Quand l’écrivain dévoré par l’ambition se prend pour un Messie
Par Ali Akika – Cinq Congolais ont été condamnés le 30 septembre 2020 pour «vol de biens culturels» dans le musée du quai Branly. Ce n’est évidemment pas l’appât du gain qui leur a fait prendre ce risque. C’était de leur part un geste de courage et de grande noblesse. Nos braves jeunes voulaient simplement attirer l’attention de l’opinion sur le droit de l’Afrique à récupérer les éléments constitutifs de leurs cultures et de leur histoire. Le problème de la récupération des biens culturels ne date pas d’aujourd’hui. Il est depuis longtemps objet d’un lourd contentieux entre la Grèce et la Turquie, Egypte et l’Angleterre, l’Amérique du Sud et l’Espagne.
Personne ne trouve rien à dire quand ces pays bataillent pour récupérer leur trésor. Dès que l’Afrique et plus exactement des citoyens de ce continent se sont mis à militer pour cette cause, on a vu des boucliers faire barrage à ces militants car leurs actes de décrire par le menu jusqu’où la colonisation a poussé son entreprise de rapine et de déshumanisation. Et le plus choquant, c’est que cette idéologie se manifeste encore sous forme d’une manipulation qui se veut répondre à une réalité.
C’est quoi cette réalité, c’est la pauvreté et le sous-développement de l’Afrique qui la rendraient incapable d’entretenir donc de protéger les trésors culturels. Et voilà que quelque Messie bien de chez nous, qui n’est pas à sa première sortie médiatique douteuse, cautionne ce médiocre argument de l’incapacité d’un continent. Ce nouveau Messie ne sait peut-être que ce problème des biens culturels mobilise une armée de juristes, d’historiens, d’ethnologue dont la réflexion ne bute pas à l’infantile prétexte mis en avant par ces nouveaux petits soldats pour sauver cet Occident en train de mourir selon Michel Onfray, philosophe de son état.
Assister au spectacle de cette agitation de la caste de ces intellectuels et artistes, on ne peut que se réjouir. En vérité, ces leurs têtes bien faites nous disent des choses sur leur monde qui se meurt. Et le plus triste, c’est que les Messie de chez nous rejoignent la cohorte vaillante et nombreuse d’une certaine France pour nourrir une vieille et rance idéologie, celle du droit du plus fort.
Ces quelconques Messie se sont déjà aventurés, en parlant de leurs compatriotes habitant dans des banlieues portant des noms étrangers ou bien jouant à Colombo pour dénicher les auteurs des expéditions de harcèlement de femmes en Allemagne une nuit de la Saint Silvestre. Tiens, tiens l’Allemagne habite décidément l’imaginaire de nos Messie, mais c’est un pur hasard. Comme c’est un pur hasard de voir leurs noms dans le New York Times et Le Monde. Il faut espérer que le mouvement de remise en cause actuel prônant le déboulonnage des statuts et symboles coloniaux les conduira à entretenir un autre rapport avec l’histoire. Par exemple, ne pas utiliser la dictature qui étouffe les peuples de notre continent pour faire oublier la fameuse justification de la colonisation «apporter la civilisation aux barbares». Ou bien dissuader les jeunes Français d’origine émigré de s’exciter dans les combats perdus d’avance sous prétexte que la justice est une chimère.
Certains leur pardonnent parce qu’un «grand» écrivain fascine par sa culture, et qui plus est célèbre. Faut-il leur rappeler que l’un des plus grand français Céline a été cloué au pilori non pour son génie littéraire mais pour ses idées nauséabondes ? Faut-il rappeler à ces laudateurs qu’il existe «une littérature de l’estomac», expression entrée dans le langage de la critique littéraire. Et cette critique voulait attirer l’attention sur l’opaque distribution des prix littéraires entre la caste «des copains et des coquins». Du reste dans le domaine de la littérature comme ailleurs, le temps fait toujours son œuvre. Beaucoup de romans primés sont ensevelis sous la poussière des bibliothèques. En revanche, d’autres ignorés à leur époque retrouvent de l’éclat et des lecteurs grâce à leur capacité à contourner les obstacles de l’air du temps. On sait que de grands écrivains ont refusé des prix prestigieux pour des raisons politiques, comme J. P. Sartre. D’autres comme Proust se sont vu refuser leur premier roman et un grand éditeur l’a regretté amèrement ensuite. En Algérie, d’aucuns pensent les critiques de ces Messie sont motivées par de la jalousie. Que nenni car tous ceux qui venaient écouter Kateb, Dib, Mimouni, Djaout, Boudjedra à la Fnac, au Centre culturel algérien, à la maison des écrivains ressentaient de la fierté et du plaisir de voir leurs compatriotes boxer dans la cour des grands.
La raison ? La littérature de ces ciseleurs des mots nage dans la beauté de leur langue à eux, parce que leur regard était aiguisé et sans complaisance sur l’Algérie et la France. Qui peut oublier Kateb Yacine défendant les langues populaires et invitant le peuple français à la solidarité et à réfléchir sur la tragédie du 17 Octobre 61 ? Cette «race» d’écrivains a épousé l’histoire et la recherche de la vérité et en ont fait leur boussole pour accoucher d’une grande littérature. De nos jours, autre époque, autre mœurs ! On s’agite pour attirer le regard de celui qui a le pouvoir de vous sortir de l’ombre.
Au diable l’histoire, le mot juste et âpre, travestissons les mots de bataille, de passé, plagions le butin pour le détourner du sens donné à cette image par Kateb Yacine. Aussi, on n’est point étonné qu’un certain rapport étriqué, à l’histoire et aux mots, charrie des idées que l’on croit novatrices alors qu’elles font partie des stocks de l’idéologie moisie d’une certaine France. Et ça donne des phrases qui ronronnent et pédalent dans le vide : «Il s’agit essentiellement d’une bataille gagnée sur la défaite passée», «le butin restitué devient un butin de guerre gagnée», «la restitution de crânes de résistant a été l’occasion d’une cérémonie nationale grandiloquente». Ces phrases, je les ai lues dans une tribune du journal Le Monde du 12 novembre où il était question de la non-rétrocession des biens culturels à leurs propriétaires historiques. Parlons de guerre, de butin, mots qui rythment l’article en question.
Comme chacun sait, la langue française a été notre butin de guerre (Kateb Yacine) qui n’a pas coûté un sou à la France. Bien au contraire, ça lui permet encore de vendre ses produits, de diffuser sa culture mais pas forcément sa grandiose littérature. Celle plutôt de cette économie de bazar, de ce capitalisme d’import/import engendrant une vision petite bourgeoise des choses. Ainsi «notre» butin est bien léger comparé à celui de la France, arraché par la force et qui a un nom : le vol. En effet, dès le débarquement des troupes en 1830, les conquérants s’empressèrent de vider les caisses du Trésor d’Alger qui permit à des familles, qui existent encore de nos jours, de s’envoler dans le firmament du capitalisme qui s’épanouissait alors. Ensuite, l’Algérie servit de grenier agricole et un bel avenir pétrolier s’offrait à la France, lui assurant ainsi une indépendance énergétique.
Mais revenons à ce butin que les pays pauvres qui ne seraient pas en «mesure d’assurer la sauvegarde». Je ne vais pas entrer dans un exercice byzantin et malsain. Dans pareil jeu, les Jésuites sont les plus forts car il est un cache-sexe pour les mensonges grossiers. Il est du même acabit de justification de «nous leur avons apporté la civilisation à ces barbares». Il faut vraiment ne plus pouvoir rougir de honte pour vomir de telles insanités. Puisque nous sommes dans le registre de la bêtise, restons-y ! L’auteur de la tribune du Monde (3) nous dit : «Et pour la partie adverse (l’Algérie) ? Il s’agit essentiellement d’une bataille gagnée sur la défaite passée (des Algériens).» Tiens, ça ressemble à l’opinion de l’ignorant Saâdani «intérimaire» du FLN qui disait que De Gaulle nous a donné l’indépendance.
Non, messieurs les complexés, les Algériens ont regagné leur terre et l’ont chèrement payé. Vos pirouettes langagières prouvent que vous ne comprenez rien ni à l’histoire ni à l’art de la guerre. Celui-ci enseigne que la victoire revient à celui qui reconquiert son territoire face à un ennemi qui a utilisé tous ses moyens. «La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens.» Ils ont utilisé tous les moyens et ils ont perdu, nous avons utilisé le moyen à notre disposition, le courage et le sacrifice pour retrouver notre dignité. Puisque vous semblez être émerveillé par la puissance des armes qui gagnent les guerres, sachez que même les armes de ceux que vous admirez n’apportent plus de victoires. Le vent a déjà commencé à tourner. Vous avez entendu parler de Diên Biên Phu, des raclées reçues par les GI’s américains en Corée, Viêt Nam, Afghanistan, Irak et bientôt en Syrie. Et puis comme l’a dit Ben M’hidi : «Donnez-nous vos avions, on vous donne nos couffins.»
Le contentieux colonial est trop grave pour être traité avec légèreté et ignorance. Dans ce genre de guerre même «pacifique», le vernis d’une «renommée» ne va pas changer la donne. Les cinq Congolais ont compris comment on gagne une guerre, ne jamais se mettre sur le terrain de l’adversaire. Ce dernier ne se contente pas de sa position de force qu’il détient sur le terrain, tout est bon pour faire oublier la nature du contentieux. Et suprême astuce, faire appel à des autochtones si possible avec une petite renommée. Les cinq Congolais ont refusé de se jeter dans ce piège. Ces gars me rappellent l’incident de Rachid Boudjedra avec France Inter. L’écrivain algérien venu parler de son dernier roman se voit bombarder de questions bêtement orientées d’un journaliste haineux. Ni une ni deux, Rachid se leva et partit comme le fit Maurice Clavel en décembre 1971 à la télé en disant : «Messieurs les censeurs, bonsoir !»
Pour conclure sur les victoires et défaites des guerres. Il y a deux façons de lire l’histoire des guerres. Au ras des pâquerettes comme les Rambo, les muscles et la tête vide. Et puis celle de Karl Clausewitz. Ainsi, il est des défaites du passé qui sont plus glorieuses que des batailles gagnées. La gloire du passé de la France ne l’a pas protégée des armées allemandes entrées à Paris en balayant l’armée française, héritière de la grande armée de Napoléon. L’occupation de la Chine aux XVIIIe/XIXe siècles par toutes les armées de l’Occident ne l’empêche pas aujourd’hui de faire trembler ce monde-là. Il est des gens qui admirent la France de Clovis et d’autres qui préfèrent la stature historique d’un Robespierre, de Louise Michel et la solidarité des porteurs de valises pendant notre Guerre de libération.
A chacun son histoire personnelle et ses choix politiques, et chacun reconnaîtra la nature et la qualité de ses rêves. Je ne peux pas terminer cette bafouille sans citer George Orwell : «Le langage politique moderne est conçu pour rendre les mensonges véridiques et les meurtres respectables, et pour donner une apparence de solidité à ce qui n’est que vent.» Venant d’un écrivain du pays de Shakespeare, on ne peut que signer des deux mains cette lucidité et intelligence.
A. A.
PS : Je n’ai pas jugé nécessaire de citer le nom de l’écrivain qui a suscité cette contribution. La tribune de l’écrivain, la date de diffusion dans le journal Le Monde permettent aux lecteurs de la lire et avoir des repères pour leur jugement.
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