Recueil de Khaled Nezzar : le Sahara Occidental et l’implication de la France
L’occupation du Sahara Occidental et les déclarations de parties marocaines, non démenties (1), qui prétendent remettre en cause les accords sur les tracés des frontières de 1972 inciteront Houari Boumediene à prendre conscience que l’Algérie est dans une période de danger et qu’il faut concentrer les efforts sur nos moyens de défense. Avec l’affaire d’Amgala, il se rend brusquement compte qu’une armée, ce n’est pas seulement des directeurs centraux réduits à des rôles de chefs de bureaux travaillant sous la férule d’un secrétaire général, attentif à ne pas faire de l’ombre au «patron», de braves chefs de régions enlisés dans leur routine et d’une poignée d’officiers professionnels sans pouvoir et, surtout, sans moyens.
Lorsqu’il me rappellera de l’Ecole de guerre de Paris, au moment le plus fort de la crise avec le Maroc, pour me demander d’aller à Tindouf afin de procéder à un état des lieux et de formuler des propositions, il est déjà prêt à regarder de plus près les handicaps de l’ANP et à lui porter remède. Après plusieurs semaines de présence sur place, marquées par de nombreuses visites aux unités disséminées sur le plateau, je reviens lui faire un compte rendu qu’il écoute d’une oreille attentive. Dans le rapport écrit que je lui remets, rapport élaboré et finalisé de concert avec les officiers sur le terrain, j’insiste que l’armée, pour pouvoir accomplir ses missions, doit être approvisionnée, qu’elle doit être encadrée, entraînée, organisée et que les hommes qui la composent doivent disposer des commodités qui permettent de supporter les conditions particulièrement difficiles du Grand Sud.
Dans cette partie de l’ouvrage, j’explique comment j’ai procédé à l’expertise demandée et j’évoque mon action au Secteur opérationnel Sud – Tindouf (SOST) de 1976 à 1979, dépendant de la IIIe Région militaire, ensuite à la tête de cette même région de 1979 à 1982. Les officiers, sous-officiers et soldats ont fait d’un quadrilatère calciné par les vents de sable et le soleil un immense champ d’exercices et de manœuvres, jusqu’à faire de leur armée un outil moderne et performant. Ces compagnons, stoïques, courageux et pleins d’abnégation méritent que soit rappelé ce qu’ils ont accompli.
Le plateau de Tindouf, particulièrement au cours des décennies 1970 et 1980, a constitué une étape importante dans la transformation de la structure et de la physionomie de l’ANP. Le séjour dans la IIIe Région militaire, par la relève normale des unités et par les affectations des jeunes du Service national, a été plus qu’une présence au corps dans une nouvelle région du pays, mais une plongée dans les profondeurs véritables de la patrie. Ce Sud où ils sont allés s’instruire et monter la garde burine désormais autrement l’image qu’ils se font de l’étendue de leur pays, de ses climats, de ses morphologies et de la diversité de ses us et coutumes.
Dans ces pages, je souligne l’apport de Chadli Bendjedid, une fois président de la république, dans la reconversion de l’armée et dans son équipement en matériels modernes. Le lecteur pourrait être surpris de me voir dire de bonnes choses sur Bendjedid, après avoir dit sur son compte, dans d’autres écrits, des choses peu amènes. Faisons la part des choses. Chadli, parce qu’il était issu de l’armée, connaissait ses insuffisances et ses imperfections. Il n’avait de contentieux personnel avec aucun des cadres de l’institution (2).
Bendjedid n’avait pas les mêmes blocages psychologiques et les mêmes peurs que son prédécesseur. L’organisation, la formation, l’équipement et la modernisation, commencés lentement dans les années 1960 et 1970, connaîtront un rythme plus profond et plus accéléré au cours de la décennie 1980.
Je me suis rendu compte, en rédigeant cette partie de mes mémoires, qu’il fallait décrire mon action dans l’ensemble plus vaste du contexte politique, en respectant sa linéarité. Je ne pouvais pas limiter ma narration au seul volet militaire qui, en l’état, n’aurait intéressé qu’un petit nombre de personnes, je devais donc aller plus loin. Tout au long de ma carrière, j’ai été témoin d’actes et de décisions qui ont eu un impact sur la vie du pays et sur l’armée, enclenché des dynamiques et poussé, quelquefois, l’armée à franchir le glacis atone qui entoure ses casernes.
Je reviens, entre autres points, sur les journées de dupe qui ont vu une poignée de «décideurs» militaires, sans mandat de leurs pairs, imposer, par le fait accompli, à la tête de l’armée et du pays «le plus ancien dans le grade le plus élevé». J’explique plus loin pourquoi cela a été possible et comment cela a été fait.
Je parle de l’action politique de Chadli Bendjedid qui a hérité d’un pays en voie de développement accéléré et qui n’a pas su continuer l’effort de son prédécesseur, jusqu’au moment où le spectre de l’émeute a commencé à hanter les rues de nos villes et de nos villages.
J’ai abordé la plupart de ces questions dans «Le procès de Paris. L’armée algérienne face à la désinformation». Je les reprends en les remodelant et en les adaptant au cadre particulier de cet ouvrage. J’aurai pu «les réserver» à la partie politique de ma carrière, c’est-à-dire au deuxième livre de mes mémoires. A la réflexion, il m’a paru judicieux de les rappeler ici parce qu’ils éclairent la période cruciale où l’armée, contrainte et forcée par la faillite des gouvernants et les émeutes nihilistes, est sortie de son rôle traditionnel pour le meilleur, pour le pays et, peut-être, pour le pire pour ses chefs.
Les pages que je consacre à ces événements sont une brève et nécessaire rétrospective pour comprendre comment les choses se sont déroulées.
(Suivra)
Comment (19)