Les paramètres qui inquiètent le Maroc et des piliers de l’Union européenne
Une contribution d’Ali Akika – On se souvient de la colère du Maroc qui a interdit à ses diplomates de continuer d’entretenir la moindre relation avec l’Allemagne. On se souvient aussi de la déclaration du chef de la diplomatie de l’Union européenne qui fit savoir au Maroc que la frontière de l’Union commence à Ceuta et Melilla quand le roi avait envoyé des jeunes gens envahir ces deux villes. On se souvient, enfin, du refus de la chancelière d’Allemagne, Angela Merkel, d’inviter le Maroc pour une conférence internationale sur la Libye. Ces trois événements n’avaient pas retenu l’attention qu’ils méritaient par les fameux et habituels «spécialistes» car le Maroc passait pour le chouchou de l’Occident. Sauf que ce chouchou fait des bourdes, se croyant à l’abri de représailles grâce à de puissants protecteurs. Il le faisait comme un enfant gâté. L’enfant gâté qui se fâche car la survie de son trône est conditionnée par la «marocanité» du Sahara Occidental. Incapable d’assurer seul cette «marocanité», il s’allie en courbant l’échine devant un Trump qui cherchait à se faire réélire en faisant plaisir à Israël (1). Mohammed VI, qui entretenait des liens forts et serviles avec Israël, voyait dans ce trio Etats-Unis/Maroc/Israël une occasion rêvée à saisir. Mais le jeu de loterie se joue dans les casinos et non sur la scène internationale où les pays défendent âprement leurs intérêts.
Le premier pays qui a vu le danger d’une alliance Maroc/Israël fut l’Allemagne qui l’exprima en s’opposant à la décision de Trump de vendre le Sahara Occidental. Merkel demanda une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU pour signifier la violation flagrante du droit international. Les stratèges allemands d’aujourd’hui ont des aïeux orientalistes les plus pointus sur la connaissance de l’histoire et de la culture du monde arabe et/ou musulman. Est-ce une sorte d’intuition philosophique et historique qui les avertit du danger de l’installation d’un foyer de guerre au Maghreb qui ressemblerait à celui qui existe en Palestine depuis 1948 ? A côté de cette intuition, il y a aussi l’envie de retrouver une place au Moyen-Orient, devenu la chasse gardée des Anglo-Saxons qui punirent l’Allemagne d’avoir été un allié de l’empire ottoman durant la Première Guerre mondiale. C’est pourquoi l’Allemagne devenue une grande puissance économique cherche à entretenir des relations économiques avec des pays comme la Libye et l’Algérie, non seulement pour le pétrole mais aussi parce que ces deux pays immenses lui ouvrent les portes de toute l’Afrique.
Quant à l’Espagne, vieux et grand pays connaisseur de l’Afrique, outre ses intérêts avec l’Algérie, il se méfie de ce Maroc qui rêve de la remplacer sur la côte africaine qui contrôle le détroit de Gibraltar, la sentinelle d’entrée et de sortie Méditerranée-Atlantique. (2)
Il n’est pas interdit de penser que la France est sur le chemin de rejoindre ses deux amies, l’Allemagne et l’Espagne. La France semble se rendre compte que jouer la carte du Maroc (qui l’espionne) pour récolter des petites affaires agricoles et de tourisme de luxe pour ses bobos ne suffit pas. Bref que sa présence en Afrique ne peut pas reposer sur son «amitié» unique avec un Maroc qui n’a pas les moyens de sa politique dans le continent africain, devenu un terrain d’influence pour de grandes puissances. Elle sait que ce n’est pas le Maroc qui va l’aider à sortir du guêpier constitué par le Sahel. Il vaut mieux donc ne pas avoir l’Algérie comme obstacle à sa présence dans ce Sahel. La preuve en a été donnée par la visite du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui insista sur le rôle de l’Algérie dans le Sahel et au Mali où l’Algérie est garante de la Charte d’Alger qui lie les organisations politiques maliennes et le gouvernement de ce pays. En écho à la déclaration de son ministre, le président Macron, dans sa conférence de presse du 9 décembre 2021, a fait allusion à l’importance de l’Afrique économique mais aussi à la nécessité de ne pas laisser seule la France dans le Sahel. Et cerise sur le gâteau, après la bourde sur l’inexistence de la nation algérienne, voilà que Macron restitue des archives à l’Algérie sur les opérations de police, c’est-à-dire de guerre, mot tabou à l’époque. Tous ces actes et déclarations ne sont pas innocents. La conjoncture électorale et les coups diplomatiques peuvent s’autoalimenter.
Enfin, la vision politique et stratégique qui lie l’Allemagne, l’Espagne, la France, outre que ces pays sont les piliers de l’UE, ils possèdent de gros intérêts en Méditerranée et, en cas de conflit au Maghreb, ils seront aux premières loges. Il n’est donc pas question pour eux de laisser un foyer de guerre naître et se développer. Ils sont d’autant conscients de ce danger que le Polisario qui en a assez des bavardages diplomatiques a repris le combat depuis plus d’un an. Les récentes déclarations du chef du Polisario sont sans ambiguïté. Il annonce l’accentuation des combats et harcèlements terrestres contre l’armée marocaine qui s’abrite derrière le mur de sable. De plus, la guerre va prendre une autre dimension car le Polisario, selon son chef, se prépare à l’utilisation de drones. Il fait comprendre à l’Europe que le nouveau paysage politique et militaire qui se met en place va exiger des réponses pour mettre fin à la fuite éperdue et aux manigances d’un roi aux abois. Par cette reprise des combats, en guerrier et diplomate, il suggère que l’on donne de vrais moyens à la Minurso et à son chef, Staffan de Mistura, pour qu’il mette simplement en application toutes les résolutions de l’ONU. Résolutions qui ont reçu leurs confirmations historique et juridique par la Cour internationale de justice de La Haye. Par sa lutte, le Polisario a, du reste, commencé à engranger des victoires diplomatiques en obtenant l’annulation de l’accord Maroc-Union européenne. Cette annulation a fait mal au roi, et un éventuel accord espéré n’est pas près d’être négocié en raison des nombreux pays sensibles aux droits des Sahraouis.
Le Maroc a beau envoyer Bourita, ministre des Affaires étrangères, dans les pays de l’Europe centrale (Pologne, Hongrie, Slovaquie et Tchéquie), il reviendra bredouille sur le plan diplomatique. Sans être désagréable avec ces pays loin de l’Afrique, on ne peut pas dire que ce sont des puissances économiques, et encore moins militaires. L’intérêt de cette visite était d’aller glaner des voix dans l’Union européenne pour faire contrepoids aux pays scandinaves et pays euro-méditerranéens. De toute manière, le Polisario a demandé aux entreprises européennes de déménager du Sahara Occidental. Avertissement qui semble être entendu par ces entreprises dont les pays ont été menacés de représailles économiques par le roi en personne dans son dernier discours célébrant la «victoire» de la conquête du Sahara Occidental.(3) D’où le voyage ces jours-ci de Bourita dans les ex-pays de l’Est pour les inviter à venir investir au Sahara Occidental occupé qui est un marché «prometteur» car vierge de toute concurrence.
Voyant que le Polisario lui a mis des épines sur le terrain diplomatique et sentant le danger militaire le long du mur de sable, le roi, croyant à ses propres mensonges, provoqua l’Algérie qu’il considère comme le parrain du Polisario. Il pensa que le Hirak et la pandémie empêcheraient l’Algérie de réagir à son aventurisme. Notamment avec la goutte d’eau qui fit déborder le vase des insanités «royales». En effet, un histrion marocain fit une déclaration à l’ONU reconnaissant et réclamant l’indépendance de la Kabylie. On voit là l’ignorance crasse de ce triste personnage qui ne sait même pas que le texte fondateur de la Révolution algérienne est sorti de la belle vallée de la Soummam, située en Kabylie. Cette Charte, dite de la Soummam, a été votée par un congrès présidé par Abane Ramdane, natif de cette région. On connaît les ripostes en rafale de l’Algérie à cette déclaration imbécile. Mais pris dans le tourbillon de son aventurisme, le roi du Maroc commit la faute à ne pas faire, tuer des chauffeurs de camions algériens pour perturber le commerce de l’Algérie avec la Mauritanie. L’Algérie, qui s’est juré de punir le meurtre de ses ressortissants, va certainement faire rafraîchir la mémoire du roi en lui rappelant les souvenirs de la bataille d’Amgala qui fut la réponse de l’Algérie le 14 février 1976 au massacre de soldats algériens venus aider les réfugiés sahraouis fuyant les envahisseurs de leur pays.
Parallèlement aux mesures prises sur le terrain économique et sécuritaire, le ministre algérien des Affaires étrangères a repris son bâton de diplomate pour faire barrage aux manigances du Maroc qui sert d’agent d’infiltration d’Israël dans les institutions de l’Union africaine. C’est ainsi qu’un acte diplomatique fort et symbolique a été, à travers la visite du président de l’OLP, adressé à la fois au Maroc et à Israël.(4)
Toutes ces décisions politiques, économiques et sécuritaires ont refroidi les ardeurs aventuristes du monarque. Ainsi, le roi est nu, selon l’expression du poète-conteur Anderson. Ce qu’il a osé accorder à Israël dépasse en termes de capitulation la cohorte des pays des Accords d’Abraham. Ces derniers ont ouvert leur ciel et leurs souks mais n’ont pas signé d’accords industriels (armement) et de renseignement (pas encore en tout cas). Ces accords Israël-Maroc sont venus renforcer les inquiétudes de l’Allemagne et l’Espagne, comme je l’ai expliqué plus haut…
Tous ces faits et événements narrés dans ce texte ne sont pas inconnus du secrétaire général de l’ONU. Si par hasard ses services avaient oublié de les mettre sur son bureau, le secrétaire général du Polisario vient de lui adresser une lettre. Une lettre qui ne sort pas du langage diplomatique lui expose clairement sa détermination à utiliser simplement le droit à la résistance inscrit dans la Charte de l’ONU. Si les avertissements du chef du Polisario ne sont pas écoutés, si l’ONU s’obstine à organiser le cirque des négociations autour d’une table ronde où les Marocains se parlent à eux-mêmes, alors l’ONU s’enfoncera encore plus dans le discrédit qui a commencé avec l’ignoble résolution des armes de destruction massive qui a détruit l’Irak et blessé l’âme du peuple irakien. Mais, contrairement au conflit Irak/Iran, l’Algérie n’est pas en conflit avec le Maroc. Le conflit est entre un colonisateur, le roi du Maroc, et le peuple sahraoui.
A. A.
1- Aujourd’hui Trump se mord les doigts d’avoir été roulé par Netanyahou qu’il traîne dans la boue aujourd’hui dans une interview à un journal américain avec des mots inimaginables.
2- Le détroit de Gibraltar est contrôlé par l’Angleterre qui occupe une terre espagnole et l’Espagne contrôle la côte africaine qui est territoire marocain. L’histoire et la géostratégie ont des «secrets» de Polichinelle.
3- Voir article dans Algeriepatirotique «Le discours du roi, un flop politique», du 5 novembre 2021.
4- Rappelons, entre parenthèses, que cet Etat pleurniche en implorant le monde de faire sortir l’Iran et le Hezbollah de Syrie, mais se donne le droit de venir narguer l’Algérie en s’installant au Maroc.
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