la gare centrale d’Alger, dans un premier temps, comme cheminot, agent de maintenance, en attendant de devenir conducteur de train. Attiré par le discours24 des militants CGT et par la fraternité qui régnait entre ouvriers, il décida d’adhérer à cette organisation. La CGT le forma au rôle de militant actif et orienta ses lectures révolutionnaires. Il découvrit les idéologies et les histoires glorieuses des grands hommes révolutionnaires. L’histoire de la révolution chinoise avec Mao Tse Toung. Certainement, la révolution russe, avec les idées sur l’égalité des peuples. Didouche Mourad, par ses lectures et les débats entres militants, y trouva évidemment d’autres idées qui faisaient contrepoids à certaines de ses idées tabous et inutiles.

Cette expérience professionnelle de sa vie était une aubaine pour sa structure intellectuelle. Il finira transformé, sûr de lui, enrichi philosophiquement et épousant de nouveaux concepts idoines, sur les révolutions, précis et modernes ; sur la finesse de la pratique d’analyse révolutionnaire, des combats et des luttes. Mais, il se heurta, néanmoins, à un constat paradoxal : le comportement d’une communauté paisible et unie par la fraternité à l’intérieur de l’entreprise, au travail, et une autre communauté divisée, méprisante et indifférente l’une envers l’autre, à l’extérieur. Dès la fin du travail, s’arrêtait la fraternité et la solidarité ; les Européens rentraient chez eux dans leurs luxueuses habitations et les Algériens dans leurs taudis. Et, comme par magie, les Européens ignoraient soi-disant leurs camarades algériens en dehors du travail. C’est ainsi que Didouche Mourad deviendra, certes, un pur révolutionnaire, mais à travers une logique adaptée à la culture algérienne.

Hocine Aït-Ahmed devint responsable de l’OS le 13 novembre 1947, en remplacement de Mohamed Belouizdad, souffrant de la tuberculose. Il décida d’organiser une réunion au complet du comité central des jeunes du PPA. Il était composé d’Abderrahmane Taleb, Chergui, Mourad Didouche et Mohamed Tazirt dit Pacha. Didouche Mourad avait juste 20 ans. Il était le plus jeune des membres. Hocine Aït-Ahmed, son aîné de presque deux ans, fut étonné et charmé par la jeunesse, la maturité politique et les qualités intellectuelles de Didouche Mourad. Il l’intégra dans l’OS en lui confiant la mise sur pied une organisation militaire ultrasecrète25 : la fabrication des bombes en vue de la préparation de la lutte armée. En plus de sa mission secrète, il participa activement à la campagne des élections municipales. Le garçon était intelligent, actif, dynamique et infatigable.

Les qualités de Didouche, en plus de son éloquence et sa grande faculté d’adaptation, attirèrent sur lui les regards des responsables du MTLD et fut désigné comme renfort à l’ouest du pays pour aider les candidats du parti à l’élection de l’Assemblée algérienne. Ses positions nationalistes lors des rassemblements politiques inquiétèrent l’administration coloniale et fut arrêté pour entrave à l’ordre public. Il parvint, cependant, à s’enfuir du tribunal. Il fut frappé d’une condamnation par contumace à 10 ans de prison et passa dans la clandestinité. Lors de sa clandestinité, il se cacha avec Mohamed Maroc dans différents endroits de l’Algérois et puis dans la Mitidja, dans la ferme des frères Larbi et Mustapha Sahraoui. Mohamed Maroc est un jeune très intelligent, un ingénieur en électronique rompu aux finesses de la politique. Il était poursuivi, lui aussi, par la police. Il naquit entre Didouche Mourad et Maroc une sincère amitié et une grande complicité intellectuelle.

Maroc fut présenté à Hocine Aït-Ahmed par Didouche. Hocine Aït-Ahmed cherchait à l’époque quelqu’un pour diriger la section électronique et électrique de l’OS. Maroc arriva à se procurer des émetteurs/récepteurs de courtes distances et les mit au service de l’OS. On lui confia, alors, la responsabilité électronique et électrique dans l’OS. Maroc facilita, un temps, la communication dans l’OS. Il fut d’une grande utilité pour Didouche Mourad. Malheureusement, les chemins des deux amis se séparèrent : Maroc continua à soutenir Messali Hadj et finira responsable du MNA et Didouche ira au FLN/ALN comme responsable de la Zone 2.

Dès la dissolution du bureau politique des jeunes du PPA, dont Mourad Didouche était le principal animateur, tous les militants du bureau politique des jeunes furent versés dans l’OS. Mourad Didouche s’activa à former dix brigades clandestines dans différents quartiers populaires d’Alger : Belcourt, Ruisseau, La Redoute, Clos Salembier, Alger-Centre, la Casbah, Bab El-Oued, Saint-Eugène, El-Biar et Bouzaréah. Ces brigades servirent comme une aubaine, le 1er novembre 1954, d’ossature aux groupes de commandos qui déclenchèrent l’insurrection à Alger (Zone 4) sous la direction de Rabah Bitat.

En 1952, la recherche active de la police et la crainte de se faire dénoncer par les indicateurs créa une grande difficulté de circulation pour Didouche. De peur de se faire arrêter, comme pour tant d’autres militants, dans un contexte devenu dangereux et incertain, ses mouvements furent limités. Il demeura caché toutes les journées. La pression était telle qu’on décida de l’envoyer à Paris pour assurer le poste d’adjoint de la Fédération de France, auprès de Boudiaf.

Culture

Gilbert Meynier, personnage d’inspiration marxisante et contre le colonialisme, milita en 1957 contre la guerre coloniale. Après l’indépendance de l’Algérie, il devint moniteur d’alphabétisation, puis coopérant à l’Université de Constantine pendant trois ans. Il fit une description de Didouche Mourad dont le contenu empruntait à la platitude de la dialectique connue et étoffée par les préjugés des dogmes binaires du communisme. Soit on est communiste et on doit posséder forcément une forte culture, soit on ne l’est pas, et à ce moment, on est de faible culture. Voici l’image qu’il donna de Didouche Mourad : «Didouche a probablement lui aussi une culture bien faible. Il n’est sûrement pas bien musulman, étant donné ses antécédents dans la ‘‘vie civile’’, avant l’entrée dans le parti. Mais, il fait mine d’être attaché à des valeurs réputées musulmanes et il se fait fort de les défendre. Il apporte surtout au parti la flamme de l’activiste décidé à en découdre. Bon ‘‘allumeur de mèche’’, il reste le petit ‘‘jeune’’, l’écolier raté dont le premier, et le seul, métier fut celui de fonctionnaire du parti. D’un strict point de vue de statut, le parti ne lui fournit pas un surclassement. Mais par la caution politico-morale, le parti fut important pour rehausser un statut en danger26

Gilbert Meynier décrivit Didouche Mourad comme une révélation du parti, en partant certainement des récits des personnes qui avaient entendu dire, dix ans après sa mort et sans justifier ses sources : «La figure sympathique du futur chef historique, Mourad Didouche, fut au départ celle d’un adolescent fort ami des plaisirs, fréquentant les Européens et se mêlant à eux pour de chaudes (anisettes) et joyeuses soirées. Le parti le révéla. Il lui donna un statut et le sauva de ses mauvais penchants. ‘‘Nous l’avons trouvé dans le ruisseau’’, avait coutume de dire de lui, en plaisantant, son ami Ahmed Mehsas. Le PPA-MTLD fit régner avec succès son ordre moral dans les quartiers mal famés. Il offrit la salvation à nombre de mauvais garçons et de souteneurs. Il soumit la Casbah à l’action du groupe de choc antialcoolique (une sorte de police des mœurs) conduit par Rabah Zaaf27.» Mais il conclut, enfin, par une analyse qui nous semble plausible : «Mourad Didouche n’avait aucun point commun avec les messalistes et les centralistes, sauf peut-être le profil du fonctionnaire type du parti.» Gilbert Meynier reprochait-il à Didouche d’avoir été un grand révolutionnaire, mais pas communiste ? C’est, du moins, ce qu’on pouvait lire entre les lignes.

En effet, Didouche Mourad n’avait pas une vision intellectuelle basée sur la foi ni sur les concepts religieux. C’était, d’ailleurs, ce qui l’éloigna de la doctrine des messalistes qui basèrent leurs luttes politiques autour d’un caractère strictement religieux. Comme nous le rapporte Gilbert Meynier, encore lui : «Des responsables français étaient vus, par les messalistes, plus ou moins comme des munâfiqun (hypocrites, douteurs), voire comme des munkirûn (négateurs de Dieu)28

Pour Didouche Mourad et plus tard Abane Ramdane, il faut éviter de donner à la lutte tout caractère social ou religieux. Elle doit être une lutte de libération véritable. Pour eux, la révolution algérienne, une fois l’indépendance acquise, devrait apporter au peuple non seulement la liberté, mais la «démocratie économique» qui, seule, pouvait donner à l’homme algérien, avec la liberté, le sens de la dignité perdue. La justice sociale avait, à leurs yeux, un contenu précis et révolutionnaire ; la société algérienne devait être transformée. Sans nier la respectabilité de la diversité, des valeurs traditionnelles locales, ancestrales et musulmanes. Le rêve que le peuple fasse irruption dans la vie moderne. C’était des concepts d’un projet pour la préparation d’une solide charte politique du FLN.

On désigna Didouche Mourad, sur proposition conjointe de Hocine Aït-Ahmed et Djilali Reguimi, responsable de l’OS du centre d’Alger, pour abattre un criminel notoire, Touleb Lounes alias Agribissi29, un assassin quinquagénaire aux gages d’un bachagha en Kabylie. Certes, Didouche Mourad avait toutes les qualités requises : courage, sang-froid et une volonté inébranlable. Le tueur parfait, d’après les critères de ses responsables cités ci-dessus. Didouche Mourad se prêta, en effet, à deux reprises au jeu d’assassinat. Mais, une fois face à la victime qu’il tenait au bout de son arme, il renonça. Sa conscience intellectuelle et ses valeurs révolutionnaires lui interdirent de passer à un acte criminel facile. Didouche se faisait une grande idée de son statut de combattant révolutionnaire, il ne se voyait pas comme un tueur. On interpréta son renoncement à un manque d’expérience des actes terroristes. Sur quoi, Didouche Mourad rétorqua sans sourciller devant ses responsables que sa mission était un acte criminel et non un acte de résistance. Un révolutionnaire se devait de résister par tous les moyens contre un système politique, en l’occurrence le système colonial en Algérie, et non nettoyer l’Algérie des voyous. On trouvera les assassins de droit commun partout et dans tous les pays du monde. Ce n’est pas pour ça qu’on engage chaque jour une révolution contre eux. Didouche, âgé de 21 ans, venait de faire preuve d’une qualité de réflexion exceptionnelle et d’un niveau élevé. Il faisait bien la différence entre un acte terroriste et un acte de résistance révolutionnaire. On mesura, désormais, la maturité du «petit» qui avait fait du chemin et qui avait déjà atteint son développement intellectuel complet. On l’appela, depuis, par son nom et non par son sobriquet, le «Petit» ou «Le gosse». Didouche Mourad révéla une ambition sans conteste de futur leader de la révolution et on le comprit comme tel. Mais, il faut rendre hommage à l’honnêteté intellectuelle de Hocine Aït-Ahmed qui tempéra les ardeurs des partisans de la violence à tout-va en prenant la position suivante30 : «Personne, et moi le premier, ne le lui reprochera. Qui sait comment nous aurions réagi à sa place, au moment de tuer de sang-froid un homme, même si cet homme est un tueur.»

A. B.

(Suivra)

24 La position du Parti communiste et de la CGT depuis 1936. «La nation française n’est pas la nation du peuple algérien, c’est une nation étrangère au peuple algérien, c’est la nation de l’oppresseur, c’est la nation de l’impérialisme qui, par le feu et par le fer, s’est annexée l’Algérie et qui courbe sous l’esclavage la nation algérienne.» (Secrétaire Barthel)

25 Hocine Aït-Ahmed, Mémoire d’un combattant, p 106

26 27 Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN 1954-1962, éditions Fayard, p 134

28 Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN 1954-1962, éditions Fayard, p 93

29 Hocine Aït-Ahmed, Mémoire d’un combattant, p 143

30 Hocine Aït-Ahmed, Mémoire d’un combattant. L’esprit de l’indépendance. 1942-1952, p 143

Comment (2)

    KHIAR
    10 juillet 2017 - 16 h 46 min

    Didouche Mourad reste un exemple pour toutes les générations à venir de par ses idées, son engagement et son sacrifice »

    KHIAR
    10 juillet 2017 - 16 h 36 min

    Une page douloureuse de l’Histoire de l’Algérie (1830 – 1962).
    Des militants hors pairs et un long combat pour briser l’oppression coloniale. honneur et gloire a nos braves martyrs.Cliquez ici: https://www.facebook.com/salah.khiar.7/videos/1224434621019002/

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