Dindon de la farce ?
Par Mrizek Sahraoui – Le rapport rédigé par Benjamin Stora sur la réconciliation des mémoires, remis à Emmanuel Macron le 20 janvier dernier, a fait réagir des deux côtés de la Méditerranée, en Algérie comme en France. Tout a été dit, ou presque. Mais tout bien considéré, il a semblé manquer de dire que l’historien, censément qualifié pour traiter de ces questions, a été superbement (pour ne pas dire honteusement) dupé par (son) Président passé maître dans l’art de rendre compatible ce qui est foncièrement incompatible.
C’est le célébrissime «au même temps» cher à Macron dont la démarche au sujet de la colonisation et de la guerre d’Algérie, menée sous couvert de bonnes intentions – qui ont vite buté sur la (real)politique –, a été moins de solder définitivement le passé colonial que de poser les jalons sur le chemin fort bien fléché menant droit vers un second mandat.
Il appert que Benjamin Stora, pris en tenailles entre l’exigence de rigueur, de rectitude morale, d’honnêteté intellectuelle et la crainte de heurter les panégyriques d’une certaine idée de l’histoire de France avec ses zones sombre, a été abusé. Il a d’ailleurs lui-même dénoncé «un jeu politique» qui a faussé son rapport avant même sa remise au président français.
Il était attendu que le rapport Stora invite la France à regarder en face son histoire. L’on y a découvert une intolérable symétrie entre les actes de bourreaux, aujourd’hui condamnés par la justice internationale, et les souffrances de leurs victimes. Alors, c’est parce que les recommandations émises dans le rapport de l’historien Benjamin Stora n’ont pas fermé les plaies mais les ont grandement rouvertes ; c’est aussi parce que les conclusions dudit rapport n’ont pas donné lieu à un vrai travail visant à solder une bonne fois pour toutes le passé que le débat ne fait que commencer. Un débat qui devra sûrement préoccuper encore plus les générations futures, jusqu’à ce que la vérité historique aura vraiment été écrite. Dans le détail.
Mais pour que la vérité historique ait été écrite sous l’ère Macron, il aurait fallu qu’eût suivi subséquemment une volonté politique forte, soutenue, et une réelle détermination d’assumer les crimes commis – et les bidons spéciaux. Comme avait dit feu Chirac dans son discours, en juillet 1995 lors des commémorations de la rafle du Vel’ d’Hiv : «Ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’Etat français.» Tout est dit, manque l’autre épisode de l’histoire de France… coloniale.
Autres temps, autres mœurs, dirons-nous, puisque depuis le 13 novembre dernier une instruction ministérielle a réduit l’accès aux archives contemporaines et aux documents datant entre 1934 et 1970, désormais classés secret défense aux chercheurs et aux historiens, dont fait partie Benjamin Stora, le dindon de la farce.
Dindon de la farce parce que ladite instruction est intervenue au moment où l’auteur de Histoire de l’Algérie coloniale1830-1954 a milité en faveur de l’ouverture, à présent compromise, des archives relatives à la guerre d’Algérie.
M. S.
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