Le souvenir des martyrs doit rester à jamais vivant
Par Azar Nath Quodia – Quelle est cette douleur qui entrave la vivacité de nos habituelles sensibilités ? Qui met le feu dans l’espace de nos horizons lointains ? Quelle est cette fragrance qui répand les effluves et les passions enivrantes de jeunes âmes, aux destins injustement interrompus à la fleur de l’âge ? Se réfugier derrière le temps ne résout pas la torpeur des démons qui assaillent nos paix intérieures. Le recul, toujours le recul, dans le passé, un passé emmêlé, enchevêtré, à la recherche d’une mémoire blessée, sciemment jetée en pâture dans les bras de l’oubli. Elle happe en permanence nos quotidiens tant que la lumière ne serait pas braquée sur les souvenirs des enfants martyrs écrabouillés.
La liberté des hommes reste, toujours, un sujet peu reluisant et un luxe peu répandu. La jeunesse algérienne l’a payée au prix fort, pour l’avoir arrachée avec abnégation au système colonial buté, raciste et méprisant. Nous, les enfants de la liberté, produit de leur combat, ne devons jamais oublier leur sacrifice. J’ai décidé de répondre aux appels incessants, qui accablent ma sérénité. Je prends, mon bâton de pèlerin pour visiter ce passé. Aller à la rencontre d’un passé meublé par les souffrances et les murmures agonisants des martyrs. Le souvenir intime d’une jeunesse assoiffée de liberté s’envole, voltige, s’effrite pour garder ses secrets. Et tente de se frayer un chemin à travers les méandres du silence pour garder l’humilité d’un engagement sacré. Je ne peux me sentir définitivement débarrassé de mes furies que lorsque je visite la terre imbibée de sang de ceux qui ont sacrifié leur vie pour préserver la mienne.
Cette visite nous mit face à un fait d’arme invraisemblable ; celui du 4 février 1958 à El-Hourane(1). Une bourgade mitoyenne de la ville de M’sila. Les faits rapportés par le témoignage des acteurs encore vivants, étanche notre soif de découvrir les mystères des tragédies d’une époque disparue, déjà, des mémoires.
En 1957, par la mise d’une logique obscure, le colonel Amirouche prit le commandement de la Wilaya III. Amirouche tenta de renforcer l’ardeur du combat de ses hommes pour intensifier la lutte. Il s’y consacra avec énergie, en usant des méthodes autoritaires qui prêtaient à confusion avec les règles imposées pour l’accompagnement de la Révolution : on ne touche pas au peuple ! Il n’en demeure pas moins, il s’était donné avec énergie pour mettre en place des unités d’élite(2) en faisant appel aux combattants aguerris. L’efficacité des unités d’élite s’était traduite par des actions d’éclat menées avec courage et détermination par les djounoud affiliés. La puissance de feu de l’ALN était devenue pertinente et dénotait d’une réalité palpable sur le terrain des combats contre l’armée coloniale. Au début 1958, dans sa lancée créative, Amirouche apporta une nouveauté en structurant ses troupes, avec la création des bataillons de choc. Composés par des officiers(3) dont la croyance et la foi pour l’indépendance n’offrent aucun doute.
Parmi les batailles qui marquèrent l’histoire de l’ère Amirouche, on retient celle du 4 février 1958 au poste d’El-Hourane dans la région de Hemmam Delaâ dans le Constantinois, appelée «coup de tonnerre dans un ciel sans nuage», l’attaque du 2e escadron du 8e régiment des spahis, sous le commandement du lieutenant Olivier Dubosc, qui était réputé pour ses charniers de Melouza du 28 mai 1957. Cet escadron fut bien loti. Il bénéficiait d’une infrastructure d’installation confortable, en l’occurrence, des réfectoires, des dortoirs et de toute une suite de commodités nécessaires. Il était doté d’une robuste logistique et d’un armement lourd avec des équipements adaptés au terrain aride du Sud. L’offensive était menée grâce au soutien et la complicité d’un ancien de l’armée française qui rejoignit le maquis avec arme et bagage.
La compagnie de Moh Arezki Amchtuh fut chargée d’engager une attaque en règle pour anéantir les capacités de nuisance de ce campement. Moh Arezki, avec sa 3e compagnie, pénétrèrent avec surprise dans le campement, ils prirent dix-sept prisonniers dont cinq goumiers, mais les maquisards perdirent un combattant dans l’attaque. Ils chargèrent les mulets avec des munitions et des armes transportables et, après avoir mis le feu dans tout le campement, ils quittèrent rapidement les lieux. Ils furent poursuivis pendant six jours par des militaires aidés par un pistage d’une aviation dont elle n’avait pas l’avantage de la connaissance du terrain. Ils arrivèrent, enfin, dans le camp où ils étaient attendus par le colonel Amirouche. Ce fut un grand coup d’éclat et de bravoure, l’un des derniers des actes réalisés avec succès sous le commandement de l’aspirant Moh Arezki avant sa suspension qui le mit en doute dans les listings du capitaine Léger.
Nos témoignages s’arrêtent sur les actes de combats menés avec bravoure dans la Wilaya III, dirigée par le colonel Amirouche. Ces attaques illustrent la détermination de tout un peuple engagé sous la bannière de l’ALN. Les Wilayas du pays en phase avec la III menèrent des batailles meurtrières qui avaient décimé une jeunesse qui fit don du sacrifice de sa vie. Pour que les générations futures, leurs enfants et petits-enfants, vivent à jamais dans la dignité et la liberté. Nul n’a le droit de priver de cette liberté le peuple algérien. Une liberté chèrement acquise et offerte généreusement au peuple par le dévouement des aïeux, comme un butin de guerre sacré, à conserver éternellement.
Gloire à nos martyrs !
A. N.-Q.
(1) Ameur Mohand du nom de guerre Mhend Iâakouren, Amar Oussaïd du nom de guerre Mohand Igharbiyen, un des djounoud de la 3e compagnie, Saïdani Arezki, djoundi de la 3e compagnie, originaire de Yakouren, Rabah Nath Wouchen. Amar Oussaïd du nom de guerre Mohand Igharbiyen, un des djounoud de la 3e compagnie qui vient juste de nous quitter, ce vendredi 30 janvier, Saïdani Arezki et Yebka Mehfouf, des maquisards de la 3e compagnie du bataillon de choc, originaires de Yakouren et d’Azeffoun, et Rabah Nath Wouchen.
(2) Le commandant Moh Ouali dit Chéri-bibi, l’aspirant Mohand Salah Saâdi, l’aspirant Moh Arezki Ouakouak dit Moh Arezki Amchtouh, Chaïb Mohand Ourabah, le lieutenant Hocini Lahlou, Oumira et bien d’autres…
(3) La première compagnie qui a pour chef Oumira, la 2e compagnie sous la conduite de Chaïb Mohand Ourabah, et la 3e avait comme responsable Moh Arezki Amchtoh. C’est ainsi que la première compagnie (Oumira) prend la zone d’Ighil Ali et Seddouk et que celle de Mohand Ourabah s’occupe de la zone du Djurdjura près de Haïzer, tandis que la 3e compagnie est envoyée vers la zone de Melouza, qui renferme Beni Ilmane, Houra et El-Bordj jusqu’à M’sila.
Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
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