Le meilleur des mondes est aujourd’hui construit sur le meilleur des mensonges
Par Mesloub Khider – Si à l’époque antique, en Grèce, la démocratie a été inventée pour les citoyens libres afin de s’administrer directement eux-mêmes, l’exercice effective de cette liberté était permis grâce à leur affranchissement de l’obligation de travailler : le travail étant assuré par les seuls esclaves. Par conséquent, à l’époque antique grecque, déjà, la démocratie était fallacieuse. C’était une démocratie d’argent, une entité de classes.
A notre époque moderne, la bourgeoisie, vivant de la servitude des salariés exploités dans ses entreprises, qui lui procurent force économique et puissance politique, a inventé l’Etat, dit démocratique (républicain ou non), conçu comme instrument de gestion du peuple laborieux. Peuple auto-persuadé de s’autogouverner librement lui-même.
Au début de l’accession de la bourgeoisie aux rênes du pouvoir, dans sa phase embryonnaire de domination partielle, par crainte de livrer l’Etat à son ennemi, le peuple, elle a instauré le suffrage censitaire pour le maintenir à distance. Ainsi, dès l’époque de son éclosion, la démocratie était restrictive : son exercice était verrouillé par la classe dominante, son action politique corsetée par l’argent, sa souveraineté despotique assurée par son armée et sa police.
Plus tard, avec l’essor de sa domination, l’affermissement de son pouvoir économique et politique, l’expansion de ses moyens de contrôle des instruments de propagande scolaires et médiatiques, la bourgeoisie s’est résolue à desserrer l’étau de sa dictature par l’instauration progressive du suffrage universel, l’institutionnalisation d’une démocratie libérale domestiquée. Désormais, certes les «citoyens» peuvent user librement de leur droit d’expression, mais c’est la bourgeoisie qui dicte et contrôle la pensée de cette expression politique. A plus forte raison à notre époque dans laquelle le débat politique s’est aseptisé, chloroformé. Le débat est principalement encadré par les instances de propagande scolaire et médiatique, instruments d’uniformisation de la pensée unique (inique) puissants.
Au reste, à notre époque, les présidents sont devenus de simples administrateurs de l’Etat. L’Etat, lui-même, métamorphosé en simple rouage assujetti au capital mondial. De fait, chaque pays s’est converti en une véritable société anonyme dirigée par un PDG-Président asservi au capital mondial apatride. Le pouvoir étatique est devenu à tel point impuissant qu’il est soumis, comme un vulgaire salarié, aux appréciations des agences de notations financières chargées de distribuer les notes d’évaluation de la gestion du pays. La moindre mauvaise note en matière économique et budgétaire, et s’en est fini du pouvoir, en particulier, et du pays, en général. Pris en otage, le pays se voit parachuter un nouveau Président, imposer une nouvelle classe dirigeante (caste affligeante) constituée de mercenaires politiciens, fabriqués par les puissances financières entièrement contrôlées par le capital mondial.
Au plan électoral, de nos jours, la démocratie marchande constitue un véritable marché au sein duquel chaque candidat bourgeois vante son produit politique programmatique pour mieux le vendre aux citoyens prolétaires, impécunieux économiquement (pour bâtir leur propre parti révolutionnaire) et indigents politiquement (pour transformer la société dans l’intérêt de leur classe).
De nos jours, le candidat organise sa campagne électorale comme une réclame publicitaire, vantant les mérites de sa personne comme une marchandise. A l’instar de l’aguicheuse péripatéticienne, le candidat vend les charmes de sa personne avec les promesses de nous offrir le paradis, des noces politiques éternelles. Mais en fait de paradis, c’est le même enfer que continuent à subir les citoyens, en fait de noces sociales orgasmiques promises, c’est la poursuite de la sempiternelle impuissance politique du candidat à honorer son programme affligé de frigidité économique.
Les mascarades électorales s’apparentent aux ventes aux enchères où les programmes diffèrent uniquement par leurs emballages et leurs étiquetages. La mise est lancée par les instituts de sondage, ces entités occultes mafieuses spécialisées dans la fabrication des candidats, le façonnage des opinions politiques et de l’orientation économique. Dès lors, dans cette société marchande où tout se monnaye, jusqu’à l’air qu’on respire, il ne faut pas s’étonner de voir les campagnes électorales ressembler à des réclames pour produits de consommation.
De surcroît, dans le cirque électoral régulièrement organisé pour élire un député ou un Président, l’important n’est pas la qualité morale et politique du candidat victorieux (soumis toujours aux puissances économiques) mais la participation massive des «citoyens» à leur servitude volontaire électoralement exécutée.
Au demeurant, parmi les recettes aptes à passionner les débats, à mobiliser les foules citoyennes léthargiques, à rabattre les électeurs dépolitisés vers les urnes, il n’y a pas mieux que la politique de la peur, l’agitation de l’épouvantail. Selon les époques et les contextes, les épouvantails varient en fonction des nécessités circonstancielles politiques : la menace brune (fascisme), le danger rouge (communisme), la menace verte (islamisme), le danger noir (terrorisme), etc.
Ainsi, quand les votants se précipitent vers ces isoloirs illusoires pour déposer leur bulletin de vote dans l’urne (qui porte si bien son nom tant elle ne contient que les promesses politiques depuis longtemps trépassées, réduites en cendres mortuaires), le choix de ces vaux-tants se fait par défaut et non par conviction, pour le «moins pire des candidats», proclament-ils (pensent-ils). Par élimination, plutôt que par sélection. Souvent, ils doivent se résoudre à choisir entre la peste et le choléra. Entre le candidat des promesses mensongères et le candidat des mensongères promesses. Entre le programme politique des restrictions budgétaires et le programme politique des budgets rétrécis. Entre la disette et la misère.
Ainsi, dans ces mascarades électorales, à défaut d’avoir le choix, ils ont le show. Cependant, à force de supercheries électorales, nos veaux-tants citoyens ont fini par comprendre que les élections sont des «pièges à cons», et les électeurs, des «cons piégés». Victimes de sempiternelles promesses électorales mensongères. Où le meilleur des mondes promis vire au pire cauchemar du monde.
De manière générale, la démocratie bourgeoise est fondée sur la représentativité de ses élus désignés au scrutin majoritaire. En réalité, il n’y a jamais de majorité pour gouverner le pays. La majorité est artificiellement fabriquée par le système électoral. De sorte que cette majorité électorale ne représente qu’une minorité de la population réelle. Ce constat est encore plus vrai avec des élections aux taux d’abstention frisant les 80%, devenue la règle. Le candidat arrivé en tête des élections, élu par un très faible pourcentage des suffrages exprimés, représente en réalité seulement 10% de l’ensemble du corps électoral (l’exemple de l’élection de Macron et Tebboune est patent). Aussi, notre élu représente une majorité fictive, gouvernant au nom de la minorité électorale de son parti (de son institution militaire), et décidant néanmoins de la politique pour l’ensemble de la population du pays.
Aussi, conscient de ne pas être représentatif, l’élu ne se sent pas mandaté par le peuple, mais le mandataire exclusif de ses actionnaires du capital (ou tuteurs caporalisés) ayant investi sur sa candidature. Dès lors, il ne faut pas s’étonner qu’il gouverne, comme dans une entreprise, dans l’intérêt exclusif de ses investisseurs financiers et de son enrichissement personnel. Mais jamais dans l’intérêt du peuple.
Toujours est-il que, par sa participation aux élections, le peuple vote pour sa servitude volontaire. De fait, la démocratie représentative bourgeoise est l’appropriation du pouvoir politique des individus, rebaptisés électeurs, par des représentants. Ceux-ci, au nom de leurs électeurs, emploient ce pouvoir au bénéfice de la classe dominante. «Le vote est la légitimation formelle des maîtres», a écrit Robert Chasse, dans Situationist International, New York 1969.
Le meilleur des mondes est aujourd’hui construit sur le meilleur des mensonges. La propagande bourgeoise nous fait croire que choisir «son maître» (candidat) est un acte démocratique de liberté. Or, tout élu n’est qu’un agent du marché, un gestionnaire du système, serviteur du capital, allié de l’impérialisme, ami des mafias financières. Par sa participation à ces mascarades électorales, l’électeur cautionne et légitime ce système démocratique bourgeois maffieux. Par sa duplicité et sa complicité, il pérennise le fonctionnement d’une entreprise de corruption politique, de prévarication des deniers publics, de l’asservissement du peuple.
Sur le registre de la gestion du pouvoir, «diviser pour régner» est le fondement de toute classe dominante. Dans la même logique de fragmentation politique, la bourgeoisie aime séparer les problématiques. La séparation fait le jeu de la classe dominante. Par la dissociation, la fragmentation, le morcellement des problématiques (en vérité produites par la même cause, le même responsable), c’est la compréhension globale du monde qui disparaît. Le fonctionnement du système devient ainsi énigmatique. C’est le règne de l’opacité. Dès lors, l’idéologie dominante se présente au regard profane comme réalité dotée d’une telle complexité que seuls les experts (bourgeois) sont à même de comprendre, d’analyser, bien sûr d’orienter dans l’intérêt de leurs commanditaires occultes (les tuteurs casqués), la puissance financière mondiale.
Aujourd’hui, à l’ère de la crise économique systémique, la peur de l’avenir n’est que l’expression de l’incertitude du devenir et du désarroi des capitalistes qui n’ont plus de futur, peur propagée à l’ensemble de la société. Au contraire, la confiance en un avenir meilleur est l’œuvre de tous les opprimés qui n’ont plus grand-chose à perdre dans cette décadente société, sinon leurs chaînes. Ils ont tout à espérer d’un nouveau monde.
Le pire est à venir, nous annoncent les dirigeants capitalistes. Le prolétariat, lui, rétorque : au contraire, le pire sera bientôt derrière nous, une fois enseveli le mode de production macabre de ces dirigeants capitalistes.
Pour cela, nous devons nous affairer à refaire un monde sans le monde des affaires. De reprendre le pouvoir sur nos conditions d’existence, en nous débarrassant de l’existence des conditions du pouvoir actuel. De bâtir ensemble, en dehors des structures dominantes actuelles du pouvoir despotique, une démocratie directe avec des mandataires révocables, une démocratie fondée sur l’autogestion généralisée à l’ensemble des aspects de la vie : économique, social, politique, éducatif, culturel.
M. K.
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