L’Algérie, Gaza et les premières nations d’Amérique : quand l’histoire refuse de se taire
Une contribution du Dr A. Boumezrag – Il semble que l’histoire a une manière un peu insistante de se rappeler à nous, même quand on préférerait l’oublier. Ou, plutôt, quand ceux qui sont au pouvoir veulent absolument effacer les pages les plus gênantes de leur livre. Le 20 janvier 2025, le président américain Donald Trump, fraîchement réinstallé à la Maison-Blanche, annonce une «opération de nettoyage» à Gaza. Dans son discours, il se félicite de l’initiative de déplacement des Palestiniens vers la Jordanie et l’Egypte, affirmant que cette opération est nécessaire pour achever le grand nettoyage ethnique. Le plan, plus cynique que jamais, consiste à déplacer une population entière pour rendre la région «plus stable». Mais cet élan de modernité géopolitique, comme si les bulldozers du pouvoir ont pu effacer une identité ou une histoire, semble avoir oublié quelques petits détails : l’histoire aime gémir, parfois, quand on tente de l’enfouir.
Algérie, la mémoire en fuite
Prenons un instant un peu de rétrospective historique. Le 5 juillet 1962, les Français ont quitté l’Algérie, sous un ciel lourd de larmes et de sang. C’est ce qu’on appelle «la valise ou le cercueil», l’ultimatum que le pouvoir colonial impose aux colons français qui avaient choisi d’implanter leur terre en Algérie. Un million de colons partis, mais derrière eux des millions d’Algériens qui ont vécu des décennies de violence coloniale et d’humiliation. Le génocide colonial n’a pas pris la forme d’un simple massacre dans les rues ; il a pris celle d’un «effacement» systématique : des populations entières déportées, déplacées et, surtout, reléguées à un silence assourdissant. La guerre d’indépendance, tout comme l’exode massif qui a suivi, ont laissé des cicatrices profondes.
Cependant, comme toujours dans ces histoires de déracinement, les racines ne se coupent pas aussi facilement. Les Algériens, comme beaucoup d’autres avant et après eux, ont résisté, se sont reconstruits et n’ont jamais arrêté de revendiquer leur place sur la terre qui les a vus naître. Le génocide, aussi tenté qu’il ait été, n’a pas produit les effets espérés par les colons : le peuple algérien est toujours là, debout.
Mais la France, malgré la libération de l’Algérie, continue de tourner la tête face à ses crimes. La question des réparations et de la reconnaissance de la souffrance algérienne reste un tabou, un problème épineux que le gouvernement français préfère ignorer, tout comme son histoire coloniale. La France, en repoussant cette mémoire, semble espérer qu’elle s’effacera avec le temps. Mais, comme le dit le philosophe Achille Mbembe, «l’histoire des peuples ne se tait pas», même quand on fait tout pour la museler.
Gaza, le retour du grand nettoyage
Revenons à Gaza. Quand Trump parle de «nettoyage», on pourrait se dire que l’histoire se répète, mais sous forme moderne : on déplace les gens, on efface les preuves et on redessine les cartes comme on retouche une vieille photo. Ce que Trump semble ignorer (ou feindre d’ignorer), c’est que, même dans l’ère de la géopolitique 2.0, les peuples ne disparaissent pas aussi facilement. La terre, les souvenirs et la culture résistent toujours. Les Palestiniens, qui ont été déplacés depuis des décennies, ne comptent pas se laisser expulser comme des figurines de cire.
Le cas de Gaza est emblématique de cette volonté de réécrire l’histoire d’une manière qui fait fi des réalités humaines et sociales. Gaza, cette prison à ciel ouvert, subit un siège quasi permanent. Chaque année, des milliers de familles sont prises au piège entre les bombardements israéliens et les restrictions imposées par l’occupant. Mais malgré les atrocités subies depuis plus de 70 ans, les Palestiniens continuent de revendiquer leur place, leur terre, leur histoire. En 2018, le Grand Retour a rassemblé des milliers de Palestiniens sur la frontière de Gaza pour revendiquer leur droit au retour dans les villages dont ils ont été chassés lors de la Nakba de 1948. Ce droit, reconnu par l’ONU, n’a jamais été respecté. Mais l’histoire de la résistance palestinienne, de cette mémoire vivante, est encore là, défiant les tentatives de nettoyage.
Car voici la vérité cachée derrière les belles paroles des dirigeants : détruire pour reconstruire n’est qu’un mirage. Il est facile d’acheter des terrains, d’effacer des cartes et de restructurer des sociétés comme on réorganise des bureaux. Mais les populations déplacées, même dans l’humiliation, n’oublient jamais leurs racines. Les Indiens d’Amérique en savent quelque chose. Ils ont été chassés de leurs terres, déplacés dans des réserves, mais ils sont toujours là, parlant leur langue, pratiquant leur culture et réclamant leur dignité, loin de la vision de l’Amérique triomphante qui pensait les avoir effacés. Même le grand déracinement ne peut pas anéantir cette force tranquille et persistante qu’est la mémoire collective.
Trump, l’illusion du changement
Et pourtant, Trump et ses semblables continuent de croire que la géopolitique, c’est un peu comme un jeu vidéo : on déplace les pions à la carte, et hop, on change l’ordre des choses. Mais, si le passé nous a appris quelque chose, c’est que ces tentatives d’effacement sont vouées à l’échec. Les peuples déplacés ne disparaissent pas. Ils vivent et se battent, s’adaptent et se relèvent. L’histoire, elle, refuse de se taire, même si on la met en sourdine.
Les Palestiniens, à travers les générations, ont résisté à l’exil, aux camps de réfugiés et à l’occupation. En 1948, près de 800 000 Palestiniens ont été chassés de leurs maisons lors de la Nakba, le «grand cataclysme». Ils se sont retrouvés dans des camps en Jordanie, au Liban, en Syrie. Mais ces exilés ne sont pas partis en silence : leurs histoires, leurs souvenirs ont traversé les frontières et les océans. Le droit au retour des réfugiés palestiniens est devenu un pilier central de la résistance palestinienne. Ce n’est pas un simple retour à une terre géographique ; c’est un retour à une histoire. Gaza, aujourd’hui, est un symbole de la résilience de ce peuple. Un symbole du refus de l’effacement.
Une histoire en marche
Gaza, l’Algérie, l’Amérique. Ces histoires qui se croisent, se répondent et se répètent ne cessent de nous rappeler une vérité simple : la mémoire d’un peuple ne se détruit pas. Elle s’écrit dans les luttes, dans les déplacements, dans les exils. Et tant que cette mémoire demeure, l’histoire, elle, refuse de se taire. Trump a beau parler de nettoyage, la résistance reste le véritable levier du monde. Les peuples ne s’effacent pas, ils continuent d’écrire leur histoire, une page après l’autre, malgré les tentatives pour les effacer. Parce qu’une terre ne se vend pas, un peuple ne disparaît pas. Il résiste, il se relève et il continue de lutter.
Gaza et la résistance contemporaine
Le cas de Gaza résonne aujourd’hui de manière presque identique à celui de l’Algérie de l’époque coloniale ou de celui des peuples indigènes aux Etats-Unis. La déracination physique et symbolique à laquelle sont confrontés les Palestiniens, et plus particulièrement les habitants de Gaza, illustre cette dynamique où l’histoire tente d’être effacée par la force militaire, mais aussi par des politiques de déplacement et d’exil. L’occupation israélienne et les tentatives de Trump de «réorganiser» la région ne sont pas sans rappeler les déracinements forcés et les tentatives d’effacement des peuples que l’on a mentionnés au XXe siècle.
Dans cette logique, le projet de Trump à Gaza représente la tentation récurrente de faire disparaître une histoire à travers des stratégies de déplacement et de restructuration géopolitique, en imposant des frontières qui ne respectent pas le compte des identités culturelles et historiques des peuples. Le Palestinien, tout comme le peuple algérien avant lui, est conscient de la valeur de sa mémoire, une mémoire qui est intransigeante et qui se nourrit des souffrances passées pour ne pas se laisser effacer.
La résistance à l’oubli : le grand retour de la mémoire
Il y a une constance dans la manière dont les peuples ont résisté au long des siècles. Que ce soit à Gaza, en Algérie ou parmi les premières nations d’Amérique, l’histoire nous enseigne que, malgré les efforts de destruction, de déplacement et de répression, les peuples déracinés ne se sont jamais totalement effacés. Leur mémoire collective a été le ferment de leur résilience.
Le droit au retour des réfugiés palestiniens ne représente pas simplement un retour physique à une terre géographique ; c’est avant tout un retour à une mémoire, à une histoire partagée, qui leur appartient en propre. Et ce droit est une réaffirmation de leur identité face à ceux qui voudraient leur faire perdre tout lien avec leur passé.
Les peuples déplacés ont toujours un dernier bastion : leur histoire. Et c’est cette histoire qui les protège, les nourrit et leur permet de se relever, même après les pires épreuves.
La mémoire, un combat sans fin
Que ce soit à Gaza, en Algérie ou parmi les peuples indigènes, l’histoire continue de jouer un rôle déterminant. Elle est à la fois une charge et une force vitale pour ces peuples, qui refusent de se soumettre à l’oubli, au déplacement, à l’effacement de leur identité. Comme l’écrivait Albert Camus, «chaque peuple à son histoire. Ils n’ont pas le droit de la perdre.» Cette lutte pour garder la mémoire vivante face à la violence et à l’oppression n’est pas un combat du passé, mais un combat du présent. L’histoire refuse de se taire, et tant que des peuples résistent pour la faire entendre, elle ne sera jamais perdue.
Dans ce contexte, l’histoire des peuples déracinés reste le fondement de leur dignité et de leur résistance. Et si l’Occident veut continuer à réécrire l’histoire en effaçant les peuples qui lui résistent, il doit savoir qu’aucune tentative de nettoyage ethnique, de déracinement ou de répression ne pourra effacer les racines des peuples et leur mémoire. Parce qu’en fin de compte, c’est cette mémoire qui reste, là, indélébile.
A. B.
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