De quoi «Tamazgha» est-elle le nom ?
Une contribution de Khider Mesloub – L’hydre du berbérisme, qu’on croyait terrassée, renaît de ses cendres mythologiques incendiaires. Après avoir été, ces dernières années, chassé de la Maison algérienne par la grande porte, le berbérisme revient subrepticement, tel un voleur, par la fenêtre pour s’emparer de la conscience nationale afin de la brader sur le marché de la contrefaçon idéologique pour semer encore une fois la discorde parmi le peuple algérien.
Si l’islamiste ne jure que par sa «oumma» fantasmée, le berbériste, lui, ne rêve que de sa «Tamazgha» utopique. Ces deux mouvances archaïques et réactionnaires ont la particularité de vivre hors réalité. Pire : hors de notre temps, caractérisé par la modernité capitaliste.
«Voici deux raisons intimement liées pour lesquelles je pense que Tamazgha comme projet doit constituer un des axes de toute volonté conséquente d’émancipation en Algérie», écrit Ramdane Hakem dans sa contribution publiée le 27 avril 2023 dans Algeriepatriotique (1). Coïncidence inattendue, cet article est publié le même jour qu’une tribune parue dans le journal Le Monde, tribune anti-algérienne commise par le berbériste indépendantiste Salem Chaker, idéologue du MAK, promoteur de la tribalisation des Etats-nations. (2)
Si géographiquement l’Algérie existe depuis la nuit des temps, et nationalement depuis 1962, date de son indépendance (émancipation), en revanche Tamazgha n’a jamais existé. Sinon dans la petite cervelle d’oiseau des berbéristes, ces pigeons de l’histoire, embecqués idéologiquement par la France néocoloniale. Si certains, avec leur imagination fertile, aiment s’adonner à des constructions de projets fantasmagoriques, qu’ils évitent de tenter de convertir le peuple algérien à leurs conceptions «géopolitiques» hallucinatoires. Notamment leur «projet Tamazgha» transnational, cette «souris conceptuelle» accouchée par les montagnards berbéristes de la Kabylie contemporaine rabougrie et aigrie. Les montagnes de Kabylie de jadis (jadiss : aïeul) n’enfantaient que des Lions. Et des projets éléphantesques. Notamment le projet de la Révolution algérienne, porté à bout de bras (et au bout du fusil) par des centaines de milliers de combattants de cette région de l’Algérie.
Les temps ont changé. Les maquisards de la Révolution ont été supplantés (plantés), d’abord par les maquignons de la politique, puis par les mignons du sérail berbériste œuvrant au service des puissances étrangères.
De quoi Tamazgha est-elle le nom ? Tamazgha, c’est un nouveau concept construit par les berbéristes, véhiculant le mythe d’une «civilisation» amazighe qui aurait existé depuis le Maroc jusqu’à l’Egypte pharaonique, en passant par les Iles Canaries. La perniciosité de ce concept, c’est qu’il postule l’unité sur une base ethnique exclusive, c’est-à-dire au détriment de l’arabité, pour ne pas dire contre les Arabes, en dressant le Maghreb (supposément ethniquement amazigh) contre le Machrek (l’Orient arabe). Ainsi, les partisans de Tamazgha prônent l’unification du territoire «maghrébin» mais sur la division ethnique, matérialisée par l’exclusion (l’expulsion) des Arabes considérés comme des étrangers. Ce concept de Tamazgha, idéologie pan-berbériste, telle qu’elle est déclinée, recèle un potentiel projet de nettoyage ethnique. D’aucuns n’hésitent pas à proférer, en guise de menaces d’excommunication, des propos racistes : «Vous êtes venus d’Arabie, vous devez y retourner.»
Ironie de l’histoire, la reconnaissance officielle de tamazight est purement idéologique. Pire : cette reconnaissance constitue une imposture linguistique. Car, pour les locuteurs berbérophones, la langue amazighe n’est la langue maternelle de personne. Comme il n’existe pas une langue européenne, mais une multiple variété de langues européennes disparates, il n’existe pas de langue amazighe. Il existe la langue kabyle, la langue chaouia, targuie, etc. Cette reconnaissance s’intègre également dans le processus d’institutionnalisation du concept Tamazgha. Cette novlangue, fabriquée par des universitaires, demeure incompréhensible à la majorité amazighe, incapable de lire cette littérature académique truffée de termes hermétiques. Au reste, cette «crise de méconnaissance linguistique», qui vient se greffer elle-même sur une crise identitaire, a induit l’échec massif de la généralisation de l’enseignement en tamazight en Kabylie. Paradoxalement, les habitants de la Kabylie préfèrent inscrire leurs enfants dans des écoles privées françaises payantes que dans des écoles publiques dotées pourtant de classes en tamazight. Tout projet idéologique, fabriqué dans les laboratoires des puissances occultes subversives, se heurte inéluctablement au principe de réalité, au roc de l’évidence historique indestructible. Tel est le sort de l’officialisation politique de tamazight. Tel sera le sort de l’utopique projet de Tamazgha prôné par les berbéristes.
Globalement, l’amazighité est une construction idéologique forgée par les berbéristes. L’amazighité est un mythe. Elle n’a jamais eu d’existence historique. Certes, au cours de l’histoire millénaire algérienne (maghrébine), il a existé de nombreuses tribus «berbérophones», autrement dit amazighes. Mais les idiomes usités étaient très disparates d’une région à l’autre. Le vocable «berbère» est un terme générique. En raison de cette hétérogénéité linguistique, on ne peut parler de communauté amazighe, encore moins de l’existence d’une nation berbère (ce serait tomber dans l’anachronisme, les nations étant une création récente).
Par ailleurs, autre point important à souligner : tout au long de l’histoire, la «langue amazighe», tant encensée de nos jours par les berbéristes, n’a jamais connu de période d’épanouissement scriptural. Un âge d’or de rayonnement intellectuel, de production littéraire. Elle n’a jamais servi de vecteur d’expression d’une culture savante écrite (contrairement à la langue arabe, décriée et méprisée par les berbéristes, qui a rayonné des siècles durant sur une partie du monde, aussi bien dans les registres littéraire et philosophique que scientifique). La langue amazighe (plus exactement les dialectes berbères) a toujours été en situation de dominée.
A cet égard, il serait utile de souligner un autre fait historique capital : toutes les populations autochtones de l’Afrique du Nord étaient jusqu’au VIIe siècle en situation de dominées, de populations conquises. C’est avec les Arabes qu’elles seront radicalement transformées. Elles relèveront la tête. De populations berbères soumises et conquises, elles deviendront conquérantes. Sous l’impulsion des Arabes, elles acquerront l’esprit de conquête, le goût de l’aventure.
Elles conquerront l’Espagne, s’enfonceront en France jusqu’à Poitiers, en Italie. Elles fonderont des dynasties combatives et conquérantes. Contrairement aux populations autochtones de l’Afrique du Nord, appelées «berbères», constamment conquises et dominées, les Arabes, vilipendés par les berbéristes racistes, demeurés des siècles durant confinés dans leurs autarciques et faméliques montagnes, furent un peuple conquérant, dominateur. Les Arabes furent maîtres d’un immense empire, qui s’étendait de l’Indus à l’Atlantique. Pour la première fois depuis l’épopée d’Alexandre, les mondes de l’Asie et de la Méditerranée étaient réunis en une même main arabe. Aujourd’hui, encore, les Arabes ont transformé leurs pays désertiques en gigantesques mégalopoles modernes dotées des plus hautes technologies. Ils contrôlent plusieurs pays grâce à leurs pétrodollars.
De quelle puissance peuvent-ils se targuer les berbéristes, ces promoteurs de Tamazgha fantasmée ? De quelles œuvres civilisationnelles passées et présentes peuvent-ils se vanter les Kabyles berbéristes ? Quelle richesse recèle leur région – voire la Berbérie, cette fantasmagorique amazighité –, autrement dit la Kabylie, excepté la rocaille et les oliviers, de quelle industrie dispose la Kabylie (cette Kabylie que je connais bien, étant fils de parents originaires de Aïn El Hammam) ?
De tous les temps, du moins depuis l’Antiquité, en effet, les multiples parlers berbères ont été marginalisés au profit successivement du punique, du latin, de l’arabe, du français. Preuve que les parlers berbères furent toujours des langues domestiques, réduites à leur plus simple expression tribale, confinées dans le cadre rural. Preuve également que la marginalisation des parlers berbères fut toujours une constante dans l’histoire de l’Afrique du Nord.
Au cours de l’histoire, les dialectes amazighs furent exclus de la gestion scripturale de la vie administrative, même aux temps des rois et dynasties berbères encensés par les berbéristes contemporains (notamment du temps de Massinissa, Micipsa, Juba, Almoravides, Almohades). Et toutes les «personnalités intellectuelles» nord-africaines (Tertullien, saint Augustin, Apulée, saint Cyprien, Ibn Khaldoun, etc.) ont écrit leurs œuvres dans la langue du conquérant. Même les berbéristes, depuis un siècle (Si Amar Boulifa, Augustin-Belkacem Ibazizen, Hanafi Lahmek, Jean Amrouche, Mouloud Mammeri, Salem Chaker, Ferhat Mehenni, etc.), employaient la langue coloniale française pour revendiquer leurs droits linguistiques amazighs. Pareillement, ironie de l’histoire, lors de leurs meetings, conférences, réunions, les dirigeants et intervenants berbéristes s’expriment exclusivement en langue française. Au vrai, car, du fait de son indigence conceptuelle, de ses déficiences lexicales scientifiques, la langue kabyle ne se prête pas aux contextes de communication intellectuelle savante requérant un langage méthodiquement élaboré. Autre raison : la majorité des berbéristes ne maîtrisent pas la langue kabyle. Ce faisant, les berbéristes sont incapables de soutenir une conversation exclusivement en kabyle. Leur baragouin est truffé de termes arabes et français pour compenser la pauvreté de leurs lexiques kabyles.
A contrario, c’est la première fois de l’histoire, à la faveur de l’obtention de l’indépendance de l’Algérie, que la langue «amazighe» (kabyle) est, depuis plusieurs années, institutionnalisée par l’Etat algérien, reconnue langue nationale et officielle, et fait l’objet de transcription. Ainsi, le régime algérien, tant honni par les berbéristes, est pourtant le seul pouvoir à avoir hissé la langue «amazighe» (kabyle) au rang de langue nationale et officielle, à lui avoir donné ses lettres de noblesse et la noblesse à ses lettres jamais retranscrites au plan scriptural.
K. M.
1- «La nation algérienne et Tamazgha», Algeriepatriotique, 27 avril 2023.
2- «En Algérie, la Kabylie est une proie facile que l’on peut aisément désigner comme ennemi de la nation», Le Monde, 27 avril 2023.
Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
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