Taleb Abderrahmane : un pas vers la guillotine, un autre vers l’indépendance

Taleb Abderrahmane
Le chahid Taleb Abderrahmane. D. R.

Une contribution d’Abdelaziz Boucherit – Afin de retirer de l’oubli l’image de nos glorieux martyrs et dégager leurs souvenirs de la poussière des années, nous venons fêter aujourd’hui, avec émotion, les 92 ans de Taleb Abderrahmane. Nous venons par ce bref témoignage évoquer le parcours de Abderrahmane Taleb, qui offrit sa vie et sa jeunesse au service de l’indépendance de son pays : l’Algérie. Ce héros mérite qu’on en parle un peu plus, en mettant en avant ses engagements, ses exploits, son courage afin que la jeunesse algérienne mesure les vertus et s’approprie le sacrifice de nos martyrs. Et que le pouvoir, de son côté, se saisisse de leurs images pour en faire le patrimoine historique de la véritable Algérie moderne. Nous pensons, ce jour, à ce géant de notre histoire qui fut décapité, il y a 64 ans, pour nous permettre de vivre libres, debout, fiers et dignes. Taleb Abderrahmane reste, curieusement, méconnu et absent de la mémoire commune de la plupart de la jeunesse de son pays.

Le jeudi 24 avril 1958 à 4h10 mn, à l’aube. Les deux assistants du bourreau pénétrèrent dans la cellule. Le condamné Taleb était-il en train de dormir ? Etait-il en train de sommeiller en restant éveillé ? Comme s’il craignait que la vie allait lui échapper par surprise pendant son sommeil. Tout le cortège attendait, en silence, dans une chambre mitoyenne. La stature digne de Taleb, les mains entravées derrière le dos, imposait le respect ; ni docile ni outrancier ; il parcourut d’un regard circulaire toute l’assistance qui composait le cortège. Le regard des grands qui marquent leur entrée dans l’histoire des hommes. Un jeune garçon, à travers ses lunettes, filtrait un regard intelligent, serein de ceux qui détiennent la vérité, ceux qui luttent pour libérer leurs peuples de la servitude et de l’injustice de la force.

Le visage livide, les cernes sous les yeux, signes de fatigue d’une attente pernicieuse et de l’étonnement de vivre ses derniers moments. Le garçon n’était pas un brigand, ni un tueur ; c’était plutôt un beau garçon, aux traits d’un honnête intellectuel, un combattant révolté contre l’injustice faite à son peuple qui inspirait la sympathie. Le silence et le calme apparent de Taleb introduisaient le doute dans les esprits chagrins de tous les assistants : sommes-nous face à un terroriste ou, au contraire, face à un jeune garçon qui défendait la noble cause de son peuple ? Serait-il, plutôt, un combat légitime, aux idées modernistes, qui méritait tous les honneurs ? Courageux, ni cris ni protestations, Abderrahmane Taleb donnait l’image d’un héros qui forçait l’admiration silencieuse sur toute la délégation présente. Il se laissait diriger vers la chambre de la guillotine sous une gêne manifeste des représentants d’un pouvoir aux relents criminels. A chaque pas vers la guillotine, il laissa derrière lui le spectre de la Révolution, un feu qui ne peut finir que par la victoire de l’indépendance.

Le jeune homme avançait sans résistance sous la garde musclée de la police politique coloniale. On entendait le bruit des pas traînés, par les contraintes, sur le couloir rugueux du sous-sol de la prison Barberousse, là où se trouvait la guillotine. Suivi d’une délégation de responsables de la politique coloniale d’Alger ; parmi ces derniers, un imam désigné d’office, le Livre sacré à la main, lisait les sourate derrière le condamné. La gêne était palpable ; à travers les lunettes du jeune homme de 28 ans, on percevait un regard profond empreint d’une détermination qui défie l’insolence de la colonisation.

Avant d’être encadré par les aides du bourreau, on lui demanda s’il avait quelque chose à vouloir ou à dire. Il se retourna et s’adressa avec un ton presque méprisant à l’imam qui continuait de lire, à haute voix, les versets du Coran : «Pose ce Livre, prends un fusil et va rejoindre le FLN.»

Abderrahmane Taleb était resté conscient des valeurs vertueuses de son combat jusqu’à la porte de la mort.

A ce moment, tout alla vite. Le sinistre bourreau, Fernand Meyssonnier, lui retira les lunettes. On dénuda tout le haut du dos de la victime, les mains restaient liées derrière le dos, on le mit à plat ventre, la tête en avant, prisonnière et le cou exposé, comme une cible parfaite, à la lame tranchante de la machine. Le procureur général, un militaire au grade de colonel, opina des yeux pour donner l’ordre d’exécuter la sentence. Un bruit sourd se fit entendre, la tête tranchée fit un bond de quelques mètres. On se précipita de mettre la tête avec le corps amputé dans un sac et on le ferma vite pour dégager l’image de la honte. Le sang partout sur le parterre fut lavé, rapidement, par des jets d’eau pour effacer vite le sang des braves. Abderrahmane Taleb avait cessé de vivre. L’imam était ému, le regard médusé, comme s’il regrettait, déjà, d’avoir participé, honteusement, à une farce.

Le bourreau, l’esprit semblait être ailleurs, subitement, bousculé par l’injustice de la scène, continuait de tenir les lunettes dans les mains. Pour rappel, le bourreau Fernand Meyssonnier, par une sympathie non habituelle et par le respect que Abderrahmane Taleb imposa à l’assistance, garda en souvenir les lunettes du condamné.

Tout était fini. Mais rien n’était fini en réalité ; Abderrahmane Taleb venait de signer l’irrévocable testament des martyrs pour une Algérie indépendante.

Taleb Abderrahmane est né le 5 mars 1930, rue des Sarrazins, dans la Casbah d’Alger. D’une famille très modeste, originaire de la région d’Azeffoun, du village Ighil Mehni. Son père était un salarié dans une boulangerie et pâtisserie à la Casbah. Il était d’une constitution fragile et d’une santé précaire. Sa mère était une femme au foyer en charge de quatre enfants. Toute la famille vivait dans une seule pièce. Elle faisait partie des familles les moins aisées du quartier. Il commençait, à six ans, son cycle primaire à l’école Braham-Fatah, boulevard de la Victoire. Abderrahmane se révéla studieux avec des résultats exemplaires à l’école. Il fut admis, sans difficulté, à l’examen de sixième. Au moment de la guerre d’indépendance, il poursuivait des études de chimie à la Faculté d’Alger.

Il fut proche des nationalistes, indépendantistes et des communistes. Il fréquenta le «cercle des étudiants marxistes» à l’université. Il adhéra, cependant, au PPA et au MTLD. Il était désigné au bureau politique des jeunes du MTLD avec Didouche Mourad. Il quitta les bancs de l’université en deuxième année pour rejoindre le maquis des monts de Blida de la wilaya IV.

Abderrahmane Taleb fut affecté à l’atelier clandestin, installé à la rue de l’Impasse de la grenade à la Casbah pour fabriquer les bombes artisanales. Abderrahmane Taleb, jeune encore, mais avait déjà une conscience politique saine et juste. Il imposa que ses explosifs ne devraient servir que pour les cibles, exclusivement militaires, témoignait son responsable de l’époque, Yacef Saadi.

Fin janvier 1957, passant à travers les mailles du filet tendu par le général Massu, Taleb Abderrahmane quittait la Casbah et rejoignait de nouveau le maquis de Blida, au djebel Beni Salah. Sur dénonciation, il fut arrêté au mois d’avril par le 3e RPC (Régiment des parachutistes coloniaux) du colonel Ducournau. Ce fut ce même régiment qui assassina son ami Didouche Mourad le 18 janvier 1955.

A. B.

Comment (10)

    LA FRANCE L'A TUE CAR C'EST UN GENIE
    19 mai 2022 - 12 h 12 min

    SI LA FRANCE A DÉCIDE DE TUER TALEB ABDERRAHMANE C’EST TOUT SIMPLEMENT PARCE QUE LA FRANCE NE VEUT PAS D’UNE ALGERIE INDÉPENDANTE AVEC UN GÉNIE EN CHIMIE. EINSTEIN A FAIT LA BOMBE ATOMIQUE L’A TON TUÉ OU CONDAMNÉ ? LA MAIN D’ISRAEL DANS SA CONDAMNATION N’EST PAS À EXCLURE

    Anonyme
    16 mai 2022 - 18 h 44 min

    Je vous relate une histoire qui m’a été conté, cela se passe durant l’occupation française, plus exactement, durant la grande bataille décisive de 1954 à 1962. L’ennemi a condamné à mort un Algérien. face à son exécution devant la guillotine, ils lui demandèrent ses dernières paroles, il dit « face à la mort, j’ai tant de désespoir pour me créer une nouvelle espérance, الجزائر ».

    تحيا الجزائر و الله يرحم الشهداء

      Mohamed Hadjadji
      17 mai 2022 - 2 h 33 min

      À nos grands-pères les anciennes générations et j’étais vraiment courageux les Algériens c’est pas comme certains d’aujourd’hui il pleure pour un oui pour un non et alors emmené au grand Martyrs

    Si MOUH
    16 mai 2022 - 12 h 11 min

    «Pose ce Livre, prends un fusil et va rejoindre le FLN.» en lisant cette phrase lourde de sens mon cœur s’est serré et n’ai pas pu retenir mes sanglots.
    Abderrahmane TALEB ne pensait pas, à ce moment précis, à la guillotine qui l’attendait. Il pensait énergiquement à la suite du combat libérateur, il pensait à l’Algérie son cher pays à qui il a offert sa jeunesse et sa vie pourtant pleine de promesses.
    Il est temps pour que nous dépoussiérons notre histoire contemporaine de notre grande révolution. GRANDE n’est pas un vain mot, à l’instar de la révolution vietnamienne que nous prenons toujours en exemple, mais notre révolution libératrice était un vrai tournant de l’histoire. Un peuple armé de fusils de chasse et de bombes artisanales, mais surtout armé d’une forte et sincère détermination à se débarrasser du joug colonial et de son injustice, a pu déboulonner et vaincre une puissance militaire nettement supérieure en armement et en technologie d’extermination.
    A cette armée coloniale manquait, sans aucun doute, la foi, la conviction et le courage pour prétendre gagner « leur guerre ».
    Exigeons que l’histoire de nos Héros soit enseignée dès l’école primaire pour que les générations futures n’oublient pas leur passé afin de mieux préparer leur avenir et celui de l’Algérie.
    Enfin cela me conduit droit vers les traitres à notre chère nation qui n’ont pas encore compris que l’Algérie est nettement plus forte et plus grande qu’eux.
    Les traitres, dispersés aux quatre coins de la planète, croient pouvoir faire tomber cette GRANDE Algérie. Je leur dis :  » vous perdez votre temps à vouloir semer la zizanie et la discorde entre les algériens qui sont unis par un très fort LIANT qui s’appelle le SANG PUR de TALEB, AMIROUCHE, DIDOUCHE, ABBANE, BEN MHIDI, et la liste est très très longue. Les traitres vont bientôt se fracasser contre la volonté et la détermination de la jeunesse algérienne jalouse de sa liberté et de son Algérianité. Nos hommes valeureux commencent, déjà, à les cueillir un à un et les juger pour leur trahison.
    VIVE L’ALGERIE UNIE ET SOLIDAIRE – VIVE NOTRE ARMEE – Notre fierté et notre honneur. ALLAH YARHAM CHOUHADA Aaaamine.

    Wlid el kasbah
    16 mai 2022 - 11 h 15 min

    Allah yerahmou ou yerham gaa e’CHOUHADA. Les vrais enfants de l’Algérie qui ont échangé leur vie pour l’indépendance d’El Djazaïr El houra. Lire cet article qui donne des frissons sur la barbarie française mais surtout lors que le condamné s’adresse à l’imam “ pose ce livre, prends un fusil et va rejoindre le FLN” offre un coup d’œil sur la loyauté et le courage ds enfants de cette Algérie chérie! InchaAllah Allah nos dirigeants lisent et relisent ce que nos chouhadas ont fait pour ce pays, et redressent la barre au lieu de se donner à la corruption et le pillage du pays et servir l’intérêt des koufar. Le FLN, le DRS et l’armée qui ont mené la baraque au précipice doivent prendre conscience de leur faits et agir pour l’intérêt SUPRÊME de l’Algérie au lieu d’amasser des fortunes pour les cacher à Dubai, la Suisse et autres paradis fiscaux, et mettre en péril l’avenir de l’Algérie combien épuisé par le poids de la corruption à outrance. Allah yerham e’Chouhada el abrar!

    Abou Stroff
    16 mai 2022 - 6 h 58 min

    en lisant le texte de A. B., je n’ai pu empêcher une larme de couler le long de ma joue.

    Taleb était un HOMME et chaque algérien, digne d’être Algérien, est et sera toujours fier de se remémorer le parcours de Taleb.

    ceci dit, j’espère que nos augustes dirigeants liront et reliiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiront le texte de A. B. et essayeront, en toutes circonstances, d’être à la hauteur du sacrifice de Taleb.

    moralité de l’histoire: il n’y en a aucune à part le constat incontournable que la phrase: «Pose ce Livre, prends un fusil et va rejoindre le FLN.» résume tout.

    PS: je pense que Taleb a été oublié parce que Taleb était un universitaire que la plupart de ceux qui avaient dirigé la guerre d’indépendance, n’aimaient pas, à vrai dire, les universitaires pour diverses raisons qu’il est inutile de mentionner.

    que Dieu accorde sa miséricorde au martyr Taleb

    Merci pour ce Texte
    15 mai 2022 - 14 h 07 min

    Avant de de nous quitter en Martyrs ces Hommes et ces Femmes étaient des vraies Personnes de TALENT, d’INTELLIGENCE et de COURAGE et de CONVICTIONS.
    C’était des Intellectuels, des Étudiants, des Ouvriers, des Paysans, des Femmes au Foyer, des Adolescents quelques fois des Enfants.
    C’était des Mères, des Pères, des Soeurs, des Frères…qui Riaient, qui Souriaient, qui ont été Heureux et qui voulaient VIVRE.
    Mais c’était aussi des Militants de CONVICTION et DÉVOUEMENT a la Cause NATIONALE
    Des Combattants pour la DIGNITÉ et la LIBERTÉ de leur Peuple et de la NATION ALGÉRIENNE
    Que DIEU Protège les SURVIVANTS.
    On ne les oubliera jamais.
    EL MAJD OUA EL KHOULOUD Li CHOUHADA EL ABRAR
    .
    TAHYA EL DJAZAIR

    Moskos dz
    15 mai 2022 - 10 h 27 min

    Respect à ce grand homme,que le bon dieu lui grade santé.

    Chaoui
    15 mai 2022 - 9 h 59 min

    MERCI si Abdelaziz Boucherit pour ce beau et nécessaire rappel de la Mémoire de notre Martyr feu Taleb Abderrahmane.
    Qu’il puisse reposer en paix et gloire éternelle à lui comme à tous ceux et celles qui se sont sacrifiés pour que l’Algérie recouvre sa liberté !
    Nous ne devons JAMAIS oublier. JAMAIS.
    Quotidiennement, nous devons avoir à l’esprit qui nous sommes et d’où nous venons pour mieux éclairer notre chemin.
    Tahia L’Jazeïr et tous ses enfants !

      Elephant Man
      15 mai 2022 - 11 h 41 min

      @Chaoui
      Excellent commentaire.
      Allah Yarham EL CHOUHADAS AL ABRAR
      TAHIA EL-DJAZAÏR
      « Prends une arme et rejoins le maquis ». Quelques mois plus tard, l’imam a rejoint le maquis et décède au champ d’honneur.
      Taleb Abderrahmane « Pour ma patrie, pour mon idéal et pour mon peuple, périr n’est qu’un sublime sacrifice auquel je suis résigné. L’Algérie sera libre envers et contre tout ».
      Il a également appris la langue allemande afin de pouvoir analyser les expériences du père des fusées V2, l’Allemand Vernher Von Braun, lequel a fabriqué les premières véritables fusées militaires, d’une portée de 350 km et atteignant la vitesse de 5800 km/h. Des fusées ayant servi à bombarder Londres durant la 2ème Guerre mondiale.
      Assassiné à 28 ans Allah Yarhmou.

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