Au marché noir
Par A. Boumezrag – Dans le ballet impitoyable des relations internationales, où la diplomatie se pare d’un vernis de civilité et d’éloquence, certaines réalités bien plus sombres se cachent derrière les sourires et les poignées de mains. Parmi ces non-dits, il est un secret qui n’en est plus vraiment un : les droits des peuples sans Etat, leurs aspirations et leur lutte pour la dignité se retrouvent bien souvent sacrifiés sur l’autel des intérêts des puissants. Deux cas, emblématiques par leur durée et leur charge symbolique, illustrent cette marchandisation cynique des droits humains : le Sahara Occidental et la Palestine.
La diplomatie, censée être l’art de préserver la paix et de protéger les valeurs universelles, est bien souvent un jeu de dupes, une chorégraphie savamment orchestrée où les belles promesses masquent la dure réalité des calculs politiques. Depuis des décennies, les peuples sahraoui et palestinien assistent, impuissants, à ce jeu de pouvoir qui fait de leurs droits un enjeu secondaire, voire un vulgaire jeton de négociation. Leurs droits fondamentaux, leur droit à l’autodétermination et leur dignité sont marchandés et négligés dans des forums où, derrière chaque discours officiel, se cache un réseau complexe d’intérêts économiques et géopolitiques.
Le peuple sahraoui, reconnu par la Cour internationale de justice comme ayant droit à l’autodétermination, est pourtant pris au piège de la géopolitique. Le territoire du Sahara Occidental, riche en ressources naturelles et stratégiquement situé, est l’objet d’un intense marchandage entre le Maroc et ses alliés. Les grandes puissances, qui prônent la démocratie et les droits humains, ont une fâcheuse tendance à fermer les yeux sur cette occupation prolongée. L’Union européenne, entre autres, continue d’exploiter les ressources naturelles de la région sous couvert d’accords commerciaux avec le Maroc, sans tenir compte du droit du peuple sahraoui. Ainsi, la cause sahraouie est étouffée sous le poids de l’économie et de la diplomatie, alors que les dirigeants internationaux se félicitent d’un statu quo qui les arrange tous.
De l’autre côté de la Méditerranée, la Palestine incarne depuis des décennies un autre exemple frappant de cette «vente» des droits humains au «marché noir» des puissants. Ici encore, l’autodétermination et les droits des Palestiniens sont régulièrement sacrifiés au profit des calculs géopolitiques et des alliances stratégiques. Les condamnations internationales de l’occupation et de la colonisation israéliennes sont légion, mais restent sans effet. L’inaction des grandes puissances, et particulièrement des Etats-Unis, face aux résolutions des Nations unies, traduit une diplomatie d’apparence, un art de l’inaction qui cache un choix cynique : tolérer l’injustice pour préserver des alliances-clés et éviter de perturber un équilibre bancaire régional mais favorable aux intérêts des puissants.
Ces deux situations montrent bien que dans l’arène internationale, les droits des peuples, lorsqu’ils deviennent gênants pour les puissants, se retrouvent discrètement relégués sur un «marché noir» diplomatique. La diplomatie de façade, le droit international et les droits de l’Homme sont, dans ces cas précis, des outils accessoires, évoluent selon les convenances et abandonnés dès qu’ils entrent en conflit avec les intérêts des nations influentes. Derrière les accords, derrière les discours, derrière les résolutions, les peuples sahraouis et palestiniens sont ainsi transformés en objets d’une diplomatie où l’éthique n’a guère sa place. Les puissants, eux, s’échangent les droits de ces peuples comme de vulgaires marchandises, les troquant, les déclassant et les balayant, selon les fluctuations de leurs besoins stratégiques.
L’appel à une diplomatie plus éthique résonne de manière urgente face à ces réalités. Les droits humains, loin d’être de simples accessoires, devraient être des lignes rouges que ni les alliances, ni les intérêts économiques ne peuvent franchiser. Les exemples du Sahara Occidental et de la Palestine ne sont pas des cas isolés, mais bien les symboles d’un monde où la diplomatie semble de plus en plus déconnectée de ses principes fondateurs. En ces temps de crises et de bouleversements, il est crucial de rappeler aux puissants que les peuples ne sont pas à vendre, et que les droits ne sont pas des biens de consommation, négociables au gré des intérêts d’un «marché noir» diplomatique.
L’art de la diplomatie devrait être celui de défendre la dignité humaine, non de la troquer. Les peuples sahraoui et palestinien sont les visages invisibles de cette hypocrisie flagrante, rappelant à chaque instant que derrière les jeux de pouvoir, ce sont des vies humaines et des droits fondamentaux qui sont en jeu.
Malgré les appels à la justice et les revendications croissantes pour une diplomatie plus intégrée, la communauté internationale continue d’adopter une posture ambivalente. Les résolutions, les déclarations et les grandes conférences s’accumulent sans que des actions concrètes et cohérentes suivent. Chaque année, des réunions internationales abordent la question de la Palestine ou du Sahara Occidental, mais la vérité est que ces rencontres aboutissent rarement à des avancées significatives. Le monde se contente de débats symboliques où les puissants s’affichent comme défenseurs des droits, mais se retirent lorsque leurs intérêts sont menacés.
Pour les peuples sahraoui et palestinien, ces décisions n’ont rien d’abstrait : chaque compromis diplomatique, chaque calcul cynique a des conséquences directes. Les Sahraouis continuent de vivre sous occupation, souvent relégués aux camps de réfugiés, avec peu de perspectives de résolution. Les Palestiniens, eux, subissent l’expansion continue des colonies, la division de leurs territoires, et les restrictions imposées par l’occupation, qui impactent leur quotidien de manière profonde.
Dans ce contexte, il devient évident que la diplomatie ne protège pas les faibles, mais s’aligne, au contraire, sur les rapports de force établis. Elle devient l’arène d’une «diplomatie des puissants», où les droits des peuples deviennent des enjeux secondaires, manipulés et redéfinis pour servir des intérêts géopolitiques dominants. La question de l’autodétermination pour les Palestiniens ou les Sahraouis pourrait théoriquement s’appuyer sur le droit international, mais ce même droit est aujourd’hui contourné, déformé et même ignoré lorsque les grandes puissances jugent plus avantageuses de ne pas intervenir.
A ce titre, l’indifférence des grandes puissances face aux droits des peuples de ces régions est symptomatique d’une diplomatie mondiale qui accepte tacitement de figer certains conflits dans le temps pour préserver un certain équilibre économique ou militaire. C’est ce statu quo pernicieux qui permet aux acteurs dominants de préserver leurs intérêts, même au prix d’une déshumanisation flagrante des populations concernées.
Cette politique étrangère, souvent masquée derrière des discours éloquents et des déclarations en faveur de la paix, illustre une réalité : pour les gouvernements, les valeurs éthiques s’effacent souvent devant le pragmatisme. Cela explique pourquoi les revendications du Sahara Occidental et de la Palestine, pourtant soutenues par des décennies de mobilisation internationale, n’obtiennent que des réponses sporadiques, ponctuelles, et rarement suivies d’actes. Chaque traité, chaque déclaration de soutien s’accompagne de clauses, de sous-entendus ou de contraintes qui, in fine, assurent que rien ne change vraiment.
A travers les exemples de ces deux territoires, la diplomatie mondiale démontre ainsi ses propres faiblesses et contradictions. Les intérêts économiques, les alliances militaires, les partenariats commerciaux sont autant de forces qui vident la diplomatie de son potentiel transformateur, la rendant au contraire complice des injustices qu’elle devrait combattre. Dans un monde où les droits des peuples deviennent de simples variables d’ajustement, il est urgent de rappeler que la diplomatie ne peut survivre que si elle repose sur une véritable éthique.
Alors que les peuples sahraoui et palestinien ne cessent de faire face à un avenir incertain, il devient essentiel de se demander si un changement est possible. L’ONU, les organisations internationales et les dirigeants mondiaux doivent, au-delà des discours, prendre des mesures qui s’inscrivent dans une diplomatie de respect des droits et de justice. Pour cela, les puissances elles-mêmes doivent revoir leurs priorités : elles doivent réapprendre que les droits des peuples ne sont pas un compromis de négociation, mais une obligation universelle.
Cette vision exige une remise en question profonde de la manière dont la diplomatie est pratiquée aujourd’hui. Elle nécessite un engagement pour des actions concrètes et courageuses, où les relations internationales cesseraient d’être un terrain de jeu pour les puissants, pour devenir un espace où chaque peuple, chaque communauté, trouve sa place et sa voix. Le défi est immense, mais nécessaire. Car si la diplomatie continue de trahir ses fondateurs animés, ce sont des générations entières de peuples oubliés qui resteront prisonnières de l’indifférence et du cynisme international.
Réaffirmer les droits des peuples sahraoui et palestinien n’est pas seulement une question de justice locale ; c’est un test pour la diplomatie mondiale et pour la capacité des grandes puissances à se montrer à la hauteur de leurs propres valeurs. Les dirigeants ont aujourd’hui le choix : soit ils continuent de vendre les droits de ces peuples au «marché noir des puissants», soit ils choisissent de redonner un sens aux valeurs qu’ils proclament défendre.
La diplomatie, véritablement pratiquée comme un art éthique, pourrait devenir un outil pour rétablir une justice longtemps différée. Elle pourrait enfin honorer les motivations de paix et de dignité qui la fondent. Pour cela, il faut cesser de voir les peuples comme des pions et recommencer à les reconnaître pour ce qu’ils sont : des individus, porteurs de droits inaliénables.
A. B.
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