De l’eau dans le gaz
Par Mrizek Sahraoui – Les relations entre la Russie et l’Union européenne se sont tendues ces derniers jours. La tension est même à son comble. Et La raison officiellement invoquée du côté européen, c’est la condamnation à trois ans de prison ferme par un tribunal moscovite de l’opposant Alexeï Navalny. Mais s’il y a bien de l’eau dans le gaz entre la Russie et l’Europe, c’est plus en raison du conflit autour du gaz russe justement, sujet brûlant dont on parle peu, que d’un quelconque lien avec une affaire de droits de l’Homme qui seraient, répètent urbi et orbi les responsables européens, bafoués en Russie.
Des diplomates de trois pays, Allemagne, Pologne et Suède, sont déclarés, le 5 février dernier, personæ gratæ, accusés par les autorités russes de s’ingérer dans une affaire spécifiquement russo-russe, alors que le chef de la diplomatie européenne, en visite à Moscou, était reçu par Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères de la fédération de Russie. Des expulsions fermement condamnées par Josep Borrel, le chef de la diplomatie européen, et qualifiées d’«injustifiées» par la chancelière allemande, Angela Merkel.
Si la date du 22 février est d’ores et déjà retenue par les dirigeants européens afin discuter des relations avec la Russie, rien ne permet, à cette heure, s’ils parviendront à un consensus autour d’une position commune, l’Europe désormais vivant dans un contexte délicat, marqué par des dissensions politiques majeures. L’arrivée du vaccin sur le sol européen a mis à nu cette Europe, dont les membres affichent de plus en plus publiquement leurs divisions, incapables de réconcilier leurs intérêts divergents.
Des intérêts divergents entre les 27 membres, mais affichant toutefois une union de façade pour sauver les apparences. C’est le moins que l’on puisse dire après des débuts de campagnes vaccinales très difficiles, allant clopin-clopant sur fond d’une rupture de doses – pourtant annoncée par le patron de BioNTech -, «la meilleure des pubs pour le Brexit», écrit l’hebdomadaire allemand Die Zeit.
Mais si l’Union européenne est autant remontée et s’en prend à la Russie, ce n’est certainement pas en raison de la condamnation de l’opposant à Vladimir Poutine, accusent certains observateurs, selon lesquels le sort de Navalny est secondaire, ne représentant aucune espèce d’intérêt devant les multiples enjeux politiques, stratégiques du projet gazier Nord Stream 2. Un projet de gazoduc qui doit acheminer le gaz russe vers l’Allemagne via la mer baltique, long de 1 200 km. A cela s’ajoute, bien sûr, le vaccin anti-Covid Sputnik V qui vient bouleverser les stratégies échafaudées en vue d’imposer un leadership occidental et vient donner un éclairage sur les capacités des chercheurs russes, dont l’Occident arrogant a, pendant longtemps, sous-estimé le talent.
Faut-il rappeler que ce projet gigantesque divise les Européens depuis plusieurs années, c’est-à-dire du temps où Alexeï Navalny était un simple blogueur à Moscou. A la mi-janvier, une résolution non contraignante avait été adoptée par le Parlement européen demandant l’arrêt immédiat du projet. En vain, puisque l’Allemagne, le partenaire dans ce projet qui sème la discorde entre les 27, a refusé catégoriquement, privilégiant manifestement ses intérêts stratégiques.
Beaucoup s’interrogent sur ce soudain intérêt que portent certains responsables européens aux droits de l’Homme, alors qu’en France, pendant de longs mois, des Gilets jaunes avaient fait face aux lanceurs de balles de défense (LBD). Des milliers de manifestants condamnés et des dizaines d’autres mutilés, éborgnés, sous les yeux grands ouverts d’une Union européenne, depuis un moment maintenant passée experte dans l’art de manier le deux poids, deux mesures.
M. S.
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