Féminicide : concept genré tendance ou tendancieux ? (II)
Par Mesloub Khider – En outre, dans une société urbanisée aux liens sociaux totalement déficients, dominée par l’individualisme débilitant, la perte de son unique partenaire sociale (conjugale) assurant la préservation d’une sociabilité humaine, provoque inévitablement des réactions de panique, de détresse, des sentiments abandonniques. La peur angoissante d’être réduit à la solitude, dans un univers violent tenaillé par l’adversité, le sentiment de déréliction, de honte sociale et d’échec conjugal, expliquent également le passage à l’acte meurtrier.
Qu’il soit clair : on tente d’expliquer et non de justifier ces barbares assassinats de femmes, et surtout de bien identifier la source de cette déviance sociale, car il n’est pas dans les projets de la nature humaine de s’autodétruire.
Contrairement à la thèse idéologique répandue par les néo-féministes, selon lesquelles le meurtre d’une conjointe par son mari aurait comme unique et exclusif mobile la haine des femmes générée par le patriarcat, la commission d’un crime contre une épouse (campagne) s’expliquerait par la combinaison de multiples facteurs, à la fois psychologiques, psychopathologiques et contextuels ou sociaux. Ces crimes dits «passionnels» sont en réalité difficile à cerner. Par conséquent, ils sont impossibles à prévenir du fait du caractère de normalité du fonctionnement du couple. Ils interviennent uniquement dans un contexte de séparation, perpétrés dans le cadre de relations conjugales de plusieurs années de vie commune. Ce genre de crime, qui n’a rien d’un crime de genre, résulterait de l’incapacité psychologique pour l’un ou l’autre conjoint (majoritairement des hommes) de concevoir la séparation, d’accepter la rupture. Car, pour ces hommes, souvent psychologiquement vulnérables, la séparation est synonyme d’anéantissement. Le passage à l’acte, loin d’être prémédité, prend l’inattendu criminel par surprise. Tout homme est potentiellement criminel. Le comportement criminel n’est pas singulièrement inhérent à une structure psychique ou un type de personnalité. Toute personne est susceptible de commettre un meurtre dit passionnel, dès lors que certains facteurs psychologiques et environnementaux l’acculent. Notamment la survenue d’une vulnérabilité psychologique consécutive à l’annonce d’une rupture conjugale, synonyme d’un effondrement psychique, d’une catastrophe familiale et sociale. Tout individu peut devenir dangereux quand il est en situation de vulnérabilité, confronté à un événement de rupture. Certes, pour la majorité des hommes, une rupture est douloureuse, mais pour une infime minorité elle peut être traumatisante, insupportable car elle est incapable d’intégrer la séparation.
Par ailleurs, dans une société urbaine capitaliste individualiste, marquée par l’amenuisement des relations sociales, la complication de tisser des liens d’amitié et la difficulté de nouer une nouvelle relation conjugale, la perspective de cette solitude sociale et conjugale, doublée d’une misère sexuelle, est terriblement angoissante pour nombre d’hommes vulnérables confrontés à une rupture conjugale brutale. Sans omettre la dégradation de la situation financière provoquée par la séparation conjugale, la rupture des liens avec leurs progénitures, vécue comme une amputation parentale, un déni de paternité. Tous ces facteurs anxiogènes participent à la dégradation psychologique de certains hommes vulnérables, à l’enchaînement pathologique et criminologique de la situation conjugale marquée par la rupture.
A notre époque de société marchande, tout se monnaye, même la souffrance. Nous sommes probablement entrés dans l’ère de la victimisation, où il n’est plus aucune souffrance qui n’exige d’être affirmée, reconnue, réparée et indemnisée. Ainsi, tous ceux qui ont quelque chose à revendiquer n’ont plus qu’à s’introduire dans une nouvelle catégorie victimaire pour exposer leurs revendications, faire valoir «leurs droits», aussi farfelus et illégitimes soient-ils. Cette tendance à la judiciarisation de toutes les causes avait été annoncée, de manière prémonitoire, au début du XXIe siècle, par l’avocat Thierry Levy : «l’institution judiciaire s’est trouvée un nouveau maître, plus aveugle, plus menaçant encore que l’Etat autoritaire. Le plaignant aux mille récriminations, idolâtré, transfiguré en sainte victime», écrivait-il dans Eloge de la barbarie judiciaire (2004). Aujourd’hui, le féminisme vindicatif tente de prendre en otage le droit en s’arrogeant le monopole de la représentation de la souffrance légitime. Déjà, on se souvient, à l’occasion de l’ouverture, le 3 septembre 2019, du Grenelle des violences conjugales en France, les associations féministes avaient multiplié les déclarations percutantes et les «démonstrations coups de poing à corps nu» à la Femen, pour rappeler qu’«une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint en France», réclamant la création d’une incrimination spécifique de «féminicide» dans le code pénal. Quelques jours plus tard, le président Macron a appuyé cette revendication à l’ONU.
«Parce que les féminicides continuent, en France comme dans d’autres Etats, nous devons donner un statut juridique à ce sujet et bâtir une action efficace pour l’éradiquer.» En prononçant ces mots le 23 septembre 2019 à la tribune de l’ONU, Emmanuel Macron a adopté une pensée magique pour qui la simple invocation vaut résolution, la simple incantation vaut solution. En effet, la pensée magique a pour caractéristique de s’attribuer le pouvoir de provoquer l’accomplissement de désirs, l’empêchement d’événements ou la résolution de problèmes sans intervention matérielle. S’il suffisait juste le vote d’une loi condamnant tout délit ou crime pour empêcher la commission d’un acte répréhensible, depuis longtemps les prisons seraient vides, les tribunaux démantelés, la police abolie. Or, il n’en est rien. Aucun durcissement du code pénal est susceptible d’apporter un adoucissement de la société. Même l’existence de la peine de mort n’a jamais freiné la criminalité, comme la société étasunienne criminogène l’illustre.
Contre cette dérive judiciaire féministe, les opposants (notamment les juges et les avocats) à la codification du féminicide invoquent le principe d’égalité devant la loi. Selon les juristes opposés à la codification, l’institutionnalisation du féminicide vise à s’appliquer à une catégorie de la population. Or, cette application porte atteinte au principe d’universalisme du droit et d’égalité des citoyens devant la loi pénale. L’incrimination spécifique du féminicide a pour objectif de sanctionner plus diligemment et plus sévèrement les auteurs du crime. Toujours est-il qu’avec cette spécification juridique, à situation identique, l’auteur d’un meurtre ou de violences perpétrées contre une femme se verrait appliquer un traitement judiciaire distinct et une condamnation plus lourde que le coupable de forfaits identiques commis à l’encontre d’un homme. Au final, cela reviendrait à considérer le meurtre d’une femme plus répréhensible que celui d’un homme. Ce qui serait, au plan humain et moral, inacceptable.
En tout état de cause, la question des homicides des femmes n’est pas un problème féminin (féministe) mais un dramatique problème de société ; encore une fois, il n’est pas dans les projets de la nature humaine de s’autodétruire : le ver n’est pas enfoui dans la tête de l’homme mais tapi dans le giron de cette société capitaliste criminogène. Aussi les féministes ne contribuent-elles nullement, par leurs gesticulations stériles et leur combat sectaire, à féconder le débat, à sensibiliser l’ensemble des membres de la communauté humaine à cette cause sociale universelle. Mais plutôt à en brouiller le sens par leur sémantique tirée par les cheveux, tressée idéologiquement sur mesure par les féministes pour isoler la femme de l’homme, son compagnon égal et vice-versa. Toutes les victimes, de sexe masculin ou féminin, méritent un traitement judiciaire égalitaire. Toutes les victimes de violences physiques et létales méritent une empathie identique de l’ensemble de la communauté humaine. Aucun homme ni aucune femme ne doit être répertorié comme violent en raison de son appartenance sexuelle. La «genrification» en matière judiciaire est nuisible à la société. En tout état de cause, dans le monde judiciaire, le concept est contesté. Car, sur le plan juridique, le fait de tuer son conjoint (époux ou épouse) étant déjà une circonstance aggravante (qui fait passer, en France notamment, la peine encourue de 30 ans de réclusion à la perpétuité, soit le maximum). Sauf à établir une différence entre les sexes, ce qui est contraire au principe d’universalisme du droit et d’égalité des citoyens devant la loi pénale. Cela s’apparenterait à une justice d’exception, selon laquelle le meurtre d’une femme commis par un homme serait jugé avec une grande sévérité, tandis que celui d’un homme perpétré par une femme pourrait bénéficier d’une forme de «légitime défense différée». Comme l’a déclaré un magistrat : «On ne tue pas son épouse parce que c’est une femme, mais parce qu’elle est la compagne. Les ressorts sont les mêmes dans tous les meurtres de conjoints, qu’ils soient hommes ou femmes». En effet, il est réducteur de considérer que tout homme qui tue sa campagne le fait parce qu’elle est une femme.
Ce faisant, sur le modèle du terme homicide, le féminisme misandre a forgé le concept féminicide, pour se différencier du mot homicide considéré par les féministes comme par trop masculin. Or, le mot latin Homo (le radical du terme homicide) désigne l’espèce humaine et non le genre masculin. Pour ce dernier terme, il existe le mot vir (à partir duquel est construit le mot viril, qui signifie propre à l’homme, relatif au sexe masculin). Pourtant, dans le code pénal on ne désigne pas le meurtre d’un homme commis par une femme ou un homme de viricide pour qualifier ce genre de crime. Au plan juridique, tout crime est désigné par le vocable homicide.
A cet égard, il est important de souligner qu’en France les crimes de «parricide» et d’«infanticide» ont été supprimés du code pénal depuis 1994, pour défendre le principe d’égalité. Or, les néo-féministes, par leur volonté d’introduire le concept de féminicide dans le droit, renouent avec les particularismes juridiques, en contradiction avec le principe d’égalité devant la loi pénale.
En réalité, historiquement, durant des siècles, pour désigner le meurtre d’une femme par son conjoint on employait le terme «uxoricide». Le terme vient du latin uxor, «épouse». C’est un terme très ancien puisqu’il remonte au droit romain.
Après la Révolution française, durant cette période d’institutionnalisation de l’égalité des droits, le terme est tombé en désuétude en raison de sa connotation foncièrement préjudiciable au statut de la femme. En effet, il ne faut pas oublier que durant des siècles la femme était considérée comme faisant partie intégrante de la propriété maritale, autrement dit la propriété du mari (de son père). En droit romain, le mari avait le droit de tuer son épouse si elle était prise en flagrant délit d’adultère dans la maison conjugale, voire sur une simple suspicion d’adultère. Le terme d’uxoricide perdure pendant des siècles pour désigner le meurtre d’une épouse. Au moment de la rédaction du code napoléonien, pour définir le meurtre du conjoint ou de la conjointe, le terme de «conjugicide» avait été suggéré pour figurer dans le Code pénal de 1810. Au final, il n’est pas inscrit dans le droit.
Derrière cette bataille de mots, les féministes veulent créer un nouveau genre de crime, le crime de genre. Elles s’attachent à tracer une ligne de démarcation très nette entre le crime «ordinaire» et le crime de genre. Dans l’approche néo-féministe, le féminicide serait un continuum de violences allant de la simple insulte sexiste au meurtre.
Ainsi, avec leur conception doctrinaire féministe, on aboutit à procéder à un amalgame entre insulte, délit et crime. Avec le concept du féminicide, ce n’est plus un acte qui est condamné, mais l’intention du coupable. C’est postuler qu’un homme coupable d’insultes envers sa femme est un meurtrier en puissance. C’est créer une compartimentation des violences, les unes, d’essence masculine, seraient sévèrement jugées et condamnées, les autres, féminines, légitimes en raison des circonstances atténuantes dues à leur «sexe faible». Cela revient à créer une sous-catégorie différenciée pour le meurtre de femmes. Ironie du sort, cela induit l’exclusion de la gent féminine de la communauté humaine. In fini, le néo-féminisme instaure une essentialisation des sexes qui figerait les hommes dans la position de perpétuels persécuteurs et les femmes dans celle d’éternelles victimes. Or, juridiquement, pour quel motif tout meurtre est qualifié d’homicide et non de viricide ou de féminicide ? Car le droit estime qu’attenter à la vie d’autrui constitue un crime qui menace, non un genre particulier de l’espèce humaine, mais l’ensemble de l’humanité, par-delà la différence des sexes.
Ce faisant, le concept de féminicide est pernicieux car il érige les femmes en catégorie spécifique détachée de l’humanité. Ce concept introduit une hiérarchisation des crimes. Il postule que le meurtre d’une femme serait plus tragique que celui d’un homme. De même, il répand l’idée selon laquelle le meurtre d’une femme par un homme ne serait pas un «fait divers» conjugal mais un drame social généré par une société dominée par les hommes. En d’autres termes, la culpabilité n’est pas circonscrite au meurtrier, mais étendue à l’ensemble des hommes, par une forme d’extension de la culpabilité à toute la population masculine, distillée par le discours culpabilisateur féministe.
En vérité, historiquement, les violences envers les femmes et les hommes ont considérablement baissé. La condition de la femme contemporaine ne ressemble aucunement à l’ancienne sinistre époque où elle était totalement asservie.
Le temps est à la poursuite de ce progrès et non à la stigmatisation des hommes jetés en pâture par un certain féminisme revanchard comme les coupables tout désignés de la violence résiduelle encore prégnante au sein de la société. Le féminisme vindicatif, dans sa guerre des sexes, pour polluer la lutte des classes par ses divisions entre femmes et hommes et diversion politique, rivalise d’ingéniosité pour jeter l’opprobre sur tous les hommes, accusés de tous les maux de la société. Le féminisme contemporain misandre a forgé le concept féminicide sur le modèle de génocide pour instiller la pernicieuse idée selon laquelle tous les hommes seraient mus par une volonté d’extermination des femmes.
Dans la conception féministe fanatique, chaque homme porte sur ses épaules le poids des homicides commis contre les femmes, en vertu de la présomption de culpabilité de la globalité de la gent masculine. Et doit faire ainsi pénitence de ces péchés criminels perpétrés contre les femmes. Mieux : repentance, pour s’absoudre de ces «féminicides».
Comme nous l’avons souligné dans notre texte consacré aux dérives du néo-féminisme, le féminisme contemporain s’est pitoyablement dévoyé. Aujourd’hui, l’émancipation de la femme se réduit à s’ingénier à singer les comportements masculins, à emprunter les pires travers des hommes, comme si le modèle masculin était le prototype idéal à égaler, à surpasser. Par leur volonté effrénée d’égalisation, d’identification au modèle masculin, les femmes se doivent d’avoir les mêmes aspirations, occuper les mêmes emplois, embrasser les mêmes carrières, adopter la même mentalité de prédation, les mêmes mœurs de domination. Une femme qui ne se conforme pas ces conventions sociales masculines est taxée d’archaïque, de conservatrice. Le néo-féminisme sectaire est totalitaire car il est contre la liberté individuelle féminine, la diversité en matière de choix dans la structuration de l’identité de la femme. Toute femme se doit d’intégrer le modèle dominant occidental dans la construction de sa féminité. En l’espèce, il ne s’agit nullement d’une émancipation féminine, mais d’un asservissement à l’archétype féminisme libéral et libertaire outrancièrement idéologique.
Nous savons, grâce à Freud, que le cerveau de l’homme n’est que l’appendice de son sexe. Avec le néo-féminisme, nous découvrons que les questions sexuelles sont devenues le fil d’Ariane obsessionnel de l’activité militante des féministes contemporaines : focalisation sur les conduites sexuelles, discours apologétique sur la théorie du genre, campagne idéologique d’hétéro-phobie sur fond de misandrie pathologique, promotion pédagogique de l’homosexualité, sexualisation du vocabulaire, genrification grammaticale, etc.
Aujourd’hui, parmi les stratégies d’occultation de la violence de classe contre le prolétariat figure l’instrumentalisation des violences faites aux femmes. Cette médiatisation des violences sexistes a pour dessein d’occulter les violences sociales, de dépolitiser les rapports sociaux de domination pour focaliser la conflictualité sur les prétendus rapports de pouvoir asymétriques qui régiraient les relations entre femmes et hommes. La lutte des classes est remplacée par la guerre des sexes.
Selon ce discours misandre des féministes, ce n’est pas l’entreprise qui est le lieu d’exploitation et d’oppression par excellence mais la maison, qui serait devenue l’endroit où les femmes courraient le plus grand risque, dès lors que cette maison est partagée avec un homme, qu’il soit son mari, son compagnon (sic). La preuve : une universitaire-chercheuse féministe, après avoir commenté une enquête sur les femmes victimes d’homicide, tuées par leur conjoint, conclut par cette observation symptomatique du climat de défiance manifesté à l’égard de l’homme et de l’institution conjugale et familiale : «Toutes les données convergent pour souligner la dangerosité de la sphère familiale et conjugale pour les femmes.» «Un modèle familial hautement pathogène, car fondé sur l’emprise d’une représentation traditionnelle de la famille où domine l’appropriation des femmes.» Moralité : l’homme et la famille représentent un danger pour la femme. Conclusion implicite de cette posture féministe jusqu’au-boutiste : femmes, restez célibataires ou mariez-vous avec une femme !
Cette idéologie misandre est dangereuse. Ce terrorisme intellectuel d’une minorité d’activistes féministes crée une nouvelle forme de bellicosité, un nouveau genre de guerre : une guerre de genre.
M. K.
(Fin)