Les raisons légitimes du peuple sahraoui (II)
Par Luis Portillo Pasqual del Riquelme(*) – Après tant de temps (43 ans), tant d’engagements non tenus, tant de crocs-en-jambe au processus décolonisateur, le Maroc continue de miser sur sa politique des faits accomplis : une fois le Sahara Occidental envahi et occupé militairement et sa population massacrée et délogée, ce qui se négociera entre les parties sera, comme maximum, quelques conditions de la prétendue autonomie et du processus correspondant ; le peuple sahraoui n’aurait qu’à accepter et souffrir, d’entrée, la soumission et l’annexion au Maroc, dont le régime politique a été, à l’époque, rejeté dans les urnes et fait l’objet de sévères critiques, y compris au sein même de la famille royale alaouite. Est-ce cela que le journaliste d’El Pais Bernabé Lopez Garcia (BLG) appelle «défendre la dignité» ? N’est-il pas établi dans la Charte et dans les multiples résolutions des Nations unies que la solution aux problèmes de décolonisation est le référendum d’autodétermination avec toutes les options ouvertes ?
Que ferions-nous, nous autres Espagnols dans une hypothèse similaire, à savoir, si «eux» (les Sahraouis) étaient les Espagnols et «nous» (les Espagnols), nous étions les Sahraouis et étions dans leur situation ? Qu’avons-nous fait quand les troupes napoléoniennes nous envahirent ? Avons-nous renoncé à notre indépendance ? Avons-nous laissé bafouer notre dignité ? Non. Le peuple espagnol s’est levé, a combattu et expulsé l’envahisseur, avec les horribles conséquences immortalisées par le génial Francisco de Goya dans Les fusillés du trois mai (1808). Aujourd’hui, plusieurs de ces milliers de patriotes qui se soulevèrent contre l’envahisseur sont honorés comme des héros dans le cimetière de la Florida à Madrid.
La RASD et le référendum
Précisément parce que le Maroc a refusé aux Sahraouis − premièrement avec l’invasion et l’occupation et ensuite avec la transgression systématique de la légalité internationale − la réalisation de ce que maintenant BLG et d’autres coryphées du Makhzen prétendent qualifier d’utopie, le peuple sahraoui n’a eu d’autre issue pour défendre sa dignité et sa survie comme peuple que de se proclamer République arabe sahraouie démocratique en exil, reconnue déjà par plus de 80 pays et par l’OUA, devenue UA, dont elle est membre fondateur de plein droit. Et, depuis la déclaration de cessez-le-feu en 1991, sous les auspices de l’ONU et de l’OUA, la RASD a opté pour la voie pacifique afin de procurer à son peuple un futur légitime et digne, qui passe nécessairement par le droit inaliénable à l’autodétermination.
Le référendum d’autodétermination était la contrepartie accordée en échange du cessez-le-feu en 1991. Si le Maroc ne tient pas ses engagements et si la communauté internationale n’exerce pas des pressions fermes sur les dirigeants marocains pour qu’ils les tiennent effectivement, devons-nous nous attendre à ce que le Front Polisario et le peuple sahraoui restent éternellement assis sur le sable du désert, les bras croisés, à contempler, impassibles, les cendres de leur république et les cadavres de générations de Sahraouis ? En outre, si l’injustice énorme perpétrée contre le peuple sahraoui n’est pas réparée, cela pourrait non seulement laisser en piteux état la principale institution internationale pour la préservation de la paix, mais de plus semer la haine dans la population blessée et constituer une source d’instabilité future au Maghreb, si ce n’est dans d’autres parties du monde.
Deux projets très différents
Il n’y a pas «sur la table deux projets cohérents qui reconnaissent le droit à l’autogouvernement du peuple sahraoui», comme le soutient BLG. Le document présenté au mois d’avril 2007 par le Front Polisario au secrétaire général de l’ONU, pour son débat au Conseil de sécurité, a pour titre «Proposition du Front Polisario pour une solution politique mutuellement acceptable qui assure l’autodétermination du peuple du Sahara Occidental». En revanche, le titre du document présenté par les dirigeants marocains est bien différent : «Initiative marocaine pour la négociation d’un statut d’autonomie de la région du Sahara». La proposition du Front Polisario affirme et défend la légalité internationale avalisée par les résolutions des Nations unies, alors que le projet du Maroc la nie et plus encore, la mutile considérablement.
Déjà, en avril 2006, dans son rapport au Conseil de sécurité, le secrétaire général de l’ONU disait textuellement : «Dans les consultations bilatérales faites par mon envoyé spécial [….], le Front Polisario rappelait qu’en aucun cas il ne négociera aucun type d’autonomie sous la souveraineté du Maroc. Mon envoyé spécial a expliqué […] qu’il avait parlé de négociations sans conditions préalables afin d’aboutir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui permettrait la libre détermination du peuple du Sahara Occidental. Le Conseil de sécurité ne pourrait pas inviter les parties à négocier sur une autonomie du Sahara Occidental sous la souveraineté du Maroc, étant donné que cela impliquerait la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental, ce qui était hors de question, tant qu’aucun membre des Nations unies n’aurait reconnu cette souveraineté.» Et dans la résolution déjà citée du Conseil de sécurité, du 30 avril 2007, les parties sont exhortées à «poursuivre les négociations […] sans conditions préalables et de bonne foi […] en vue de parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui permette l’autodétermination du peuple du Sahara Occidental». Mais il faut ajouter que le Maroc, allant à l’encontre de ce qui a été disposé par le Conseil de sécurité, a bien mis des conditions préliminaires (rien ne sera négocié hors de son «projet d’autonomie», selon les mots du roi Mohammed VI) et que, loin d’agir de bonne foi, comme le demandait l’ONU, il a déclenché une féroce répression contre la population sahraouie des territoires occupés du Sahara Occidental et du Maroc même.
Légalité internationale : utopie et laisser-faire
La légalité internationale est – avec toutes ses déficiences − l’ensemble de normes que les humains se sont données comme cadre de vie en commun, pour vivre en paix et résoudre les conflits par la voie pacifique. Mais encore faut-il la respecter et l’appliquer. Le Maroc ne la respecte pas (conformément aux dispositions du chapitre VI de la Charte des Nations unies) et la communauté internationale ne fait pas suffisamment pression pour l’appliquer (conformément au chapitre VII). Comme le souligne correctement BLG lui-même, «la légalité internationale est un cadre pour assurer le respect des droits des peuples». Mais respecte-t-on les droits légitimes du peuple sahraoui ? Est-ce que ce sont les Sahraouis qui auraient violé les droits du peuple marocain ? Si la RASD avait envahi et occupé le Maroc, comment aurait réagi la communauté internationale ? Le cas du Koweït et celui du Timor sont bien proches dans le temps. Restent les spéculations à ce sujet.
Si le Maroc a fait systématiquement obstruction à un référendum transparent et juste, c’est parce que ses gouvernants les plus récalcitrants craignent de le perdre. Ils nient ainsi, d’avance, la supprimant de la réalité, la prétendue «utopie» (la légalité internationale et l’indépendance) dont parle BLG, en même temps qu’ils maintiennent le peuple sahraoui dans la plus indigne des conditions de vie, l’exil et la misère. Ils espèrent ainsi gagner du temps, épuiser et démoraliser les Sahraouis, aliéner la mémoire historique des jeunes générations, vaincre par exténuation tout un peuple, avec la vaine espérance que, finalement, ils succomberont et accepteront ce qui leur est fait, noyés dans les contradictions que les obstacles injustes génèrent.
Le Maroc n’a pas, durant plus de 40 ans, pratiqué la «politique de l’autruche» comme le soutient BLG, mais la politique de la terre brûlée, des faits accomplis, violant impunément la légalité internationale depuis la tristement célèbre Marche verte (d’une population civile excitée et manipulée, d’un côté, et de tanks, d’avions et de troupes de l’autre), ourdie sous le conseil stratégique d’Henry Kissinger. Et l’Espagne et la communauté internationale ont laissé faire, regardant ailleurs, absorbées par d’autres affaires plus rentables et une vision myope, à courte vue, qui n’a que trop duré et qui est devenue insupportable.
Selon le droit international de la décolonisation, l’autodétermination ne signifie pas autre chose que la possibilité pour un peuple colonisé de choisir librement et démocratiquement entre diverses propositions : pleine intégration dans la métropole, libre association avec celle-ci, association avec un autre Etat ou indépendance. Ainsi donc, malgré les craintes et les arguties des dirigeants marocains, le droit à l’autodétermination ne présuppose pas, obligatoirement et nécessairement, l’indépendance, à laquelle les Sahraouis aspirent légitimement. Comme le souligne explicitement et textuellement le point 8 de la Proposition sahraouie, avec générosité et largeur de vues : «Le Front Polisario s’engage aussi à accepter les résultats du référendum, quels qu’ils soient, et à négocier avec le Royaume du Maroc, sous les auspices des Nations unies, les garanties qu’il est disposé à accorder à la population marocaine résidente au Sahara Occidental durant 10 années, ainsi qu’au Royaume du Maroc sur les aspects politiques, économiques et de sécurité, au cas où le référendum d’autodétermination s’achève par l’indépendance».*Comme le signalait récemment CEAS-Sahara, «la lutte pour faire valoir leurs droits sur une terre qui leur a été arrachée en 1975, la patience et la résistance, la foi en la justice et la confiance dans leur raison, c’est ce qui a fait que les Sahraouis, malgré les promesses jamais tenues, ont été capables de vivre tout ce temps dans une des zones les plus inhospitalières de la planète». Si maintenant, en ce moment, soufflent des vents nouveaux, c’est parce que l’élite gouvernante au Maroc a joué ses dernières cartes, parce que le peuple sahraoui a su résister dignement et maintenir son ferme respect de la légalité internationale (qui n’est pas une «utopie»), tissant un dense réseau de solidarité entre tous les peuples et portant sa cause dans tous les coins du monde. Et parce que la société civile – mais pas toujours les gouvernants- réclame, chaque fois plus, le respect et l’application de la légalité internationale.
L. P.
Traduit par Gérard Jugant et Fausto Giudice (Tlaxcala.org)
(*) Docteur en sciences économiques et ancien professeur à l’université Autonome de Madrid.
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