La folle chevauchée de l’inflation ou la lente agonie de la finance
Une contribution d’Ali Akika – Le 5 septembre 2022, le parti conservateur britannique a élu Liz Truss Première ministre britannique. Une digne héritière de Thatcher (Première ministre de l’Angleterre 1979-90) qui fut avec son amie Reagan, président des Etats-Unis, les promoteurs de la révolution dite conservatrice. C’était une sorte d’officialisation de l’arrivée au pouvoir la finance. Cette victoire allait signer le saccage de l’industrie, notamment en Angleterre. En mots crus et simples, cette «révolution» veut dire pas d’impôts pour les riches et chômage pour la classe ouvrière. Comment était-ce possible ? Le pouvoir tombé dans les mains de la nouvelle caste de la finance a permis une telle aventure. Cette caste déménagea les industries dans des pays où les salaires frisaient le zéro dollar/heure et l’énergie était à cette époque quasiment gratuite. Et les superprofits ainsi engrangés se promenaient de Bourse en Bourse, de Londres à New York, en passant par Tokyo. Ainsi naquit le règne du pouvoir sans limite de la finance et Thatcher et Reagan entrèrent dans l’histoire comme des «révolutionnaires» pacifistes où, dans leurs pays, les chômeurs pouvaient déprimer ou mourir à petit feu chez eux, pareille aux éléphants majestueux et fiers, allant mourir en silence dans leurs cimetières. Aujourd’hui, les foules en Europe envahissent les rues de l’Angleterre, Amsterdam, Prague, Cologne car les héritiers de Thatcher et de Reagan ont mangé leur pain blanc. Il y a déjà deux ans qu’ils ont commencé à broyer du noir mais le Covid avait caché leurs angoisses et leur vision du monde riquiqui…
En pleine pandémie du Covid, en mai 2020, j’avais écrit un article (1) où je relatais le début d’une nouvelle histoire qui ferait marcher l’économie sur ses pieds. Aujourd’hui, deux ans après, mon intuition me fait dire que la nature et le degré de l’inflation actuelle annoncent une seconde défaite de la finance mondialisée après que la Chine a rendu l’Occident dépendant d’elle révélé par le Covid. En effet, le feu de l’inflation qui se répand en Europe n’est pas le fruit d’une crise classique que le système capitaliste finissait toujours par digérer. L’inflation actuelle frappe le cœur du système et sa dépendance de matières premières qu’il avait l’habitude de les conquérir ailleurs par les armes sous le drapeau de l’impérialisme.
La crise actuelle est pire que celle de 1929 car, outre les contradictions internes engendrées par le capitalisme, le système a en face de lui d’autres acteurs, d’autres puissances émergentes qui n’ont pas peur de lui disputer les marchés et les matières premières. Les «experts» de ce système «indépassable» parce que «éternel» ont cru que la Russie est une économie de la rente, laquelle ne peut se passer des dollars du banquier du monde. Pour ces «experts», les lois du marché et les banques sont un passage obligé. Pourtant, ils connaissent l’exemple de Cuba, de l’Iran, du Venezuela qui ont contourné leur passage obligé. Comme «ces génies» d’experts ont une mémoire de poisson rouge, ils ont foncé contre le mur russe, en pensant que ce pays ne peut se passer du dieu-dollar et qu’il est obligé de leur vendre son gaz et son pétrole. Ils considèrent bêtement que ces matières premières sont de même nature que la monnaie, c’est-à-dire du papier fabriqué en appuyant sur le bouton de la planche à billets. Six mois après le début de la guerre en Ukraine, ils attendent toujours, en riant jaune, les résultats de leurs sanctions. En attendant : le prix du gaz a pris l’ascenseur en arrivant actuellement au sixième étage, et l’euro, qui doit se procurer des dollars pour payer son gaz, fait du sur-pied dans le sous-sol.
En effet, la parité dollar/euro (2) a fait dégringoler l’euro et renforcer le rouble russe. L’inflation actuelle est victime d’un feu nourri sur lequel le système n’a pas de prise. Jusque-là, l’inflation est pour le système de petites fissures facilement réparables. Hélas pour lui, l’inflation actuelle frappe le réacteur de la fusée appelée mondialisation dont le moteur manque de carburant et le dollar doit passer sous les fourches caudines de la Banque centrale russe pour se procurer des roubles et se faire ensuite livrer du gaz. Ainsi, les deux piliers sur lesquels fonctionnent le système, les matières premières pas faciles d’accès aujourd’hui et une monnaie attaquée par d’autres monnaies expliquent le taux d’inflation en Europe qui oscille entre 10 et 20%. Derrière ces taux se profilent l’ombre de l’Iran et du Venezuela qui ont refusé d’ouvrir leurs robinets, solidaires de la Russie. Ces deux pays ont voulu leur rappeler l’embargo qu’ils ont subi et leur donner une leçon sur les limites de leur religion du dollar. Sous-entendu, lisez Karl Marx (3) pour comprendre d’où vient le profit et comment celui-ci est lié à la plus-value et sa connexion avec la relation entre les prix, salaires et travail (3).
La fin de la mondialisation «heureuse» et l’émergence d’économies solidaires
On connait maintenant les bouleversements engendrés par la guerre en Ukraine. Une nouvelle géopolitique se dessine et des alliances se nouent et se dénouent ici et là. On sait les motivations derrière ces alliances, besoin d’assurer la défense du territoire, accès aux matières premières et aux produits qu’on ne peut produire, etc. Jusque-là, la mondialisation «heureuse» imposait ses lois et ses règles. Cette mondialisation a une histoire qui lui a permis d’engranger des richesses par la conquête des matières premières, par les découvertes scientifiques dans le cadre du capitalisme qui brisa l’archaïsme du féodalisme aussi bien dans la production des richesses que dans la vision du monde. Du haut de sa puissance acquise, il se pensait éternel et ne voyait pas venir la naissance d’un autre monde.
Ce dernier travailla dans la «clandestinité» et se prépara à affronter le gendarme du monde. Avec la guerre en Ukraine, le monde est à la croisée des chemins. L’Occident veut maintenir sa mondialisation en l’habillant du manteau de ses «valeurs», évidemment non négociable alors que le reste du monde (qui n’est pas naïf et ne croit pas aux bobards de la finance) aspire à d’autres règles de fonctionnement, aussi bien en économie que dans les relations internationales. Le monde a vécu l’expérience de la mondialisation avec sa domination sur le terrain économique, sa tendance à exploiter les hommes et les pays pour maintenir le niveau de vie dans des périmètres déterminés. Et enfin, même le saccage de la nature n’échappe pas à ses convoitises. Le monde qui émerge a retenu que l’obscurité l’emporte sur la clarté dans le tableau de la mondialisation vieillissante. Ce monde est sûr d’une chose : l’économie de demain a besoin d’inventer une autre manière de produire, de distribuer et de consommer les richesses.
Quand on voit le comportement du vieux monde dans la crise actuelle, on peut légitimement douter de ses capacités à se remettre en cause. Cette incapacité ou plutôt son aveuglement le pousse à «trahir» les règles mêmes de son économie et sa naïve arrogance lui permet de punir l’autre en lui refusant le droit de répondre à son agresseur. Deux exemples, il sanctionne la Russie mais lui refuse le droit de se faire payer en rouble. Il fixe, par exemple, un prix plafond au propriétaire du gaz et pense que celui-ci va s’exécuter. Fixer un prix par des serviteurs de la loi du marché, c’est aller contre leur croyance desdites lois. Et comble de la stupidité, on gèle les dollars de ce gaz dans une banque occidentale et on s’attend que le propriétaire et producteur du gaz se taise. La Russie passe évidemment outre les prétentions de l’Occident et se permet même de se moquer de ses hurlements au chantage. C’est en quelque sorte, l’hôpital qui se fout de la charité. Pendant ce temps, les coffres de la Russie débordent de dollars. Et pendant ce temps, les perroquets du vieux monde fatiguent l’opinion avec les fadaises du futur étranglement de l’économie russe. Pendant ce temps, les pays du BRICS se préparent à la dédollarisation de leur propre et future «mondialisation»…
La confrontation entre les deux mondialisations va se jouer sur le terrain économique. Les «experts» perroquets sont sûrs de la gagner. Cette idée de rente de l’économie russe est débitée chaque jour par un ex-espion du KGB qui sévit sur une chaîne télé-robinet. Comme ce monsieur répète les mensonges des aigris des services secrets anglais dont c’est le rôle, on «pardonne» à notre ex-espion dont c’est son gagne-pain.
Plus sérieusement, comment se déroulerait une éventuelle cohabitation entre la vieille dame de la mondialisation et la nouvelle organisation des pays émergents ? Pacifiquement ou bien va-t-elle être conflictuelle ? En clair, qui est capable et a intérêt à une cohabitation pacifique ? Ou bien qui va être poussé par la dynamique de son système et susceptible de céder aux «démons» de cette dynamique. Hélas, l’histoire a déjà répondu à cette question et les deux dernières guerres mondiales fournissent l’identité de ces «démons» qui ont engendré d’abord un monstre qui, une fois ratatiné, a été remplacé par un gendarme du monde. Et comme j’ai commencé l’article en relatant l’élection de la première ministre britannique, Liz Truss, rappelons que cette brave dame a déclaré il y a un mois qu’elle était prête à utiliser l’arme nucléaire à propos de l’Ukraine. Elle était alors ministre des Affaires étrangères de Johnson. Espérons que son statut de Premier ministre va refroidir ses ardeurs et que sa Reine, du haut de son expérience, va lui donner quelques conseils, en lui rappelant d’être moins ambitieuse car la Grande-Bretagne où le soleil ne se couchait jamais sur son empire, ça eut existé…
A. A.
1- On peut trouver l’article dans Google en tapant le titre «La mort du gaz schiste mordu par les requins de la finance».
2- On se rappelle que l’euro à ses débuts valait 1,20 dollar. Aujourd’hui, il est à 0,9 ce qui fait que l’acheteur paie l’augmentation déjà phénoménale du gaz sur le marché international «agrémentée» de 20% due à la baisse de l’euro par rapport à la majesté de l’euro naissant.
3- Comme c’est long à expliquer, la théorie de Marx en quelques phrases. Disons que le sang qui coule dans les nerfs du profit provient de la plus-value qui correspond à la valeur du travail qui a transformé une matière brute en richesse. Cette plus-value est de plus en plus sous pression de la concurrence interne au système et si on ajoute le prix de l’énergie qui est dans d’autres mains, on comprend l’ambiance dans les réunions internationales.
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