Egorgeurs «modérés»
Par Mohamed El-Maadi – La France offre aujourd’hui au monde un spectacle diplomatique d’une consternante médiocrité. Le ministre Barrot, dans un numéro d’acrobatie morale qui confine au grotesque, illustre parfaitement la déliquescence d’une diplomatie française jadis respectée.
Regardez ce ballet absurde : voilà un ministre qui agite le spectre des «intentions douteuses» de l’Algérie comme un professeur condescendant sermonnant un élève, perpétuant une posture néocoloniale d’un autre âge. Mais le véritable scandale éclate à Damas, où ce même personnage n’hésite pas à serrer la main d’un représentant d’un régime dont les caves regorgent encore de cadavres. Quelle magnifique démonstration d’hypocrisie !
La France invente ainsi une nouvelle doctrine diplomatique : le terrorisme à échelle variable. Tant que vous vous contentez d’égorger votre propre peuple, vous méritez une poignée de main ministérielle et le label «modéré». Un festival d’absurdité qui ferait rire s’il ne s’agissait pas de vies humaines.
Cette distinction entre «bons» et «mauvais» bourreaux, basée sur la simple nationalité des victimes, révèle une faillite morale abyssale. Le Quai d’Orsay semble avoir troqué sa boussole éthique contre un GPS géopolitique défectueux, programmé pour naviguer entre les compromissions.
De Montoire à Damas, la boucle est bouclée. La France de 2025 renoue avec ses heures les plus sombres, non plus sous la contrainte, mais par choix, ce qui est peut-être plus grave encore. Cette poignée de main damascène restera comme le symbole d’une diplomatie en déroute, où les principes fondamentaux se dissolvent dans un opportunisme de bas étage.
Le message envoyé au monde est limpide : la France calibre désormais son indignation selon des critères géographiques. Les droits de l’Homme ? Une variable d’ajustement. La dignité humaine ? Un concept à géométrie variable. Les valeurs républicaines ? Une relique qu’on sort des cartons pour les discours du 14 Juillet.
Voir l’héritière de la patrie des droits de l’Homme se compromettre ainsi avec des «égorgeurs modérés» – qualification qui entrerait parfaitement dans le dictionnaire de l’absurde –, c’est assister en direct à l’effondrement d’une certaine idée de la France. La France de Macron se retrouve à marchander sa conscience avec des bouchers, leur décernant des brevets de modération selon qu’ils limitent leurs exactions à leur précarré.
Cette diplomatie du rachat d’indulgence version XXIe siècle n’est pas seulement pathétique, elle est suicidaire. Elle transforme la France en ce pays qui doute de ceux qui dialoguent mais dialogue avec ceux qui égorgent. Une performance qui mériterait une médaille dans la catégorie «contorsionnisme moral».
De l’extérieur, le spectacle est aussi fascinant que navrant : voir une grande nation transformer sa diplomatie en cirque ambulant, où les principes se plient comme des contorsionnistes et où la morale fait des numéros d’équilibriste, c’est assister à la fin d’une époque. La France de Barrot n’est plus celle qui éclaire le monde, mais celle qui tâtonne dans l’obscurité morale, serrant des mains ensanglantées tout en pointant du doigt des partenaires historiques.
Cette descente aux enfers diplomatique mériterait presque d’être mise en scène par Molière – si ce n’était pas si tragique.
M. E.-M.
Comment (2)