L’assainissement financier des EPE : une plaie permissive onéreuse
Par Mustapha Baba-Ahmed – L’alerte du président du CPE sonne faux dans l’ambiance d’autosatisfaction qui règne : Ouyahia a l’air de découvrir un nouveau problème alors qu’il s’agit d’une situation à l’égard de laquelle l’Etat ne s’est pas décidé à mettre en œuvre une gouvernance appropriée.
Les contreperformances du secteur économique public ne datent pas d’hier : le premier rapport fait sur la question remonte à 1975. Deux données pouvaient expliquer alors la situation : i) l’entreprise publique était dite socialiste, l’intégrité de son patrimoine appartenait à l’Etat (ou à une collectivité locale) et ii) elle était en charge d’un programme d’investissements dont l’exploitation nécessitait un temps pour la montée en cadence. L’Etat a été amené à procéder à la restructuration financière de la plupart des entreprises socialistes à l’occasion de la restructuration organique lancée en 1982 par le docteur Abdelhamid Brahimi.
Les lois sur l’autonomie des entreprises publiques ont fait de ces dernières des entités dotées d’un capital social et leur fonctionnement interdisait aux autorités d’interférer dans la gestion. Mais, pour reprendre la phrase de «Abdelhamid-la-science», des membres des autorités qui détiennent des pouvoirs avaient appris à leur donner des ordres (re’baou âlihoum el-kebda). L’interférence pouvait être motivée par des penchants de malversation, ce qui créait ou aggravait les déficits de gestion. En dépit de l’autonomie légale des EPE, aucune d’entre elles n’a changé de banque et celle-ci ne pouvait récuser un client public ; elle devait assurer sa liquidité en toute situation.
La démarche consiste, alors, pour l’Etat à laisser s’accumuler les déficits d’une EPE jusqu’à ce que sa banque soit interpellée par la Banque d’Algérie en vertu des règles édictées par la BRI (Banque des règlements internationaux sise à Bâle en Suisse). C’est alors seulement que l’Etat se décide à mettre en œuvre le processus dit de l’assainissement financier : on efface tout et on recommence.
Le coût direct de l’assainissement pour l’Etat a été le suivant :
- 626 milliards de dinars (équivalent à 155 milliards de dollars américains) dépensés entre 1992 et 1997 ;
- 2960 milliards de dinars (équivalent de 40 milliards de dollars américains) dépensés de 2002 à 2006 ;
- 4614 milliards de dinars ou 49 milliards de dollars américains équivalent de 2012 à 2016,
Soit un total de 8200 milliards de dinars (244 milliards de dollars américains). Ces chiffres incluent 564 milliards de dinars pour les OPGI ; 1 815 milliards de dinars de soutien à l’agriculture et 40 milliards pour la Cnac. A ces dépenses, dont les dernières remontent à 2016, il convient d’ajouter la mise à niveau des banques publiques, résultant des exigences en matière de solvabilité et de liquidité de la BRI. Mais à quoi ont servi les dépenses correspondantes ?
Toutes ces dépenses ont lieu dans l’opacité : les instances élues et la Cour des comptes cherchent-elles à en comprendre le contenu ? Celle-ci et celles-là se sont-elles demandé pourquoi les articles de lois de finances de 2005 et 2009 – qui avaient pour objet de remplacer ce dispositif inconstitutionnel par un mécanisme de subventions d’exploitation préalablement décidées – n’ont jamais été mis en œuvre ? L’article 63 de la loi de finances pour 2009 prévoit un dispositif pérenne de subventions par des crédits budgétaires à dégager annuellement ex ante.
Le maintien du processus d’assainissement financier ex-post permet d’occulter beaucoup de vilénies. La première vertu d’une gouvernance est la transparence. Tel n’est pas le cas de la situation actuelle. Sinon, comment comprendre que, de 2002 à 2014, la valeur des importations d’équipements en dollars américains ait été multipliée par 5,2 aussi bien que celle des produits semi-finis, et celle des matières premières par 5,6 alors que le PIB réel n’ait été multiplié que par 3,9 ? Contreperformance à laquelle participe le secteur privé par les surfacturations. La part de valeur ajoutée dans la production baisse.
M. B.-A.
Comment (2)