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Ce qui dérange

Par Anouar Macta – Il fallait les entendre, ces derniers jours. La classe politique française, relayée avec zèle par une partie des médias, pousser des cris d’orfraie devant la loi votée par l’Assemblée populaire nationale criminalisant le colonialisme français. Ton grave, mines offensées, leçons de droit et d’histoire à la pelle. La République serait soudain menacée par une loi étrangère osant juger son passé.

Ce concert d’indignation aurait pu être crédible si la France n’était pas elle-même championne toutes catégories des lois mémorielles. Quand la France légifère sur l’histoire, c’est noble. Quand l’Algérie le fait, c’est idéologique.

La France a pourtant voté une loi reconnaissant le génocide arménien, qualifié l’esclavage de crime contre l’humanité, encadré pénalement certaines interprétations historiques, et tenté à plusieurs reprises de transformer le débat historiographique en délit. Le Parlement français n’a jamais hésité à dire l’histoire, ni même à vouloir la sanctionner.

Dès lors, sur quel fondement la France prétend-elle expliquer à l’Algérie ce qu’elle peut ou ne peut pas inscrire dans son droit ? Sur quelle cohérence ? Sur quelle autorité morale ?

La loi algérienne n’a aucune portée juridique contraignante pour la France. Elle n’envoie personne devant un tribunal, ne modifie aucun traité international, n’impose aucune réparation automatique. Elle est symbolique, politique, mémorielle. Exactement comme l’ont été les lois mémorielles françaises.

Ce qui dérange n’est donc pas la loi. Ce qui dérange, c’est ce qu’elle rappelle. Car la colonisation n’a pas été une simple aventure administrative ni une œuvre humanitaire mal comprise. Elle a été un système structuré de domination, fondé sur la dépossession, la violence, l’inégalité juridique et la négation des droits fondamentaux des populations colonisées. Et cela, malgré tous les efforts de réécriture, ne disparaît pas sous prétexte de routes ou d’écoles prétendument construites pour les Algériens.

La France revendique une mémoire universelle quand elle juge les crimes des autres. Elle invoque soudain la prudence, la neutralité scientifique et la complexité du passé lorsqu’il s’agit d’elle-même.

Ce deux poids et deux mesures est au cœur du malaise actuel. Il ne s’agit pas de hiérarchiser les souffrances ni de nier les tragédies reconnues par l’histoire. Il s’agit de poser une question simple : pourquoi ce qui est présenté comme un acte de justice mémorielle lorsqu’il émane du Parlement français deviendrait-il une dérive lorsqu’un pays et un peuple qui ont souffert de la colonisation s’en emparent ?

A force de vouloir faire la leçon au monde entier sur les droits de l’Homme, la France découvre qu’elle supporte mal d’être soumise au même exercice. Non parce que cette loi serait dangereuse, mais parce qu’elle rappelle une évidence : on ne choisit pas à la carte les pages de l’histoire que l’on accepte de voir jugées.

La France ferait donc mieux de commencer par être logique avec elle-même. A dénoncer chez les autres ce qu’elle pratique chez elle, elle transforme un débat mémoriel en démonstration d’hypocrisie politique.

A. M.

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