La poétique et pathétique aporie de la société algérienne
Par Mesloub Khider – Le paradoxe de la vie algérienne est de ne s’abreuver qu’à la source de la doxa algérienne. Attaché à une forme d’orthodoxie culturelle, l’Algérien bannit toute hétérodoxie intellectuelle. Gouverné par les rituels cultuels, l’Algérien vit dans une société virtuelle, où seule la communication avec le Ciel est privilégiée, tandis que la production terrestre est proscrite de son logiciel mental, occupé à préparer son examen d’admission au Jardin d’Eden. Avantageusement abreuvé par le Sahara qui couvre ses besoins matériels, l’Algérien cultive la désertification intellectuelle pour mieux assécher l’activité économique, jugée inutile pour son esprit, totalement accaparé par ses obsessionnelles observances religieuses, seuls investissements personnels estimés théologiquement rentables et paradisiaquement profitables.
Ancré encore dans une société imprégnée par le mode de production agricole, pourtant il dédaigne aristocratiquement de cultiver l’activité agricole de son pays. Il se tourne avec convoitise vers l’Occident pour s’alimenter économiquement, mais s’entête à se diriger vers l’Orient pour se nourrir «intellectuellement». Il condamne la mentalité païenne, mais sa pratique islamique s’apparente à de l’idolâtrie, à observer comment il s’attache à imiter à la lettre les mœurs d’hommes et de femmes des époques révolues, notamment celles relatives à l’accoutrement et à la place de la femme au sein de la société, au lieu de se conformer à l’esprit de sa religion censément évolutive. Il fustige les mœurs dépravantes des sociétés occidentales, mais il est prêt à dépraver son honneur pour traverser la Méditerranée afin de se blottir dans le giron de ces sociétés développées occidentales.
L’Occident et nous
En Occident [1], on cultive les connaissances qui s’emballent ; en Algérie, on jardine les connaissances tombales.[2] En Occident, on dissèque les corps pour le bénéfice de la science médicale ; en Algérie, on disserte sur les cadavres pour le plaisir de la mémoire banale.[3] En Occident, on se retrousse les manches pour produire l’avenir ; en Algérie, on détrousse à coups de manche le passé sans souci de l’avenir.[1] En Occident, on se lève le matin pour bâtir la vie à la lumière du jour ; en Algérie, on se réveille pour perpétuer chaque jour la nuit. En Occident, on fait table rase du passé ; en Algérie, on s’attable autour du passé. En Occident, on se creuse la tête pour tirer quelques savoirs ; en Algérie, on creuse les tombes pour déterrer les mêmes ossements de savoir. En Occident, on débat à coups de théories pour s’imposer ; en Algérie, on impose sans combat ses obsolètes théories. En Occident, on compose dans le respect avec toutes les libres opinions ; en Algérie, on décompose sans respect toutes les libres opinions.
En Occident, on façonne la vie réelle à son image ; en Algérie, on se contente d’imaginer la vie sans la façonner. En Occident, on grimpe au Ciel pour le plier à sa volonté ; en Algérie, on implore le Ciel pour le prier à genoux. En Occident, on se chausse le matin pour courir gagner au-delà de la fatigue sa vie ici-bas ; en Algérie, dès le matin on se déchausse à l’entrée de la mosquée pour quémander sans fatigue sa vie dans l’au-delà sans souci d’ici-bas. En Occident, on se bat pour arracher la liberté aux tyrans ; en Algérie, on se débat pour lâcher la bride aux tyrans. En Occident, on décline toute soumission aux puissances ; en Algérie, on s’incline avec puissance aux soumissions. En Occident, on s’enrichit personnellement pour mieux construire son pays ; en Algérie, on déconstruit au mieux son pays pour bien s’enrichir personnellement.
En Occident, on s’endort avec le plaisir du travail accompli ; en Algérie, on se lève avec le déplaisir du travail à accomplir. En Occident, on élève ses enfants pour leur transmettre le savoir ; en Algérie, on se transmet les enfants sans élever le savoir. En Occident, on nourrit l’espoir d’une vie toujours meilleure ; en Algérie, on vit toujours pour nourrir au mieux le désespoir. En Occident, on s’endort avec plein de rêves à réaliser ; en Algérie, on cauchemarde juste à l’idée de réaliser un rêve. En Occident, on bâtit la modernité en tournant le dos aux traditions ; en Algérie, on s’adosse aux traditions pour bâtir la modernité.
M. K.
[1] C’est par commodité que j’emploie le terme Occident (utilisé en contrepoint) pour désigner le monde capitaliste développé, arraché depuis longtemps à l’ancien mode de production féodal, et non par idéalisation du monde spécifique occidental libéral. J’abhorre tout autant cette civilisation marchande capitaliste, fondée sur l’esprit de prédation et la mentalité de compétition que les sociétés archaïques sclérosées, dévorées par des «morales» patriarcales surannées et des mœurs religieuses anachroniques, à l’instar de la société algérienne.
[2] Allusion au ressassement de l’épopée de la Révolution algérienne et de ses martyrs.
[3] Allusion au débat sur le rapatriement des crânes des résistants du XIXe siècle entreposés au Musée de l’Homme en France.
Comment (13)