L’Algérie doit-elle vivre entourée de symboles de son martyre ?
Une contribution de Khider Mesloub – «Le viol d’une conscience ne fait-il pas nécessairement violence à une vertu ?» (Stanislaw Jerzy Lec). Depuis la dégradation de la statue de Sétif, l’emblématique Aïn El-Fouara et, surtout, la publication de ma contribution intitulée «Que doit-on faire du patrimoine culturel colonial français édifié en Algérie ?» publiée dans Algeriepatriotique, le 10 décembre 2022, la controverse n’en finit pas d’alimenter le débat, d’aiguiser les dissensions entre les partisans de la préservation de la statue sur son site actuel et les tenants de sa destruction. Sans compter les quelques défenseurs de son transfert dans un musée.
Une chose est sûre, il y a une différence fondamentale entre cette statue de Sétif, œuvre d’un sculpteur français métropolitain, érigée pour enchanter le regard triomphal des pieds-noirs, et l’ensemble des infrastructures réalisées du temps de la colonisation de l’Algérie par la France : c’est la seule œuvre qui n’a pas été construite par les Algériens, mais par un Français pour les colons. Tout le reste a été bâti par les Algériens. Aussi peut-on proclamer que tous les édifices et bâtisses de la période coloniale sont l’œuvre des Algériens.
Autre différence entre la statue d’Aïn El-Fouara, qui n’est pas une œuvre d’art mais un art de la mise en œuvre de l’aliénation du peuple algérien, et l’ensemble des infrastructures bâties à l’époque coloniale, ces dernières ont une réelle et primordiale utilité sociale. La notion d’utilité sociale permet de distinguer les œuvres (et activités) servant fondamentalement l’intérêt de la société dans son ensemble de celles qui servent essentiellement l’intérêt d’individus ou d’agréments à un groupe d’individus. En l’espèce, les intérêts catégoriels et particuliers des pieds-noirs. Les œuvres d’utilité sociale (bâtiments, hôpitaux, routes, ports) doivent être évidemment préservées, entretenues et perfectionnées. Les œuvres individuelles, émanation de la culture coloniale française, fondée sur la négation de l’identité nationale algérienne, symboles du colonialisme, doivent être extirpées de l’espace public, depuis 1962 redevenu algérien.
Une comparaison nous aidera à mieux saisir le choix traumatique auquel est invité à se prononcer (se soumettre) l’Algérien.
C’est comme si on demandait (imposait) à une femme victime de séquestration et de viol par un dangereux prédateur sexuel de conserver, une fois libérée des griffes de son martyriseur, en souvenir des huit horribles jours passés dans sa maison avec son cambrioleur métamorphosé en violeur séquestreur, tous les accessoires appartenant à son bourreau. Autrement dit, de préserver précieusement, en signe de décoration esthétique et en guise d’hommage mémoriel, tous les accessoires utilisés durant son calvaire par son tortionnaire pervers sexuel : fouet, menottes, bandages, bâillon, collier, godemichet, et même (désolé pour la crudité du propos) les préservatifs usagés.
Comment réagirait-elle ? Cette préconisation serait-elle morale ? Comment vivrait-elle la présence quotidienne des symboles de son martyre ? Devrait-elle consentir à conserver dans sa chambre les accessoires de volupté de son violeur sous couvert d’une esthétique de la mémoire ou de leur valeur esthétique érotique ? Voire car il s’agirait d’un butin de guerre de la concupiscence susceptible d’être ardemment employé par elle comme une arme de conquête de la sensualité pratiquée par son bourreau ?
En l’espèce, nous n’avons pas affaire à une femme (ou un homme) qui, car longtemps officiellement mariée à un homme choisi par amour, une fois par consentement mutuel divorcée, décide de conserver, en guise d’hommage rendu aux moments de bonheur partagés ensemble, pour léguer à ses enfants un mémorial familial impérissable, tous les souvenirs liés à sa vie conjugale.
Donc, sur cette problématique liée à la place du patrimoine culturel colonial français édifié en Algérie, notamment les monuments et statues, la situation de l’Algérie s’apparente plutôt au premier exemple. Une Algérie victime d’un crime contre l’humanité commis par la France coloniale.
L’Algérie devrait-elle conserver les œuvres coloniales décriées, témoins de son martyre, de son viol, d’autant plus que ces forfaits barbares sont récents, imprégnant encore douloureusement la mémoire de nombreux Algériens survivants (on n’épilogue pas sur des statues et monuments datant de l’époque antique) ?
K. M.
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