Les houris terrestres contre les houris célestes
Une contribution de Saadeddine Kouidri – Dans son roman intitulé Houris, Kamel Daoud, l’auteur, semble dire qu’il est déçu parce que la guerre de sa génération n’est pas enseignée, comme est enseignée celle de sa sœur, celle de Novembre. Son roman est comme une tentative de pallier cette grosse lacune. En attendant, n’est-il pas déjà un témoignage sur ces dix années de massacres de nos populations des plus démunies dans la majorité des cas ? C’est l’occasion de se demander pourquoi l’Etat qualifie de victoire la guerre contre le terrorisme, s’en vante à l’international, tout en privant les citoyens de cette aura à l’intérieur du pays. L’auteur ne s’empêche pas de rappeler qu’on donne un pécule de misère aux victimes survivantes de la guerre et le double aux familles des égorgeurs avant de parler de l’accueil favorable qui leur est réservé.
Oui, sauf que ceux qui ont vécu les deux guerres ne peuvent être que de ceux qui s’empêchent de suivre la trace de celui qui n’en a qu’une, et donne raison à l’auteur pour qui les gens peuvent effacer partout leurs écrits, sauf sur leur peau.
Malgré cela, il me semble qu’avec Houris il marque son retour de la longue traversée de Paris, cette capitale asséchée par le mensonge, qui tourne le dos au génocide et se désaltère en applaudissant les crimes commis à l’aide de talkies-walkies et de bipeurs. A aucun moment, il ne mentionne par solidarité peuple palestinien poursuivi par le génocide israélo-états-unien. Il adopte ce mutisme, à l’image de la majorité des intellectuels occidentaux que l’Amérique a caporalisés, lui l’intellectuel algérien. L’absence de solidarité envers les victimes du sionisme découle aussi du mensonge qui arrive à faire croire que la Russie colonise l’Europe alors qu’elle l’est depuis qu’elle a été libérée du fascisme. C’est le machiavélisme du colonisateur états-unien, le génocidaire des Amérindiens, qui fait croire aux Européens qu’ils sont non seulement libres mais qu’ils ont le devoir de l’aider à libérer l’Ukraine, dirigé par des néonazis contre la Russie pour permettre à l’OTAN une expansion au-delà de l’Oural pour cheminer vers la Chine.
Daoud dit qu’une guerre peut en cacher une autre. Oui, et on constate que son roman qui parle de l’Algérie a été édité en France et commenté sur ses plateaux de TV cache le génocide de la Palestine.
Quelques extraits du roman pour se mettre au diapason de l’auteur :
1- «C’est notre meilleur duel. Il a deviné que j’étais une victime de la guerre des années 1990, de prêches affûtés sur des meules millénaires, du paradis affolant, des houris promises, des mosquées, des couteaux, et des voix trop belles qui aiguisent les lames. Depuis quelque temps, chaque vendredi après la grande prière, on se regardait en se croisant, il baissait la tête, patient. Mes vierges rafistolées contre les siennes que personne n’a jamais vues. Voilà le match de chaque vendredi, et ce depuis des mois. Il devait se conclure par une défaite. Comprends-tu pourquoi aujourd’hui ils en sont venus à saccager mon salon ?
Mon salon Shéhérazade a accueilli toutes les femmes engagées dans cette guerre inconnue, cette authentique guerre sainte, ce jihad des sens. Le vendredi, à l’heure de la prière des hommes, c’était jour de fête, noces et brosses, parfums et belles fins… Il y a à peine deux semaines, les houris terrestres gagnèrent pour un jour ou deux contre les houris du ciel et leurs maquereaux, ma fille. Ce fut bref, rare, provisoire.
Tous les terroristes que l’on exhibait à la télévision au Journal de 20 heures expliquaient qu’ils avaient travaillé comme cuisiniers dans les maquis des tueurs.
Car oui, mon ange, les Emirs, les Princes, excellaient à brûler les enfants durant cette guerre dont personne ne peut jurer des faits aujourd’hui…
Tu sais ma fille, beaucoup de libraires sont morts assassinés pour n’avoir pas vendu des livres de cuisine durant les années 1990.
2- Les routes semblaient saines, propres et innocentes, jusqu’à ce qu’on tombe sur Eddib el-Jiâane… l’Emir Loup affamé et les siens m’ont laissé la vie sauve après le massacre des dix-neuf soldats sur la route de Biskra…
Il voulait savoir comment j’avais été arrêté, blessé, frappé et missionné par le fameux Emir Loup affamé qui m’avait intimé l’ordre divin de répéter chaque détail du massacre, à dessein de terroriser les vivants et les morts.
Un jour, on élit un nouveau président qui décida que tout devait être oublié, effacé et que l’on devait aller de l’avant, tueurs et tués. C’était comme s’il avait, dans un grand angle de la mâchoire, avalé tous les cadavres de la guerre récente, les dépouilles qui traînaient encore dans les rues et sur les routes, et qu’il avait effacé la dernière trace possible de ces crimes de dix ans. Tu sais, les petits trafiquants de haschich font ça chez nous quand ils se font arrêter : ils avalent leur marchandise.
Et depuis, la victime du terrorisme est transformée en victime de la route «Ta jambe, c’était un accident de moto d’après ce qu’on m’a dit.
1- Tu es journaliste, n’est-ce pas ? Ce que je veux te dire, ma sœur, c’est que c’est différent pour les hommes. Eux, quand ils sont sortis de la montagne après la loi de la Réconciliation, comme ils disent, on leur a offert des dattes, du lait et des pensions…Mais nous, les femmes ? On est des terroristes à vie, pour toujours. Ils ne veulent ni nous enterrer, ni nous déterrer».
La décennie cauchemardesque est la première conséquence de la montée fulgurante de l’islamisme en Algérie des années 90 qui accouche du FIS que Chadli légitime malgré l’interdiction de la Constitution. Elle est aussi le résultat du chauvinisme, de l’ignorance semée pendant 132 ans par l’occupant. Les dix années de massacres sont dues à la propagande raciste, des colonialistes, des sionistes, des royaumes arabes et de la réaction algérienne qui sont objectivement contre l’option socialiste. La haine de la Réaction intérieure a pris du tonus au lendemain de la proclamation de la Révolution agraire tandis que celle de l’étranger a mobilisé toutes ses forces contre l’Algérie après la nationalisation des hydrocarbures par Boumediene le 24 février 1971 à l’anniversaire de l’UGTA.
Les ressentiments contre l’évolution du peuple et surtout contre la gente féminine étaient entretenus à chaque prêche dans les mosquées pendant des décennies, fortifiant les relais vers le royaume jusqu’au 5e mandat de Bouteflika. Le Hirak, déclenché le vendredi 22 février 2019, a stoppé ce retour à l’ère néocoloniale. Sans plus. Il faut rappeler la parenthèse. Le Hirak a donné un souffle si puissant à la justice jusqu’à neutraliser deux Premiers ministres, des ministres et des généraux avant d’être castré officiellement par ce communiqué publié dans la presse du 26 juin 24 annonçant la mise en place d’un conseil de la fatwa à Djamaâ El-Djazair. C’est comme un poignard dans le dos de la République qui prend sa source dans le legs de la France impériale qui avait maintenu les tribunaux pour indigènes, où elle appliquait le droit musulman. Il faut rappeler qu’au lendemain de la 2e guerre, l’indigène fut élevé au rang de Français-musulman.
Si les racistes, colonialistes, sionistes… et tous les inconscients de l’enjeu politique entretiennent la confusion entre islam et l’islamisme au pouvoir dans les royaumes arabes, tout en insultant l’arabe, c’est pour protéger le royaume que le pouvoir algérien évite de nommer lui préférant le Makhzen (boutique) en ce qui concerne le Maroc. Ils préservent le royaume pour continuer à en faire un exemple d’alternative aux Républiques d’Algérie, de Syrie, de Tunisie. Ils ont échoué en Irak et dans bien d’autres pays. Je rappelle que le roi au Maroc, par exemple, est un chef religieux et a le titre de commandeur des croyants. La soumission des royaumes arabes au sionisme prouve que cette alternative mène à la trahison, à l’injustice, à l’hypocrisie, aux crimes. Qu’à cela ne tienne, le Capital propage l’islamisme pour maintenir ou ramener l’Orient à un état d’asservissement. Passer d’un projet royal à un Etat islamiste demeure toujours à la portée du dollar, ce dieu chancelant mais toujours dominant.
- Daoud, tout en affirmant que l’histoire de la guerre peut être inscrite dans la peau de celui qui la vécue et particulièrement sur celle d’une victime atteste en même temps que son héroïne en détient seule la véritable trace. Est-ce pour cela qu’il rappelle les 200 000 assassinés par les terroristes islamistes, tout en omettant de mentionner les armadas de déracinés comme lui, et qui gardent en mémoire, ne serait-ce qu’une parcelle de cette décennie, non pas d’une guerre civile comme il l’affirment lui et les médias aux mains du capital, mais d’un massacre de nos populations, pour terroriser le reste dont le but final est d’enterrer la République démocratique et populaire et instaurer un califat.
Face à ce dessein, l’Armée nationale populaire n’avait d’autre choix que d’écouter les patriotes qui lui rappellent la mission qui lui est prescrite, celle de défendre la République et neutraliser les barbus armés par des gros fortunés qui veulent avant tout privatiser la terre et en faire un royaume. Pour sa sécurité, l’Etat républicain a délégué à l’institution militaire le monopole de la violence. Face aux terroristes, il y avait donc l’Armée pour barrer le chemin aux hordes sanguinaires. A quel moment l’ancien journaliste fait-il, ne serait-ce qu’une allusion, à ce principe de sauvegarde de la nation dans son roman de 382 pages ?
L’auteur qualifie la descente d’enfer au nom du paradis, de guerre civile comme le fait la colonisation. C’est de bonne guerre pour l’ennemi qui nous livre cette autre guerre des mémoires sans discontinuité pour cafouiller notre récit national et permettre aux historiens des deux bords de faire d’une pierre deux coups. Maintenir les deux guerres dans le prolongement l’une de l’autre, ce qui n’est pas faux, sauf que le terrorisme dans leur récit n’est pas du bon côté. A leurs yeux, le terroriste islamiste est le libérateur, et la Révolution n’est rien d’autre qu’une guerre civile et, par conséquent, l’ANP et les patriotes ne peuvent être que la contre-révolution. Cette thèse n’est pas encore mûre pour un roman, le récit n’étant pas encore estampillé des deux côtés, le Président français s’y attelle. Le système politique dominant nous donne une version intermédiaire par roman interposé, pour nous y préparer. Macron fait le signe récemment qu’il ne lâche pas son récit néocolonial, en recevant le 22 septembre 2024, les dix membres de la commission chargée de la «mémoire».
Pour Daoud, la décennie sanguinaire n’est donc pas une guerre menée par l’ANP assistée de patriotes contre les hordes sauvages mais celle de victimes qui livrent la guerre à leurs bourreaux. Dans ce cas, on comprend le «qui tue qui» de l’Internationale socialiste des années 1990.
Daoud fait des militaires des victimes collatérales dans la guerre entre les houris terrestres et les houris du ciel. Sa littérature met en exergue le véritable enjeu, celui de la lutte des deux projets de société où il trébuche à force d’hésiter. Il n’est pas le seul dans ce cas, car tous ceux qui la confondent avec la lutte de classe en ont fait les frais. L’absence de débat à ce sujet a asséché la majorité des marxistes, rescapés de la décennie rouge 1990-2000.
En 1992, un ministre de la République ne disait-il pas à la Télévision nationale pourquoi ils tuent les policiers alors qu’ils ne sont pas des communistes ? En 1993, c’est un chef de gouvernement, cette fois, qui qualifiait les victimes du terrorisme de radicaux. Les antis sont à leur aise depuis l’instauration du code de la famille et de la suppression de l’option socialiste de la Constitution algérienne. J’ajoute une parenthèse qui, apparemment, n’était pas du goût de l’Armée, à l’instar de toutes les parenthèses qui est celle de Rédha Malek, nommé chef du gouvernement le 21 août 1993 et qui affirmait que la terreur devait changer de camp. Il fut destitué le 11 avril 1994.
Le général Zeroual, ministre de la Défense, a été élu à une grande majorité des voix aux élections le 16 novembre 1995 parce qu’il bénéficiait de l’aura de l’Armée et de ses victoires sur les hordes sauvages. Lui aussi semble n’être qu’une parenthèse qu’il a close en démissionnant. Ces parenthèses qu’on peut qualifier de périodes de résistance populaire face à la Réaction depuis qu’elle domine le pouvoir qualifie le royaume marocain d’assassin des Sahraouis, de Makhzen ce lieu de politique et de diplomatie ou dans le sens de magasin, même s’il date de l’ère de l’Empire Turc ou de l’ère coloniale, n’est pas péjoratif pour un roi mais une façon à la Réaction de préserver ce titre qu’elle convoite.
Quant à M. Daoud, il hésite tout simplement à prendre son parti pour demeurer un romancier comme si Sartre avec la p… respectueuse et Kateb avec Nedjma ne l’étaient pas.
Son roman met à nu toutes celles et tous ceux qui prônent le juste milieu, lui en premier. Ils sont à l’image de ceux qui prétendent que «le silence est d’or, la parole est d’argent» pour rendre inaudible l’injonction des pouvoirs qui susurrent : «Si vous voulez de l’or, vous devez vous taire ou parler après nous.» Parler et gagner de l’or est l’exception qui confirme la règle.
Israël bombarde le Liban et sa police secrète s’est servie de talkies-walkies et de bipeurs pour faire des dégâts plus spectaculaires que son armée et plaire à son chef sanguinaire. Un crime pour cacher un autre, et les médias occidentaux ne trouvent rien d’autre que d’applaudir la prouesse des James Bond sionistes et assassinent une seconde fois les victimes libanaises.
Israël et ses médias qualifiaient l’USB qui a servi à infecter l’ordinateur de la centrale nucléaire iranienne de performance technique. Elle fait de ce mensonge une propagande pour mieux protéger son agent secret ou le traître iranien qui a pu accéder au point stratégique. Ces agents sont si dangereux que le FLN du 1er Novembre 54 avait donné la priorité à leur élimination et à la neutralisation des collaborateurs et des collaborateurs potentiels avec l’ennemi, à l’instar de toute révolution qui rappelle que le communisme n’est pas un état des choses qui doit être construit, un idéal vers lequel la réalité doit se diriger. Nous appelons communisme le mouvement réel qui dépasse les conditions existantes, affirment Marx et Engels.
S. K.
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