Les effets du Hirak ne sont pas un affaiblissement de l’Algérie
Une contribution de Ferid Racim Chikhi – «Là où l’ignorance crie avec arrogance, le silence enseigne avec élégance» (auteur inconnu). Dans mes précédentes contributions, j’ai abordé la problématique des impacts du Hirak en tant que mouvement citoyen ; j’ai mis de l’avant le fait que les impacts les plus apparents ont ciblé notamment des décideurs occupant des postes de souveraineté alors que les plus structurants ne seront appréciés qu’a posteriori. Ils concerneront aussi bien les institutions nationales, les organisations tant économiques que politiques ainsi que les attitudes attendues de la part tant des citoyens que des gouvernants.
Un bref état des lieux
Personne ne saurait occulter que depuis le 19 février 2019 des changements majeurs ont jalonné le quotidien de l’Etat, du citoyen et de ses dirigeants. Si, au départ, ce sont des manifestations contre un cinquième mandat du président Bouteflika, c’est en réalité une lame de fond qui a «modifié» non seulement les contours mais aussi les fondements d’une grande partie d’un système imposé depuis des décennies par une bourgeoisie compradore et érigé la corruption, le népotisme, le régionalisme et la gabegie comme modèle organisationnel de l’Etat. Les masses populaires étaient appauvries, fragilisées, malmenées et vulnérabilisées au point où une grande partie de la jeunesse désabusée n’a pas trouvé mieux que de se faire engloutir par la mer moyennant des sommes d’argent colossales, soustraites on ne sait à qui, alors que «les plus chanceux» s’exilaient vers les pays à forte demande d’immigration.
Le monde observait cette lame de fond qui a emporté un Président, des Premiers ministres, des officiers de haut rang, des ministres, des élus et bien d’autres décideurs cooptés par les différents clans du pouvoir. Que ce soit en Algérie ou à l’international, les analystes, les observateurs, les influenceurs… ont été, chacun, de son verbe, de ses arguments, de ses propos, les uns modérés, les autres plus ou moins incendiaires.
Qu’ils soient pour un Hirak qui les intéresse par les changements qu’il a induits contre le pouvoir en place, parce qu’il n’en faisait qu’à sa tête, ou en faveur d’une Algérie pacifique malléable et corvéable à merci, ces observateurs, ces analystes, etc. ne voyaient que leurs intérêts primaires. Pour les Algériens, où qu’ils soient, les prétextes sont multiples : patriotisme, nationalisme, opposants sincères ou subversifs, prédateurs des richesses qui servent plus les «partenaires étrangers» que le commun des mortels parmi les Algériens, ces témoins et autres laudateurs n’ont pas ménagé leurs efforts, non pas pour appeler au calme, à la concertation et au dialogue mais pour briser un élan patriotique attendu depuis fort longtemps. Cet élan qui voulait réconcilier le simple citoyen et le simple responsable.
A l’échelle internationale, l’Algérie a un grand peuple
Au niveau international, les facteurs clés des relations de l’Algérie avec ses partenaires et ses adversaires (pas les ennemis) ont été mis en pause en raison de la prudence des uns et des autres à énoncer un quelconque diagnostic et suggérer des recommandations. Des changements fondamentaux sont en cours dans le monde. De nouveaux axes de développements se mettent en place. De nouvelles zones de partenariats se construisent avec des acteurs. Qui perçoivent les espaces industriels et commerciaux autrement que selon les grands penseurs occidentaux. Ces acteurs ont accepté d’œuvrer. Avec la Chine, la Russie, l’Iran … ce sont de nouveaux paradigmes qui se mettent en place avec des zones d’activités où les populations sont prêtes à sortir du dénuement dans lequel les puissances coloniales les ont enfoncées. L’Algérie, notamment en Méditerranée et en Afrique, se positionne comme partenaire incontournable. C’est durant ce temps de pause qui a été mis à profit par des femmes et des hommes compétents pour se ressourcer et réveiller sa diplomatie révolutionnaire. Mieux encore, il a été fait appel à quelques sommités qui ont été mises à contribution pour redonner un second souffle à l’économie, l’industrie, l’agriculture et, bien entendu, initier des projets à haute teneur technologique. Certes, beaucoup reste à dire et à faire au sujet de ces projets d’envergure mais les grandes lignes tiennent la route. Malheureusement encore une fois, l’information et la communication, au sujet de tous ces dossiers, sont en mode «silence». Le vide créé par ce manque de réactivité de la part du secteur de l’information est occupé par des médiums qui croient faire de l’opposition mais se positionnent dans les créneaux de l’adversité.
Des intérêts stratégiques
Il est vrai que des intérêts souvent stratégiques sont en jeu mais restons au niveau de la perception des observateurs en ce qui concerne les changements en cours. Presque tous les vis-à-vis internationaux ont, malgré toutes les contingences, et à quelques éléments près, exprimé la même réflexion. Ici, en Amérique du Nord, j’ai entendu, chez plusieurs diplomates, ministres et autres élu-e-s, la réflexion suivante : Les Algériens ! Un grand peuple ! L’Algérie a un grand peuple ! J’ai, par la suite, au cours des trente mois qui se terminent, pris la mesure de cette prudence à ne pas en dire trop. En conséquence de quoi, malgré des élections présidentielle et parlementaires, dont bien du monde doute de l’intégrité des suffrages, il y a des puissances étrangères convaincues que le pouvoir algérien a été fragilisé, osent lancer des agressions inappropriées pour ne pas dire inacceptables. C’est le moment, par exemple, en France, qu’ont choisi les racistes incultes et les suprématistes ignares pour exprimer leur haine viscérale. Cependant, personne ne peut nier que les plus négatives de ces agressions se sont manifestées à l’Ouest et au Nord. Heureusement, que le redéploiement de la diplomatie algérienne court-circuite tous les actes belligérants. La consolidation des liens avec la Chine, la Russie, la Turquie, et bien d’autres pays, aussi bien africains, asiatiques, d’Amérique et de la Méditerranée redonne du tonus non seulement au plan international mais aussi régional et domestique.
Pendant que le Hirak, et encore de nos jours, c’est au plan intérieur que des opposants mettent de l’avant des revendications culturelles et identitaires avec des relais dans la diaspora… ils bénéficient d’un soutien évident de plusieurs officines affiliées à des Etats. C’est aussi depuis quelques semaines le turbulent voisin de l’Ouest qui, avec l’aide toxique et nocive d’un de ses partenaires du Machrek, ne réfrène pas ses tendances hégémoniques et, bien entendu, revendicatrices sur une partie de l’Algérie alors qu’il a maille à partir avec l’occupation du Sahara Occidental ainsi que ses enclaves du nord. Il va sans dire que les incursions de ce voisin sont multiples (contrebande, drogue, etc.). C’est aussi son parrain de toujours qui, à sa convenance, a arrangé son histoire ainsi que leurs histoires communes pour se faire passer pour un intervenant venu «civiliser» un peuple de gueux. Pourtant, un dénominateur commun à ces «opérateurs» prône, comme si de rien n’était, la division pour ne pas dire la disparition du peuple algérien et de ses gouvernants. On peut signifier son propre accord pour certains mais pas pour tous. Le yetnahaw gaâ doit être revisité.
Ce que dit un Président
Au moment où les préparatifs de la rencontre France/Afrique vont bon train, les propos du président français sont venus «intoxiquer» les relations bilatérales. Ils ont irrité et blessé, non pas seulement les dirigeants algériens mais aussi le simple citoyen qui se voit ainsi délesté de sa mémoire, de son histoire millénaire, de ses origines. Même si les gouvernants ne font pas souvent référence à l’Histoire millénaire, cela n’empêche pas le peuple de se l’avoir appropriée depuis toujours. Néanmoins, le pire réside dans la confirmation de ce mépris que seuls les dirigeants français affichent lorsqu’ils sont relégués par ceux qu’ils houspillent sans ménagement ou encore lorsqu’ils veulent solliciter le vote de leur droite raciste. C’est comme si 132 ans d’occupation n’ont pas suffi.
En fait, pour ma part, je n’ai jamais cru qu’un président français ou n’importe lequel des chefs d’Etat fasse des déclarations à l’emporte-pièce sans que ses conseillers, ses ministres, son cabinet … n’en sachent rien. Tout est minutieusement organisé, peaufiné à la virgule près et, surtout, savamment orchestré pour être repris par tous les médiums.
Même les réactions sont anticipées et pressenties pour que les mises au point soient une confirmation ou pour le moins une reformulation des idées émises. Dans le cas qui nous intéresse, il faut reconnaître que le président français, en s’adressant à de jeunes Français, est dans son droit ; toutefois, qu’il les instrumentalise parce qu’ils ont une ascendance algérienne et les utilise pour servir de tremplin et de propulsion à sa politique paternaliste et dominatrice à l’endroit de l’Algérie, de son peuple, de ses dirigeants et notamment de son histoire et de sa mémoire ne peut être qualifié que d’un dérapage contrôlé. Cela n’est pas pour apaiser les tensions en cours. Dans le discours présidentiel et diplomatique, nous savons tous que les mots font l’objet d’un choix minutieux pour que le message soit entendu et convenablement compris.
«La poussière est tassée sous le tapis, mais elle est toujours là !»
La mémoire est mise de l’avant sous forme d’une énième manipulation qui empêche une conciliation tournée vers l’avenir. Le paradigme qui veut que l’histoire soit toujours écrite par le vainqueur est rejeté depuis longtemps.
Ce qu’il faut, c’est prendre en main le peu qui n’a pas été éradiqué par ces vainqueurs pour planter les germes d’un futur qui doit toujours rapprocher les parties concernées. Mais Macron, nous dit : «La France ne veut pas apprendre à laisser le passé derrière elle pour profiter de ce qui est devant elle.» Des effets de plusieurs crises successives n’ont pas été résolues de manière définitive. Nous avons tous cru que ce jeune Président était au moins intègre pour se tenir face à l’Histoire et rectifier les fautes commises hier encore, mais cela n’est plus le cas. Au Québec, on dit : «La poussière est tassée sous le tapis, mais elle est toujours là !» Les divergences ont toujours existé lorsque des pays dominateurs et hégémoniques soufflent le chaud et le froid, en fonction des conjonctures. L’Histoire, l’économie, la culture, le mode de gouvernance, les pouvoirs en place sont de ces sujets qui rapprochent ou, au contraire, créent des distances entre les protagonistes.
L’avenir avec une histoire et des mémoires qui rapprochent
Dans cette relation entre l’Algérie et la France, l’histoire partagée, la vision de Macron qui a désigné un pied-noir, en l’occurrence Benjamin Stora, pour rédiger un projet de plan de travail à même de rapprocher les deux peuples. Ce projet vient de prendre un coup sérieux, et les effets montrent que la partie algérienne avait raison de ne pas trop y croire. Ce que n’a pas compris le président Macron, c’est que son historien peut écrire «son» histoire de l’Algérie mais il ne peut même pas suggérer d’écrire le projet de plan de travail de l’Algérie, n’en déplaise à ceux qui réagissent avec leurs affects et non pas avec la rationalité qui est exigée en de telles circonstances.
L’autre point qui a déjà fait l’objet de bien des appréciations réside dans le facteur aggravant qui fait dire au président Macron que la nation algérienne n’existait pas avant son occupation. Cette sentence a ruiné tous les efforts de rapprochement façonnés depuis le début de sa présidence. Pourtant, il est bien placé pour savoir qu’aucun Etat n’existait à un moment donné de l’Histoire du monde. Les appellations ont évolué avec les flux migratoires des populations en temps de paix ou en temps de guerre. Par conséquent, c’est faire preuve de provocation que d’avoir abordé cette réflexion à un moment où l’apaisement est de rigueur.
En conclusion
Un autre point irritant dans la posture du président Macron est cet échange avec des jeunes Français et cela aurait pu être n’importe lequel des groupes générationnels. C’est son droit, et personne ne le lui conteste. Ce qui pose problème, c’est l’évocation de problématiques strictement algériennes au motif que ces jeunes ont des liens directs ou indirects avec l’Algérie. Là, la perspective d’une distanciation, pour ne pas dire une rupture, est mise en place. L’Algérie est encore plus forte depuis le tremblement de terre provoqué par le Hirak. Il y a encore des répliques qui peuvent aller au-delà de la rive sud de la Méditerranée.
Le président français a élargi le fossé entre la France et l’Algérie. Au lieu de parler de rapprochement apaisé et la création de nouveaux ponts avec ces jeunes, il les pousse à ériger des murs entre eux et l’Algérie. Il s’agit ni plus ni moins que de leur instrumentalisation inopportune.
C’est finalement son ignorance des mécanismes de gouvernance de l’Algérie qui lui a fait croire, peut-être sur l’avis de ses conseillers, que le Hirak a affaibli le système algérien et ses pouvoirs. Il devra réviser ses intentions, considérant que l’Algérie est soudée à son peuple et, vice-versa, malgré les divergences de vues de bien de ses citoyens, leur lucidité et leur résistance font encore sa force malgré la nouvelle génération d’individus qui ont rompu les serments à la patrie.
F. R.-C.
Analyste seniors, Groupe d’études et de recherches Méditerranée/Amérique du Nord (German)
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