Lahouari Godih : une icône algérienne de la diplomatie et du noble art

Le défunt Lahouari Godih (à gauche). D. R.

Par Mohamed K. – C’est avec une grande tristesse que les amis de Hadj Lahouari Godih ont appris son décès le 29 mai dernier. Le ministre Ahmed Attaf a assisté, en marge de sa visite de travail à New York, à la cérémonie d’hommage au vaillant moudjahid qui a exercé, à partir de 1958, au sein de la mission du FLN auprès de l’Organisation des Nations unies (conduite à l’époque par Hocine Aït Ahmed, Mohamed Yazid et Abdelkader Chanderli).

En cette douloureuse circonstance, Attaf, qui a loué les qualités du défunt pour faire entendre la voix de l’Algérie et faire connaître sa cause au niveau international, a présenté ses condoléances à sa famille et à ses proches. Cette cérémonie d’hommage est intervenue avant le rapatriement de la dépouille du défunt de New York à destination d’Oran où il a été inhumé hier au cimetière d’Aïn El Beida.

Il faudrait sans aucun doute beaucoup d’inspiration et de transpiration pour narrer la carrière de ce styliste, à qui le défunt spécialiste, le regretté Rabah Saad Allah, colla l’étiquette d’«artiste du ring». «Lorsque l’heure du choix est arrivée, je me suis dit : ou je réussis dans la boxe ou je retourne réparer les souliers», disait-il à ses amis.

Avant de relire l’itinéraire de cette icône algérienne de la diplomatie et de la boxe, l’on relève de prime abord que ce qui caractérise Lahouari Godih par rapport à des boxeurs de son époque et de sa génération (à l’instar de Bachir Cherraka, Abdeslem Hamou, Madani, les trois frères Sebbane, Nacef, Bessol Abdelkader, Hocine Khalfi), c’est fondamentalement trois valeurs : sa sagesse, sa lucidité et le legs abstrait de sa grand-mère.

Il y a les champions, les géants du sport. Puis il y a les légendes. Lahouari Godih aura été un immense champion. Un des plus grands boxeurs algériens, avec 120 combats professionnels entre 1951 et 1962, parcourant l’Afrique, l’Australie, l’Europe, dont le récit de son existence aurait pu nourrir les écrits d’un grand auteur algérien.

Par sa vie, romanesque, dans sa maison du Queens, tout près de Manhattan, où il vivait en compagnie de son épouse, sa cousine Soraya, il s’était mué en autre chose. Un de ses anciens amis, actuellement retiré de la scène publique, nous a raconté son quotidien et son passé de boxeur, en faisant remarquer qu’«il était devenu le champion dans sa forme idéale, mais un champion sage, marqué, mais enrichi, par les blessures d’une existence partagée entre sa terre natale et celle d’adoption.

En effet, à l’inverse de certains boxeurs, qui ont voulu marcher contre le cours de l’histoire et s’accrocher à une carrière devenue aléatoire, en raison de leur déclin, Lahouari Godih a su, quant à lui, s’arrêter à temps et prendre la décision de mettre un terme à sa carrière de boxeur en 1962, à l’âge de 33 ans, pour embrasser une nouvelle vie qui s’ouvrait. Et cela lui a merveilleusement réussi, en tant que représentant de l’Algérie aux Nations unies. Un poste qui lui a permis de rencontrer presque tous les chefs d’Etat algériens, ministres et ambassadeurs avec qui il a entretenu au fil des ans une amitié solide et durable.

Né le 29 avril 1929 à Oran, plus précisément à haï M’dina J’dida, Lahouari Godih qui était le beau-frère de Hadj Debbi Lakbad, l’ex-membre du directoire et du comité directeur du Mouloudia d’Oran, y débute sa carrière de boxeur professionnel en décembre 1950.

Lahouari, qui a perdu très jeune ses parents, a été élevé par sa grand-mère. Celle-ci lui inculqua les valeurs culturelles algériennes qui lui serviront tout au long de sa vie, lui assurant le respect de son entourage. Ainsi, il a commencé à travailler très jeune, notamment après le décès de sa mère des suites de la fièvre typhoïde, en occupant divers emplois tels que surveillant, porteur au marché d’Oran et cordonnier.

Entre 1942 et 1945, il apprit les rudiments de la boxe et eut l’envie à l’époque de se lancer dans cette aventure. L’entraîneur François Constantin lui a ouvert la voie en l’opposant à des boxeurs amateurs. Lahouari a attiré par la suite l’attention du manager François Ibanez, qui l’a orienté vers les arènes de la victoire, avec 55 combats remportés entre 1946 et 1950.

A 17 ans, il est finaliste du championnat d’Oranie. Il devient un grand espoir de la boxe africaine. Champion d’Oranie, d’Algérie, d’Afrique du Nord et finaliste au championnat de France, il est une «Terreur du ring», le label décerné aux meilleurs boxeurs oranais. Il a rapidement montré des talents prometteurs et, à 16 ans, il décroche sa première victoire. «La boxe apporte la gentillesse, parce que ce n’est pas facile de se battre et de frapper l’autre», lâche-t-il humblement, le regard plein de bonté. Pour lui, ce n’est pas simplement une affaire de muscles, c’est aussi une question de discipline.

Devant une foule immense rassemblée dans les Nouvelles arènes d’Oran, le lieu mythique de corridas où s’est notamment produit le grand matador El Cordobés, il remporte un tournoi organisé en hommage à Marcel Cerdan, ce grand boxeur français de tous les temps, qui fut d’abord une figure légendaire, comme lui, une incarnation d’une époque et d’un esprit.

L’épisode de la victoire remportée par Lahrouari Godih en 1950 demeure dans la mémoire collective. A partir de cette date, ses victoires s’enchaînent à travers les cinq continents. Il mène 120 combats professionnels entre 1951 et 1962 et ses victoires attirent les stars qui transforment les tournois en évènements. A ce moment, Lahouari Godih incarne également la résistance algérienne face à l’occupant.

En 1951, il prend le bateau pour Marseille, d’où il gagne Paris. Son séjour à Paris ne passe pas inaperçu. C’est dans la salle Wagram à Paris qu’il devient champion de France des poids «légers» à l’issue d’un combat disputé entre deux Oranais et deux amis de toujours, Hocine Khalfi et Laouari Godih. A Paris, il aura disputé 27 combats pour remporter 27 victoires. En France, on fait référence dans les journaux à «l’incomparable Marcel Cerdan et au talentueux Lahouari Godih».

Il est difficile d’appréhender ce que représente Lahouari Godih au début des années 1950 pour qui la boxe ne fut pas seulement un sport. Elle était d’abord un moyen de s’extirper de la misère et de la pauvreté. Il comprit dès lors que la boxe serait son gagne-pain qui l’aiderait à se reconstruire après la tragédie la plus meurtrière de l’histoire.

Par la suite, une autre étape importante de sa carrière se dessine. Lors d’une soirée organisée par le journal L’Equipe, il fait la rencontre d’un représentant du Madison Square Garden, George Peter. Ce dernier l’introduisit à Lew Burston, chargé des intérêts des boxeurs étrangers aux Etats-Unis pour le compte de l’International Boxing Championship, le permettant ainsi d’obtenir des propositions de combat aux Etats-Unis.

Un ancien diplomate qui le connaît bien a raconté ses amitiés avec Joséphine Barker, une grande résistante, sa trajectoire hors normes, en indiquant de prime abord que notre champion a quitté El Bahia en 1951 pour Paris où il vit jusqu’en 1958, avant de s’installer aux Etats-Unis. L’Amérique finit vite par l’adopter. Dans cet autre antre mythique qu’est le Madison Square Garden, à New York, il livrera pas moins d’une quinzaine de combats.

A 33 ans, Lahouari raccroche les gants. Il se tourne alors vers la mission de l’Algérie auprès des Nations unies, une expérience qui lui permettra de fructifier son carnet d’adresses au profit de son pays, notamment en sa qualité de militant du FLN depuis 1956, pour lequel il a participé dans de nombreuses missions.

Aujourd’hui encore, ses amis gardent de l’ancien champion l’image d’un infatigable dont la sensibilité et la profonde humanité n’auront jamais été affectées par la gloire et qui plus est une source d’inspiration pour les jeunes générations.

Il y a lieu de préciser que la réussite de notre champion ne doit pas occulter que le noble art à Oran, dans ses espaces de Bastrana, Canastel et autre Gymnase a largement contribué à la promotion d’El Bahia au rang de l’une des villes la plus sportive de la Méditerranée, comme aujourd’hui.

M. K.