Interview – Ghaleb Bencheikh : «Les articles diffamants ne m’atteindront pas»
Algeriepatriotique : Vous avez été réélu à la tête de la Fondation Islam de France (FIF), ce jeudi. Pouvez-vous nous donner un aperçu sur les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’élection ?
Ghaleb Bencheikh : Les conditions dans lesquelles s’est déroulé le scrutin ont été sereines et détendues. L’élection s’est passée avec un sens aigu des responsabilités. Nous tenions tous à ce que l’élection eût lieu. Il y allait du bon fonctionnement de l’institution. Et comme toutes celles de son importance, elle doit survivre aux hommes et aux femmes qui président à sa destinée. Nous nous réjouissons qu’une institution reconnue Etablissement d’utilité publique puisse renouveler ses instances dirigeantes dans le respect de ses propres statuts et de son règlement intérieur afin de poursuivre toutes ses activités. Elles sont nombreuses et de la plus haute importance pour la nation et pour l’islam.
Les deux dernières années ont été difficiles à cause de la crise sanitaire mondiale qui a freiné toutes les activités. Comment avez-vous pu faire face à la pandémie et à ses conséquences sur le culte musulman en France ?
Il est vrai que nous avons évolué dans un contexte sanitaire et financier très contraint. Et nous avons dû nous adapter. A titre d’exemple, nous avons commué notre université populaire itinérante en université digitale. Elle est maintenant, à notre grand étonnement et à notre satisfaction, suivie par des dizaines de milliers d’internautes francophones de par le monde. Comme nous ne nous occupons pas des questions cultuelles proprement dites, nous n’avons pas eu à gérer les frustrations des fidèles quant à leur observance rituelle et liturgique. En revanche, nous avons dû expliquer que la sagesse et le sens des responsabilités recommandent de préserver la vie et la santé. Auquel cas, il fallait respecter toutes les restrictions sanitaires. Cette pandémie nous a appris tous à être stoïques et patients. Quand il faut endurer, il faut savoir le faire sans résignation morose mais avec calme et quiétude.
Comment comptez-vous relancer la FIF à la lumière de la timide reprise qui caractérise la vie sociale en France, après de longs mois de léthargie ?
Toutes les activités de la Fondation reprendront naturellement et elles atteindront leur vitesse de croisière avec la levée progressive des restrictions sanitaires. Nous poursuivrons les enregistrements de nos vidéos pour notre campus numérique Lumières d’islam, nous continuerons à donner les bourses aux cadres religieux désireux de suivre la formation civique à la faculté. Ce sera l’occasion de relancer tous nos programmes en attente. Les grands colloques sur des sujets cruciaux comme ceux de la liberté de conscience, l’égalité entre les êtres et la désacralisation de la violence. Et, bien évidemment, nous reprendrons l’itinérance de notre université populaire. C’est la meilleure façon de porter le débat avec l’ensemble des citoyens, musulmans et non musulmans. Nous n’avons jamais fait [que] de l’islamologie fondamentale ; bien au contraire, notre priorité est l’éducation populaire conjuguée à l’ouverture culturelle. Notre université, comme son nom l’indique, est populaire. Après une dizaine d’étapes, la dynamique a été stoppée à cause de la pandémie du coronavirus. Nous la reprendrons maintenant d’une manière hybride. En ce sens que nous nous déplacerons tout en mettant en ligne et en direct nos débats.
Enfin, nous avons élaboré tout un projet d’autofinancement et nous le mènerons à bien. Il n’est pas dans notre vocation de vivre indéfiniment avec les deniers publics. Entretemps, la Fondation assume des missions régaliennes de l’Etat pour lesquelles elle est délégataire en tant qu’Etablissement reconnu d’utilité publique. Pour cela, la dotation annoncée par le président Macron nous aidera à réaliser une bonne partie de nos activités stratégiques.
Vous avez été la cible de plusieurs articles diffamatoires ces derniers mois. Etaient-ils liés à l’élection du président de la FIF, selon vous ?
Ces quelques attaques outrageantes, venant toujours du même clan, ont commencé relativement tôt après ma première élection, puis elles se sont accentuées à l’approche de la réunion du conseil d’administration. Les articles diffamants ne m’atteindront jamais. Non seulement je fais mien le sens du vers du poète Al-Mutanabbi, «si une calomnie me visant te parvient de la part d’un ignoble vil, alors, c’est le témoignage, pour moi, que je suis vertueux». Mais, aussi, nous constatons tous que par leur inconsistance, ces libelles ne prennent pas. A cet égard, je voudrais vous remercier pour votre professionnalisme et votre travail d’investigation lorsque vous vouliez vous assurer de la véracité des propos diffamants tenus. Rien n’est étayé et pour cause. C’est de la pure affabulation injurieuse.
Evidemment, tout n’était qu’un tissu de mensonges éhontés. Je ne peux pas être à la fois ami intime d’Alain Finkielkraut et celui de Tariq Ramadan ; je ne peux pas être islamiste en connivence avec les Frères musulmans que j’ai toujours combattus depuis les exactions des GIA en Algérie et, en même temps, franc-maçon, alors que je n’ai jamais été initié de ma vie. Toutes ces incohérences et ces allégations mensongères ont jeté le discrédit sur leurs auteurs. La réaction des internautes montre qu’ils n’ont pas été du tout trompés. En outre, j’ai noté avec satisfaction que vous avez ouvert vos colonnes à Nazih Ibn Al-Hakim, qui a répondu avec une belle plume à ces attaques abjectes. J’en sais gré à votre journal et à cet écrivain estimable et courageux d’avoir permis une réponse à cette vilénie.
Quels sont vos premiers mots à la communauté musulmane de France après votre réélection ?
Ce seront des mots de reconnaissance et d’amitié. Ils sont très nombreux à s’être réjouis de cette réélection. Ils y ont vu une réaffirmation de la confiance que le conseil d’administration m’a renouvelée et une attestation de mon abnégation et de mon dévouement ; n’oublions pas que je suis président à titre gracieux, là où certains y voient des salaires somptuaires. Leurs témoignages touchants et affectueux m’ont ému. Je voudrais leur exprimer ici toute ma gratitude. En réalité, ils sont nombreux à nous écrire. Ils participent par dizaines de milliers aux différentes éditions de notre université populaire digitale.
Bien que la Fondation ne soit pas dans une optique communautaire, je dis aux musulmans de France, qu’ils soient citoyens ou résidents, que le grand œuvre du recouvrement de la dignité et de la fierté se réalisera bientôt. Nous ne laisserons jamais ni les criminels assassins, terroristes djihadistes, flétrir et pervertir notre belle tradition d’amour et de bonté ni les haineux continuer à déverser leur fiel sur l’islam religion et civilisation. A charge pour les musulmans de s’acquitter de leurs devoirs de citoyens afin de jouir de leurs droits inaliénables qui en découlent. Les devoirs et les droits sont l’avers et le revers d’une même effigie ; «d’un même talisman», a dit un ancien Premier ministre. Je ne cesse de clamer que les meilleurs antidotes à l’extrémisme religieux demeurent l’éducation et la culture avec une inclination pour les valeurs esthétiques et les humanités.
Quel genre de relations comptez-vous mettre en place avec les autres institutions en charge du culte musulman en France, sur fond de profondes divergences et de querelles de chapelle ?
Nous nous entendons bien avec la majorité écrasante des responsables musulmans des institutions religieuses en France. Certes, il y a eu quelques psychodrames et des velléités de division en fin d’année civile que nous déplorons. Mais notre principe à la Fondation est de ne jamais rien faire qui aggrave les dissensions et tout faire pour rassembler. Il n’y aura jamais de polémique de notre part. Notre prise de parole publique se veut toujours mesurée et dans la retenue. Nous sommes respectueux du «Yalta» qu’il y a entre le cultuel et le culturel, même si les porosités existent. Notre main est toujours tendue et notre volonté de coopérer avec les hiérarques musulmans est réelle. Les liens d’amitié que j’ai noués de longue date avec tous les recteurs de mosquée de province sont à consolider. Je me réjouis de l’entente fraternelle qu’il y a entre le président [du Conseil français du culte musulman, CFCM] Mohammed Moussaoui et votre serviteur. Nous œuvrons ensemble pour le bien commun et nos deux institutions conjuguent leurs efforts déployés pour l’intérêt général des musulmans de France.
Interview réalisée par Karim B.
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