Contribution du Dr Luis Portillo – La «5e colonne» ou l’ennemi intérieur
Par Luis Portillo Pasqual del Riquelme(*) – Selon des informations diffusées par les agences de presse et publiées par plusieurs journaux, notre ancien chef du gouvernement, Felipe González, s’est rendu au Maroc pour soutenir le makhzen oligarchique, exploiteur et colonialiste, après le revers sans équivoque infligé pour la deuxième fois par la plus haute juridiction de l’Union européenne, la Cour de justice, qui vient de rappeler que le Sahara occidental «est un territoire distinct et séparé» du royaume du Maroc, de même que ses eaux territoriales, qui avaient déjà été déclarées «zone économique exclusive» par le gouvernement de la RASD.
Il est vrai qu’à un moment à l’évidence aussi douloureux pour le régime expansionniste et colonialiste alaouite, il était impératif de soutenir l’ami marocain. Ce n’est pas, de très loin, la première fois, que notre ancienne éminence se transporte au Maroc, pour bénir, devant un parterre de sujets révérencieux, le «plan d’autonomie» marocain, autrement dit l’annexion des «provinces du Sud», autrefois 53e province espagnole. Avec quelle facilité et quelle désinvolture les provinces changent de nom et de maître !
Notre «ex» n’a eu aucun scrupule à «prendre la pose» une fois de plus, avec ses trahisons et ses mensonges («NON à l’entrée dans l’Otan», mais pas de sortie non plus). Il y a maintenant quatre décennies que ce même monsieur s’est autorisé ─ avec quelle légèreté ─ de se rendre dans les camps de réfugiés sahraouis, et là, devant une population sahraouie mal en point mais enthousiaste, de les enflammer en leur criant, le poing levé, qu’ils avaient raison et que la vérité était de leur côté, que le gouvernement de l’Espagne s’était rendu coupable d’«une mauvaise colonisation et d’une décolonisation pire encore en les remettant entre les mains de gouvernements réactionnaires, mais que son parti, le PSOE, serait à leur côté jusqu’à la victoire finale» (!). Voir la vidéo de cette harangue dans les camps de Tindouf.
Bien sûr, c’était une époque préélectorale, et celui qui plus tard deviendrait notre président du Conseil remplissait la cité universitaire de Madrid de manifestants brandissant des drapeaux du Polisario. Ses promesses n’ont pas tenu longtemps. Et il n’a jamais expliqué au peuple espagnol, et encore moins au peuple sahraoui trahi, les raisons de cette «volte-face» et d’une trahison aussi abjecte. Sans doute s’agissait-il de suivre les directives de Washington et de Paris, comme il en serait avec l’Irian Jaya, qui deviendrait la Nouvelle-Guinée : d’abord faire porter le chapeau à l’ONU, pour ensuite escamoter la question du référendum, en remplaçant un «peuple» par une «population» de milliers de colons marocains installés, par vagues successives, dans le territoire non autonome occupé militairement. Un crime de guerre, selon les termes de la quatrième Convention de Genève.
Dans une interview à la radio, il y a quelque temps, le deuxième couteau [ancien vice-président du gouvernement de Felipe Gonzalez], Alfonso Guerra, interrogé sur la question du Sahara occidental (qui, ne l’oublions pas, est encore aujourd’hui à l’ordre du jour du Comité de décolonisation de l’ONU), a répondu à son interlocuteur de la manière suivante : «Le Front Polisario a perdu des appuis». Sur l’insistance du journaliste («Quels appuis ?», lui a demandé celui-ci), Alfonso Guerra, dans ce langage obscur et ambigu qui est la marque de certains personnages politiques, lui a simplement répondu: «Non, je dis juste que le Front Polisario a perdu des appuis.» Il n’a pas précisé de qui il avait prétendument perdu ces appuis, ni pourquoi, laissant le journaliste et les auditeurs dans le noir.
Inutile de dire que j’ai toujours été antifranquiste, depuis ma plus tendre enfance, comme pourraient en témoigner les sinistres locaux de la sinistre Direction générale de la sécurité. Mais j’oserais presque affirmer que Francisco Franco lui-même n’aurait pas fait mieux. Et lui n’aurait sans doute pas failli – en ce qui concerne le référendum au Sahara alors en voie de réalisation – aux engagements et aux obligations internationaux de l’Espagne envers le peuple sahraoui et la communauté internationale, comme l’a fait si honteusement le chef du gouvernement alors en fonction (qui deviendra plus tard le roi Juan Carlos).
La chanteuse sahraouie Mariem Hassan, trahie et brisée de douleur, l’a dit très clairement à Felipe Gonzalez et à l’humanité toute entière en immortalisant son cri et son réquisitoire pour l’histoire dans Shouka (l’épine), qui retrouve toute son actualité aujourd’hui avec la nouvelle trahison de notre ex lors de sa récente visite au Maroc. Shouka est un chant extraordinaire dans lequel Mariem Hassan répond à Felipe Gonzalez et le blâme pour sa trahison et les belles paroles qu’il a prononcées dans ce discours, courageux en apparence, devant les Sahraouis réfugiés à Tindouf le 14 novembre 1976, premier anniversaire de la signature des infâmes Accords de Madrid, un an après la mort du dictateur.
Et maintenant que nous commémorons le 42e anniversaire de la proclamation de la RASD (27 février 1976), alors que le peuple sahraoui, en recourant exclusivement à la légalité internationale, a vaincu les prétentions annexionnistes du makhzen ; que nos députés se rendent dans ces mêmes camps de réfugiés – représentant «le meilleur du peuple espagnol», selon les mots qu’utilisait Felipe Gonzalez à l’époque dans ce discours historique du 14 novembre 1976 – ; alors que l’UE a une fois de plus donné raison au peuple sahraoui et à son avant-garde, le Front Polisario, Felipe Gonzalez n’a aucun scrupule à baisser son pantalon devant le prodigue (si l’on se réfère à sa tendance à signer généreusement des chèques) régime allaouite, expert en chantage, et à «louer» (sic) les bienfaits de cette annexion illégale et criminelle ! Au nom de qui, Monsieur Gonzalez ? Précisément maintenant que l’envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU au Sahara Occidental, l’ancien président allemand Horst Köhler, tente de trouver par le dialogue une solution au conflit ; maintenant, alors que l’Espagne reste juridiquement la puissance administratrice du Sahara Occidental (il n’y a pas d’administration «de facto» en droit international) et, par conséquent, avec des instruments suffisants pour diriger et imposer une solution, au lieu de continuer à regarder ailleurs en attendant (apparemment) que d’autres réparent les dégâts que l’Espagne elle-même a causés.
«Ce n’est pas la première fois que Felipe González soutient publiquement le Maroc dans le conflit du Sahara, à l’instar d’autres socialistes distingués comme l’ancien Président du gouvernement José Luis Rodriguez Zapatero et l’ancien ministre des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos», rapporte la presse.
Pour ces raisons, les députés qui ont voyagé ces jours-ci dans des camps sahraouis pour juger de la situation de leurs propres yeux exigent que le gouvernement, reconnaissant la volonté d’une grande majorité consciente et solidaire du peuple espagnol, mette les revendications du peuple sahraoui à l’ordre du jour de la politique espagnole et, pour commencer, ouvre la voie à la nécessaire reconnaissance diplomatique par l’Etat espagnol des représentants du Sahara occidental, et du Front Polisario en tant que représentant légitime du peuple sahraoui (il est reconnu par l’ONU).
Alfonso Guerra a omis et refusé de dire, dans l’interview citée plus haut, que le chef de son parti, Felipe González, membre éminent du lobby pro-marocain, parcourait le monde en faisant le sale boulot du makhzen, en essayant de convaincre les gouvernements latino-américains de retirer leur soutien au Front Polisario et leur reconnaissance de la RASD. Fortes motivations patriotiques ! Et à l’insu des Espagnols.
Bien sûr que le Front Polisario a perdu des appuis, M. Guerra ; et avant tout, le soutien que lui avaient promis les dirigeants de votre parti, le PSOE, qui ne sait pas comment cacher son déshonneur, et dont les militants baissent la tête en gardant un honteux silence complice.
Et puis il y en a un autre, notre «Bambi», l’ex-chef du gouvernement Rodriguez Zapatero, qui consent à retourner dans la ville sahraouie occupée de Dakhla pour assister au Forum propagandiste Crans Montana (qui le finance ?) pour sourire devant l’auditoire réjoui du Makhzen et de ses comparses, et se faire photographier devant une carte du Maroc où le Sahara Occidental est montré annexé (ce qui se pose là en matière de fake news). Quel manque de connaissances historiques et juridiques, de sensibilité, de respect de la légalité internationale, de la vérité, de la volonté du peuple espagnol ! Quelle irresponsable frivolité ! Et quelle honte! Quel grand tort envers la cause et le peuple sahraouis ! Tout cela vendu au Makhzen en échange d’on ne sait pas (encore) quoi. Je ne sais pas comment ils osent, ni comment ils peuvent dormir la nuit après tant de festivités et dans une telle ambiance de flatterie.
Un jour, cette «cinquième colonne» bien de chez nous, passée au «pire ennemi» (Felipe Gonzalez dixit), devra rendre des comptes. Pendant ce temps – pêche par ici, phosphates par-là, villa de luxe à Tanger par-là-bas – pas la moindre ébauche de préoccupation, pas la moindre volonté de dénoncer la situation cruelle et impitoyable que subissent les véritables propriétaires de ce territoire non autonome et pas encore décolonisé, en plein XXIe siècle.
Et tout cela, planifié, préparé aux petits oignons et fignolé par des cabinets d’avocats «réputés», comme le cabinet de l’autre «ex», Mme Palacio et associés, qui se mettent sans aucune pudeur au service du Makhzen, et qui travaillent également pour des «régimes réactionnaires». On suppose que les rapports secrets sur les ressources naturelles du Sahara occidental sont bien payés et que les prébendes sont confortables. Les Sahraouis, quant à eux, ne sont même pas autorisés à voir les documents au moyen desquels on cherche à les déposséder de leurs biens et de leurs droits et à les vendre comme du bétail.
Le très honorable Frank Ruddy le disait déjà en son temps : ils se mettent au service d’un «grand quelqu’un» riche et puissant contre des misérables «personnes» (pour l’instant), car c’est comme cela que le Maroc les traite, en plus de ses persistantes et insidieuses campagnes de diffamation et d’intoxication.
Mais cela finira un jour, messieurs les vautours, et le plus tôt sera le mieux. Nous éviterons ainsi d’autres souffrances. Et alors, chaque membre de cette «cinquième colonne» devra rendre compte de ses actes et de ses trahisons. Dans cette Espagne de la transition démocratique «modèle», il y a beaucoup de cette engeance en liberté. Même s’ils tentent de l’étouffer et de la nier, la question du Sahara Occidental reste la question en suspens de la Transition espagnole. Et la plupart des citoyens formés, conscients et solidaires d’Espagne est et sera du côté du peuple sahraoui. Oui, M. Gonzalez, jusqu’à la victoire finale, comme vous l’avez très bien dit en 1976.
L.-P.-P. D.-R.
(*) Docteur en sciences économiques et ex-professeur en structure et institutions économiques à l’Université autonome de Madrid.
Traduit par Jacques Boutard (Tlaxcala-int.org).
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