Le «dawla madania machi askaria» n’est pas d’inspiration «soummamienne» !
Contribution de Samir Bouakouir – Il n’est pas inutile de rappeler que le slogan «dawla madania machi askaria» est un vieux mot d’ordre lancé en Egypte par l’organisation des Frères musulmans après leur interdiction par Nasser à la suite du coup d’Etat des officiers libres, en 1952, qui avait renversé la monarchie.
Ce mot d’ordre introduit insidieusement dans le Hirak bien après la chute du régime Bouteflika, en chassant celui initial de «djeïch chaâb khawa khawa», par des milieux politico-idéologiques qui avaient, dans un premier temps, espéré une alliance avec le chef d’état-major de l’époque, charrie une «charge historique» qui, ramenée à la réalité algérienne, vise à replonger le pays dans les années 1990.
Dirigée contre l’armée, l’introduction de ce «mot d’ordre» n’est pas fortuite, en particulier dans un contexte de fragilisation de l’Etat national en prise avec un environnement régional très instable et potentiellement menaçant pour la sécurité nationale. Il n’est pas étonnant qu’il ait pu trouver un écho favorable auprès d’Etats, ou d’alliances d’Etats, qui ne cessent, depuis quelques années, d’exercer de fortes pressions pour réorienter la doctrine algérienne en matière de politique étrangère et de soutien à des causes justes.
Au-delà de l’utilisation ambiguë de la notion d’«Etat civil», dont les vrais promoteurs évitent de débattre du contenu, ou de lui adjoindre l’adjectif «républicain» ou «démocratique», l’escroquerie majeure réside dans l’assimilation de ce mot d’ordre avec celui énoncé dans les résolutions du Congrès de la Soummam, à savoir «la primauté du politique sur le militaire» qui ne postulait en aucune manière l’éloignement du militaire du processus décisionnel politique, mais la nécessité de redonner au politique la prééminence dans la conduite de la lutte politique de libération en vue des négociations pour consacrer l’autodétermination du peuple algérien.
Posé dans l’Algérie post-22 février, ce «principe soummamien» ne signifie pas autre chose que la mise en œuvre d’un processus politique démocratique avec l’engagement et l’accompagnement de l’institution militaire. Une nécessité historique, urgente et vitale, pour préserver la paix civile, en finir avec les «révolutions de palais» et restituer enfin l’Etat à la nation.
En réalité, la confusion sciemment entretenue entre les deux mots d’ordre vient tout à la fois dissimuler et nourrir cette alliance objective, conjoncturelle, entre les partisans de «califat islamique» et ceux de «tamazgha». Cette dernière notion aux contours flous, relevant plus du fantasme néocolonial que d’une réalité historiquement pertinente, est un subtil détournement de la légitime revendication nationale amazighe telle que formulée au moment des événements d’avril 1980. Parce qu’elle projette non pas un ensemble nord-africain interétatique, mais un vague espace géoculturel et politique qui présuppose la dissolution des cadres nationaux, elle rejoint la première en cherchant à encourager et à organiser les dissidences tribales, ethniques et régionalistes.
Comment s’étonner, dès lors, de retrouver chez les idéologues de ces deux courants transnationaux le même acharnement pour déconstruire la conscience nationale et délégitimer le 1er Novembre 1954 ?
Il est grand temps de raviver l’esprit nationaliste du 22 février 2019, aujourd’hui perverti, pour que puisse émerger une vraie force politique, patriotique et démocratique qui aura pour tâche de parachever le projet national. Un parti comme le FFS, s’il parvient à dépasser ses contradictions internes et ses pesanteurs sociologiques, peut jouer, dans ce cadre, un rôle dynamisant.
S. B.
Ancien premier secrétaire du Front des forces socialistes (FFS)
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