Les agriculteurs se rebellent contre la terreur sociale des élites européennes ignorantes
Par Mohsen Abdelmoumen – Janvier 2024 a commencé avec la grogne des Européens dont le fer de lance est le monde agricole en pleine insurrection. Le mouvement a vu le jour en 2022 aux Pays-Bas, où les agriculteurs néerlandais ont bloqué les axes routiers avec leurs tracteurs pour protester contre le plan gouvernemental visant à réduire les émissions d’azote et à exproprier bon nombre d’exploitants agricoles. Deuxième exportateur mondial de produits alimentaires derrière les Etats-Unis, la Hollande agricole s’est rebellée la première contre les diktats climatiques européens, avec le soutien de la population. On a vu ces dernières semaines les agriculteurs allemands manifester massivement pour protester contre la réforme de la fiscalité sur le diesel agricole qui prévoit la suppression de l’exonération dont ils bénéficiaient. Et, aujourd’hui, c’est toute l’Europe qui est envahie par les tracteurs.
Depuis une semaine, des milliers d’agriculteurs bloquent les routes de leurs pays : France, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Italie, Espagne, Portugal, même la Corse et la Sicile participent, Grèce, Ecosse, Pologne, Roumanie, Hongrie, etc. C’est un mouvement de protestation général qui prend de plus en plus d’ampleur et qui est soutenu par des figures emblématiques des Gilets jaunes et par une bonne partie de la population européenne. Les principales voies de communication sont bloquées, provoquant une belle pagaille, et dans certains pays, le mouvement est rejoint par des camionneurs, des taxis et même par des marins pécheurs dans certaines régions. Des mouvements de grève éclosent dans différents secteurs selon les pays. En France, les agriculteurs sont rejoints par les cheminots, les agents de sécurité dans les aéroports, les conducteurs de bus et de métro, qui sont tous en grève en même temps.
Il faut savoir que les agriculteurs européens travaillent 10 à 12 heures par jour, faisant quelquefois 35 heures en deux jours, mais ils travaillent à perte, sans un seul jour de congé, et quand ils se versent un salaire, celui-ci ne dépasse pas 300 euros. C’est d’ailleurs dans le secteur de l’exploitation agricole que l’on trouve le taux le plus élevé de suicides. En France, par exemple, les données montrent qu’un agriculteur se suicide tous les deux jours. Le monde paysan européen englué dans des prêts pour payer le matériel nécessaire à la production subit également une concurrence déloyale en étant exposé à un libre échange débridé, où les produits extra-européens exemptés de droits de douane obligent les agriculteurs à vendre à perte, ce qui les met au bord de la faillite. Noyés dans une paperasse de plus en plus conséquente, ils doivent obéir à des directives aberrantes édictées par des fonctionnaires européens non élus, complètement ignorants du monde agricole et de ses réalités. Pour preuve, les agriculteurs réclament la fin de l’agriculture dite de «dates» qu’ils jugent incompatible avec la réalité du terrain. En étant forcé de suivre les diktats européens au détriment de la météo, les agriculteurs se retrouvent obligés de pratiquer une agriculture dite de dates, c’est-à-dire dans l’obligation de respecter des échéances pour réaliser les travaux dans les champs en faisant abstraction des conditions météorologiques et agronomiques.
Concernant la faiblesse du revenu des agriculteurs, ceux-ci n’ont jamais leur mot à dire sur le prix de vente de leurs produits. Les grandes surfaces sont dans leur ligne de mire car elles pratiquent des ventes à prix cassés pour leurs promotions, ce qui réduit drastiquement la marge bénéficiaire des agriculteurs, alors que le secteur agricole subit aussi l’inflation, que le prix des matières premières, de l’alimentation animale et autres charges, augmente sans cesse, tandis que le revenu agricole stagne depuis trop longtemps.
A titre d’exemple, en Belgique, la chaîne de grandes surfaces Colruyt a acheté des centaines d’hectares de terres agricoles au prix fort pour garantir son ravitaillement, ce qui entraîne une augmentation des prix des terres arables qui, dès lors, deviennent inaccessibles aux agriculteurs qui veulent s’agrandir. Pour aggraver le problème, les terres agricoles sont aussi achetées par des investisseurs qui veulent s’enrichir en faisant des investissements. L’Europe est devenue un grand jeu de Monopoly, où tout se vend et s’achète au détriment de ceux qui travaillent. Pour en revenir au groupe Colruyt, son fondateur, Franz Colruyt, était le deuxième fils d’une famille de 11 enfants provenant d’un petit village du Brabant flamand. Il a fermé la boulangerie paternelle en 1928 pour démarrer un commerce de gros en produits coloniaux en provenance du Congo, comme le café et les épices. Ce commerce lui a permis de s’enrichir. Et, petit à petit, de donner naissance au groupe Colruyt en mettant la main sur plusieurs chaînes d’alimentation, notamment en France avec Ripotot. Il s’est diversifié avec des filiales telles que la chaîne de supermarchés biologiques Bio-Planet, les magasins de proximité OKay, Spar, la pharmacie en ligne Newpharma, des magasins de vélo (Bike Républic), de vêtements (ZEB), de jouets (DreamLand), les stations-essence et fourniture d’énergie DATS 24, les magasins pour bébés DreamBaby, des salles de fitness Jims, etc. On retrouve certaines de ces filiales en France, au Luxembourg, aux Pays-Bas et à la Réunion. Comme on le voit, la colonisation du Congo a eu du bon pour ceux qui ont su en tirer profit comme la famille Colruyt.
Pour les éleveurs, c’est également la disette. Ainsi, le prix du lait se vend environ 450 euros pour 1 000 litres, 405 dans le cas de Lactalis, multinationale française de l’industrie agroalimentaire présente principalement dans le secteur des produits laitiers. En France, les agriculteurs appellent au boycott des produits Lactalis en voyant la diminution du prix d’achat exigé par Lactalis, alors que les coûts de production ne cessent d’augmenter. Premier groupe mondial de produits laitiers, idem pour le marché des fromages, troisième acteur mondial des produits laitiers bios et dix-huitième groupe agroalimentaire mondial par sa taille, Lactalis détient plusieurs marques dont Président, Lactel, Bridel, La Laitière, Lou-Perac, Galbani, Bridelight, Salakis, etc. Il est le plus important groupe de l’industrie agroalimentaire en France. Lactalis est détenue par le milliardaire Emmanuel Besnier et sa famille. L’entreprise a été condamnée par la justice et mise en cause à diverses reprises, notamment pour fraudes graves sur la sécurité alimentaire, pollution des milieux aquatiques, utilisation de paradis fiscaux et des méthodes commerciales brutales, ainsi que la vente de lait pour bébés contaminé aux salmonelles, le recyclage de fromages périmés et le «mouillage» systématique du lait qui consiste à ajouter de l’eau au lait. Lactalis emploie environ 85 000 salariés dans 51 pays et atteint un chiffre d’affaires de 21,1 milliards d’euros. Créée en 1933 par André Besnier, un ancien tonnelier, l’entreprise a prospéré pendant la guerre, ce qui est lourd de signification. D’ailleurs, son siège social est à Laval, un nom assez symbolique. Lactalis refuse de déposer ses comptes annuels au greffe du tribunal de commerce, préférant payer une amende de 1 500 euros. Parmi les méthodes musclées employées par la direction, en février 1982, Le Canard Enchaîné a révélé qu’un dirigeant de la société Besnier avait envoyé dans la nuit du 7 février 1982, un «commando» de 37 anciens parachutistes armés, pour reprendre possession par la force d’un stock de 750 000 camemberts représentant 3 millions de francs (soit environ 1 million d’euros) à des grévistes dans l’usine Claudel-Roustang d’Isigny-sur-Mer. Des parachutistes armés contre des ouvriers ! Des anciens de l’armée française au service du grand capital. Voilà la pègre qui dirige l’alimentation mondiale et les méfaits de la famille Besnier sont un secret de Polichinelle.
«Scholz et Zelensky ont tout mangé»
L’Europe est gérée par une élite oligarchique qui entend imposer le libre-échange pour générer un maximum de profits en pratiquant une politique de la terre brûlée sociale. Pour attirer l’attention de la population sur ce fait, on voit des barrages filtrants organisés par les agriculteurs qui arrêtent les transporteurs internationaux et qui montrent que ceux-ci transportent des produits agricoles qui ne répondent pas aux mêmes normes qui leurs sont imposées. Les manifestants ne saccagent rien, ils veulent juste dénoncer en montrant la réalité. Parmi les exemples : des poulets congelés en 2022 venus du Brésil, des crevettes du Honduras, des tonnes d’œufs pondus par des poules en cage au Portugal, et des tonnes de poulets, d’œufs et de céréales venus d’Ukraine. C’est qu’Ursula von der Leyen, emportée par son amour immodéré pour ses amis oligarques ukrainiens, a renouvelé la suspension des droits d’importation et des quotas sur les exportations ukrainiennes vers l’UE. Sans se soucier des normes, l’Europe importe des œufs et des céréales non conformes d’Ukraine, ainsi que du poulet élevé de manière industrielle, ce qui engendre d’énormes bénéfices pour le roi ukrainien du poulet et des céréales, l’oligarque Youri Kosiuk, protégé de l’ex-président Porochenko, le roi du chocolat. Et ce qui entraîne une concurrence déloyale aux éleveurs et aux agriculteurs européens qui, eux, doivent se soumettre aux normes imposées par l’Europe.
Le milliardaire Yuriy Kosiuk possède la société MHP, enregistrée à Chypre, qui exporte dans soixante-dix pays. A son capital, on trouve des fonds d’investissement américain (Kopernik Global Investor), britannique (Heptagon Capital), norvégien (Norges Bank Investment Management), mais aussi français, avec BNP Asset Management. Des représentants de villages situés dans la région de Vinnytsia, dans l’ouest de l’Ukraine, ont dénoncé auprès de la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) qu’ils étaient témoins de pollutions, d’odeurs nauséabondes et de l’épuisement des ressources en eau, liés aux activités de Vinnytsia Poultry Farm, une usine du groupe MHP. L’Europe qui prône la diminution des gaz à effet de serre et qui a imposé des normes draconiennes aux agriculteurs, notamment aux Pays-Bas, pour les mêmes raisons, ferme les yeux quand il s’agit de l’Ukraine et des copains oligarques. D’après le rapport d’Ecoaction, l’agriculture ukrainienne a été le secteur qui a enregistré la plus forte hausse d’émissions de gaz à effet de serre au cours de la dernière décennie, soit plus de 30%. Mais, là, aucune réaction. Les agriculteurs européens peuvent se suicider à cause des normes implacables en matière d’écologie qui leur sont imposées par l’UE obéissant aveuglément aux diktats du WEF (World Economic Forum) du sinistre Klaus Schwab, quelle importance pour cette oligarchie méprisante et prédatrice qui dirige la politique européenne ?
Au rayon des incohérences, on constate également l’échec de la PAC (Politique agricole commune), qui a été créée soi-disant pour que l’Europe soit auto-suffisante en matière de production agricole, alors que cette même Europe importe, comme on l’a vu, des produits agricoles de pays extra-européens, comme l’Ukraine, ou encore le Maroc, lesquels ne sont pas soumis aux mêmes règles que les agriculteurs européens et qui font concurrence à ces derniers. Nous avons déjà parlé dans un précédent article de l’inondation de produits agricoles marocains sur le marché européen, produits cultivés notamment dans le territoire sahraoui occupé illégalement par le Maroc sans respecter les normes phytosanitaires de l’UE.
En conséquence, ce jeudi 1er février, les agriculteurs de nombreux pays européens ont regroupé un millier de tracteurs devant le Parlement européen, place du Luxembourg, à Bruxelles, où ils ont bombardé d’œufs le Parlement, où ils ont brûlé des ballots de paille et où ils ont tenu une conférence de presse. Les agriculteurs dénoncent les accords de libre-échange (ALE), la déréglementation des marchés, la surcharge administrative, le soutien insensé à la numérisation et aux OGM, et un manque de vision globale pour une transition vers des modèles d’agriculture plus durables. Ils se sont insurgés contre le traité du Mercosur qui prône un commerce avec l’Amérique latine, laquelle est exempte des frais de douane. Ils réclament des prix équitables pour les produits agricoles et un revenu décent, un budget suffisant et une répartition équitable des aides de la PAC pour faciliter une transition juste vers l’agro-écologie et des pratiques durables. Ce que les agriculteurs veulent, c’est fournir une alimentation de haute qualité telle qu’ils peuvent la produire, à un prix abordable pour tous, et qui provient du territoire national. Par rapport au reste du monde, ils produisent avec des normes supérieures, que ce soit au niveau sanitaire ou de protection du consommateur. A propos de la concurrence avec les pays étrangers, les agriculteurs réclament que ces accords incluent des clauses miroirs, c’est-à-dire l’obligation pour les produits importés de respecter scrupuleusement les mêmes règles sanitaires, alimentaires ou environnementales que celles respectées par les agriculteurs européens.
Sachant que les agriculteurs se dirigeaient vers Bruxelles, le Parlement européen, gangrené par la corruption comme on l’a vu avec le Marocgate, Parlement censé représenter les peuples européens et qui se permet de donner des leçons de démocratie à la planète entière et notamment à l’Algérie, s’était barricadé derrière des fils de fer barbelés et des policiers par peur de ce peuple qu’il prétend représenter. Telle est l’image de la pseudo-démocratie occidentale : les députés protégés dans un Parlement transformé en bunker entouré de chevaux de frise en barbelés.
Ailleurs, en Europe, outre le blocage des principaux axes routiers, de nombreuses opérations coup de poing sont menées un peu partout avec des barrages autour des entrepôts de marchandises qui vident les rayons des supermarchés, les opérations «caddies gratuits» dans les grandes surfaces, où les agriculteurs envahissent celles-ci et permettent aux clients d’emporter la marchandise sans la payer, le déversement de lisier, les incendies de ballots de paille et de pneus, etc. En Allemagne, les rayons vides des grandes enseignes portent des panneaux disant «Scholz et Zelensky ont tout mangé». Ce slogan exprime le rejet de la classe dirigeante par les citoyens européens contestataires pour son soutien inconditionnel au gouvernement ukrainien corrompu, au détriment de leurs propres peuples plongés dans la précarité, et il symbolise la rupture totale entre les citoyens et leurs gouvernants. En France, les agriculteurs envahissent le marché de Rungis, le plus grand marché de produits agricoles au monde. Et avec ça, on va essayer de nous faire croire que le capitalisme fonctionne encore !
La précarité dans laquelle vivent les Européens ne vient pas de nulle part. La terreur sociale à laquelle se livrent les élites occidentales mène à la rébellion, voire à la révolution. Aujourd’hui, nous assistons à la naissance d’un grand mouvement de colère qui prend racine dans le terroir. Ce que l’on voit aujourd’hui sur les routes et dans les villes européennes en est le commencement. Le bras de fer continue. Les agriculteurs menacent d’amener les moissonneuses si les tracteurs ne suffisent pas. Les politiques antisociales et antidémocratiques des classes dirigeantes européennes à la botte de l’empire ont fini par provoquer un climat insurrectionnel. Le vent de la révolte qui souffle sur l’Europe en ce moment risque de se transformer en tempête qui emportera tout sur son passage.
M. A.
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