Le représentant du Sahara Occidental en Europe se confie à Algeriepatriotique
Diplomate dévoué et militant infatigable, Oubi Bouchraya Bachir, le représentant de la République sahraouie en Europe, défenseur déterminé des intérêts sahraouis, est sans doute l’un des plus talentueux et dynamiques de sa génération. Et en sillonnant le Vieux Continent, il explique sans jamais se lasser, encore et encore, à tous ses interlocuteurs les contours de la question sahraouie et sa conviction partagée par les justes du monde entier que seule la justice est à même d’apporter la paix. Bien que son agenda soit des plus chargés en cette rentrée, il a accepté, sans hésiter, de répondre aux questions d’Algeriepatriotique pour commenter les divers chapitres de l’actualité, avec la franchise et le langage vrai qui le caractérisent.
Algeriepatriotique : Le moins que l’on puisse dire, c’est que la question sahraouie, malgré toutes les tentatives, est là et bien là !
Oubi Bouchraya Bachir : En effet, la question sahraouie est présente malgré tout, aujourd’hui plus que jamais et même qu’il existe un consensus régional, continental et international pour régler le conflit conformément à la légalité internationale, tout en respectant le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination et à l’indépendance. C’est une étape nécessaire et incontournable pour assurer la sécurité et la stabilité dans la région.
Tous les paris, passés et présents, pour liquider la cause sahraouie ont échoué, y compris le pari sur les tergiversations afin de provoquer une sorte de lassitude chez la communauté internationale et chez le peuple sahraoui qui se serait essoufflé après 30 ans d’attente passive. En réalité, c’est tout le contraire qui s’est produit : le peuple sahraoui, surtout depuis la reprise de la lutte armée, s’est mobilisé de manière extraordinaire et s’est montré prêt à payer le prix qu’il faut pour reconquérir ses droits.
J’ai foi en la capacité légendaire du peuple sahraoui à résister, à innover constamment et à déjouer les complots internationaux, bien que ses moyens par rapport à ceux dont dispose l’occupant soient asymétriques.
Ce dernier en pérorant que «le dossier est clos» ne fait que reproduire les expériences coloniales à travers l’Histoire, ce qui dénote une attitude de peur et un sentiment de défaite imminente. Le droit finira par triompher, peu importe le temps que cela aura pris, et en ce qui concerne les Sahraouis, le temps semble s’accélérer en leur faveur. Leurs droits finiront par prévaloir.
Sur le plan régional, avez-vous été surpris par la décision de l’Algérie de rompre ses relations diplomatiques avec le Maroc et croyez-vous que cela aura des conséquences directes sur le terrain diplomatique ?
En principe, la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le royaume du Maroc est une question bilatérale entre les deux pays. Ceci dit, le conflit au Sahara Occidental demeure présent pour les raisons que tout le monde connaît, notamment la position de principe de l’Algérie vis-à-vis de toutes les causes justes de par le monde. Cette rupture diplomatique n’aura étonné personne, étant donné que l’Algérie s’est montrée patiente tout au long des dernières décennies, malgré les trahisons successives qu’elle a dû endurer au vu et au su du monde entier.
Je ne suis pas ici pour expliquer ou justifier la position algérienne. Les Algériens en sont plus capables, mais la patience a des limites, non seulement pour l’Algérie, mais pour tous les peuples de la région qui constatent que le Maroc agit constamment en tant que proxy pour des forces étrangères hostiles à notre région et leur sert de plateforme à partir de laquelle elles peuvent exporter leurs problèmes, leurs crises et leurs conflits.
Face à une pareille situation, je pense que la question qui devrait être posée est pourquoi les relations diplomatiques entre les deux pays avaient tant persisté ? Au lieu de se demander pourquoi il y a eu rupture.
Au-delà du fait que ces derniers mois le Maroc avait sciemment et publiquement voulu «introduire le loup dans la bergerie» maghrébine et commis de graves erreurs diplomatiques à l’égard de l’Algérie, l’on sait que les deux principales justifications qui ont, historiquement, conduit l’Algérie à rétablir ses relations avec le Maroc au milieu des années 1980 étaient pour permettre, premièrement, la construction de l’UMA et, deuxièmement, contribuer à créer les conditions qui permettent de décoloniser le Sahara Occidental via un référendum d’autodétermination. Aujourd’hui, le résultat est connu de tous.
L’UMA a été gelée par une décision marocaine et le référendum d’autodétermination au Sahara Occidental aussi. D’une manière générale, et comme l’a si bien souligné le ministre algérien des Affaires étrangères, Monsieur Ramtane Lamamra, le rejet du référendum d’autodétermination et la tentative d’imposer des faits accomplis en s’appuyant sur des forces étrangères hostiles sont inacceptables et ne peuvent plus être tolérés.
Une position juste du Conseil de sécurité de l’ONU devrait prendre en considération les développements récents sur le terrain à partir de ce qui s’est passé à Guergarate, tenir compte de l’effondrement du cessez-le-feu et de la situation qui prévaut actuellement, ce qui devrait pousser à agir rapidement afin de parvenir au règlement du conflit de manière juste et mettre fin à la détérioration de la situation.
Le Maroc ne peut rester éternellement cet enfant gâté de la région à qui l’on ne refuse rien. Une attitude qui, au final, ne lui apporte que des catastrophes, faisant de lui l’unique pays au monde qui a de sérieux problèmes avec l’ensemble de ses voisins. D’ailleurs, la rupture des relations diplomatiques avec l’Algérie n’est pas une exception. Le Maroc est en rupture partielle ou totale avec la moitié des pays qui existent dans ce monde, y compris avec de puissants pays européens tels que l’Espagne et l’Allemagne.
Malgré le passage en force du président américain, nombre d’entreprises européennes et américaines craignent toujours d’investir au Sahara Occidental de peur d’encourir des poursuites judiciaires de votre part…
L’on ne peut pas aisément transgresser le droit international et la justice et le Sahara Occidental est un territoire dont le statut juridique international est bien connu. Cette situation consacre le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination et à la souveraineté sur ses richesses, d’où l’échec répété des efforts de l’occupant marocain visant à impliquer des sociétés étrangères internationales avec l’objectif de normaliser sa présence illégale au Sahara Occidental. Le Maroc mène de grosses campagnes dans ce sens et use de tous les moyens et lobbies pour impliquer des entités internationales ; de notre côté, nous luttons avec succès contre ces campagnes, poussant au retrait des dizaines d’entreprises et contribuant au déclin du commerce fondé sur le pillage des ressources naturelles sahraouies.
Les entreprises internationales qui tiennent à leur réputation ne peuvent pas investir en dehors d’un cadre juridique qui les protège, c’est la raison pour laquelle on constate des retraits fréquents de la part de ce type d’entreprises. Nous menons une bataille continue dans ce sens.
Concernant la décision de Trump, c’était comme un coup d’épée dans l’eau car sans aucun fondement, elle a d’ailleurs été contrecarrée de l’intérieur des Etats-Unis par les nombreuses et éminentes personnalités, elle a reçu un coup fatal à partir du moment où la communauté internationale l’a rejetée, préférant s’en tenir à la nature du conflit et au cadre légal qui prévoit son règlement. La décision était une atteinte contre le droit international. Ce qui, finalement, est juste et plus fort que tous les calculs politiciens et autres spéculations circonstancielles.
Le secrétaire général de l’ONU a nommé un nouvel envoyé pour le Sahara Occidental et chef de la Minurso, un Russe. N’est-ce pas un désaveu pour ceux qui misaient sur le choix d’autonomie imposé à la communauté internationale ?
La nomination d’un représentant spécial du secrétaire général de l’ONU est une décision technique. Je ne m’attends pas à ce qu’elle ait un impact significatif sur le processus politique. Le poste est de nature administrative, sa principale mission est la gestion quotidienne des affaires de la Minurso et actuellement, dans les faits, il n’y a pas grand-chose à gérer. Du reste, la Minurso est dépassée par les événements depuis longtemps devenant ce témoin qui n’a rien vu, surtout après l’effondrement du cessez-le-feu en novembre 2020.
Le point positif dans tout cela concerne la personnalité d’Alexander Ivanko. Brillant diplomate russe à la crédibilité avérée. Nous espérons qu’il sera autorisé, au moins, à permettre à la mission de surveiller la situation des droits de l’Homme au Sahara Occidental et de pouvoir rapporter sur les atrocités commises quotidiennement par l’occupation marocaine contre les civils sahraouis.
Concernant la proposition du Maroc pour la soi-disant autonomie, tout le monde sait qu’elle est mort-née car elle n’a aucune chance de survivre, ni juridiquement, ni politiquement, ni même logiquement. La proposition existe depuis 2007 et n’a pas avancé, et n’avancera pas d’un iota, car elle repose sur une fausse hypothèse que le Maroc possède déjà la souveraineté, ce qui lui permettrait d’accorder ou non l’autonomie à une région qui serait sienne alors qu’en réalité la souveraineté, c’est-à-dire le statut définitif du territoire, ne lui appartient pas. Ceci est fondamental et est la base même de l’autodétermination, le reste c’est epsilon.
Proposer l’autonomie de telle manière ne peut découler que d’un esprit arrogant qui consiste à dire «je gagne tout et l’autre partie perd tout», alors que le référendum est une solution «gagnant-gagnant» car c’est le peuple qui décide par-delà la position des parties en conflit.
Cependant, la situation actuelle a mis tout le monde dans une situation qui va au-delà de tout cela. La guerre a réorganisé les choses, selon un ordre différent et son évolution sur le terrain influencera sûrement le cours des choses. Le peuple sahraoui est déterminé à combattre avec ténacité et bravoure, tout en tendant sa main vers la vraie paix. Pas la fausse. Pas ce mirage que l’on a suivi trente ans durant, qui n’était fait que d’attente amère et de souffrances dont le peuple sahraoui paie le prix le plus cher.
L’Europe dans son ensemble a réagi avec scepticisme au coup de poker de Donald Trump et à la logique du fait accompli et maintient le choix d’une solution négociée. Cela dit, d’aucuns l’appellent à cesser la politique de l’autruche…
En général, la position de l’Union européenne concernant la déclaration de Trump était correcte dans sa forme générale et a contribué dans une certaine mesure à renforcer le consensus international qui rejetait cette déclaration. Cependant, l’Union européenne, que ce soit au niveau des Etats comme la France et l’Espagne, ou au niveau de l’Union en tant que telle, a contribué au blocage au cours des dernières années et a alimenté chez l’occupant marocain le sentiment d’être au-dessus des lois, en le favorisant aux dépens du peuple sahraoui, et même au détriment du reste des peuples et pays de la région.
Le fait que l’Union européenne ait violé les décisions de ses tribunaux de justice en signant des accords avec le Maroc qui incluent le Sahara Occidental occupé en est le signe le plus évident.
Cette décision a grandement contribué au retour à la guerre car l’Union européenne a contribué au financement de l’économie d’occupation et à la marginalisation du droit du peuple sahraoui à l’autodétermination à travers ce processus, ce qui a alimenté les tensions qui ont finalement conduit à la guerre.
L’accélération des événements récents dans la région et l’alliance du Maroc avec des parties externes à la région doivent amener l’Union européenne à savoir que le moment est venu de traiter tous les pays et peuples de la région sur un pied d’égalité, et que le fait de ne pas encourager le Maroc à se conformer à la légalité internationale ouvre la région, qui est de fait les frontières méridionales de l’Europe, sur l’inconnu.
Les Municipalités et les régions italiennes ont promis d’accroître leur soutien à la cause sahraouie et, malgré la pandémie en cours, vous invitent à aller de l’avant dans votre lutte pour l’indépendance…
L’Italie est un important bastion de solidarité avec le peuple sahraoui, et son cas est unique à cet égard. L’Italie n’a jamais colonisé le Sahara Occidental comme l’Espagne, ni ses voisins immédiats comme l’a fait la France, pourtant le niveau de solidarité et la présence de la cause sahraouie y sont comparables à l’Espagne. La raison en est l’enracinement de la solidarité chez le peuple italien et sa sensibilité à la souffrance des autres peuples. Au niveau des régions et des communes italiennes, il existe une forte solidarité, et celle-ci se développe constamment dans divers domaines, ce qui constitue un élément de soutien matériel mais surtout moral pour le peuple sahraoui.
D’une manière générale, l’élargissement de la solidarité internationale avec la lutte du peuple sahraoui en Europe et dans le monde constitue une autre preuve supplémentaire de la justesse de notre cause et de l’inéluctabilité de sa victoire. En Italie, comme dans d’autres pays européens, il y a des femmes, des hommes, des associations solidaires depuis le début de la l’invasion marocaine et qui demeurent toujours actifs. Le combat héroïque de notre peuple et sa cause juste leur donnent de l’énergie pour poursuivre leur lutte, leur engagement et leur solidarité.
Votre mot de la fin ?
Je remercie Algeriepatriotique de m’avoir offert cette tribune que je saisis pour alerter le peuple sahraoui, le peuple algérien ainsi que tous les peuples de la région, y compris le peuple marocain de la gravité des plans qui se trament contre la stabilité, la sécurité et l’avenir de nos peuples.
L’Algérie et le peuple algérien sont une cible privilégiée de ces plans malveillants, qui cherchent à modeler la région selon les désirs de forces extérieures afin de contrôler et d’accaparer ses ressources humaines et matérielles. L’Algérie relèvera certainement le défi, au bénéfice de l’Algérie mais aussi au bénéfice des autres peuples de la région.
Par conséquent, l’intérêt maghrébin supérieur exige de se tenir aux côtés de l’Algérie et d’être vigilant et ferme afin de contrecarrer ces plans malveillants. Nous sommes certains que la victoire sera du côté de l’Algérie et du peuple algérien. L’histoire récente et lointaine l’a toujours démontré.
Interview réalisée à Rome par Mourad Rouighi
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