Le big bang économique et politique de l’Algérie
Par Ahcène Moussi* – En Algérie, on continue à rêver et à vivre du vent, des promesses, des rumeurs, de la spéculation, de la petite politique et du désordre économique, au moment où beaucoup de pays semblent avoir trouvé les voies et moyens pour créer de la richesse, augmenter la productivité et assurer un niveau de vie des plus satisfaisants. Combien de fois nos pouvoirs publics avaient promis d’être au rendez-vous de la croissance économique et de l’amélioration des conditions vie des citoyens. Pourtant, pour ne citer que l’exemple du marché de travail, depuis 2014, l’Algérie affiche la pire performance en matière de création d’emplois. L’emploi à l’échelle nationale a malheureusement régressé à un rythme relativement plus rapide, ces cinq dernières années notamment.
Passons cet élément (le chômage) bien que révélateur d’une crise aiguë et posons-nous la question de savoir pourquoi, subitement, autant de grèves, de manifestations et de désordre ; pourquoi les pouvoirs publics répondent à ces protestataires par des déploiements de centaines, voire de milliers d’agents de police, recourant souvent à la force, le bâton en guise de réponse à ces multiples revendications pourtant légitimes.
Nous comprenons parfaitement que la solution la moins mauvaise, à toutes ces manifestations populaires, est conditionnée par la combinaison de la volonté du pouvoir à s’ouvrir au dialogue, pour discuter et trouver ensemble les meilleures réponses et, naturellement, la disponibilité des moyens financiers à même de prendre en charge les coûts de toutes les exigences et des extras qui gravitent autour. En définitive, ni le dialogue tant attendu ni les finances ne sont malheureusement au rendez-vous. S’agissant du dialogue, les gouvernants semblent intransigeants, puisque cette perspective de discussion avec les manifestants et les syndicats s’éloigne de plus en plus. Il faut reconnaître aussi l’incapacité du pouvoir à convaincre. Il est sans aucun doute à court d’arguments convaincants et d’alternatives crédibles. Pourtant, il est bel et bien conscient de la gravité de la situation et du risque de voir les conflits déraper ou prendre des proportions alarmantes.
La manœuvre du pouvoir ne semble donc pas habile car, ce faisant, elle pousse la société civile à l’exaspération et à la colère. Il y a aussi les finances qui font défaut aujourd’hui. Rappelons-nous l’intervention du ministre de l’Intérieur, lors de sa rencontre avec les walis, à Constantine : «Les réserves pétrolières sont épuisées, il n’y a plus d’argent.» Mais posons-nous la question de savoir qui est responsable et pourquoi cet échec. Oui, il s’agit bien d’un échec pour un pays qui exportait du pétrole et du gaz, qui n’avait aucune dette à rembourser au cours des douze dernières années, qui a un potentiel jeunesse extraordinaire, qui a été déjà secoué par une crise pétrolière sans pareille et qui avait les capacités et une marge de manœuvre jamais égalées pour diversifier ses investissements.
La leçon de 1994, lorsque le FMI nous a imposé son diktat, n’a pas été retenue. Nos dirigeants ont tourné le dos aux choses sérieuses ; ils dépensaient sans compter et sans être comptables de leurs actions, tant et aussi longtemps que le pétrole se vendait à plus de 100 dollars le baril.
Ce n’est ni la main étrangère qui est responsable de notre malheur, ni la main intérieure, ni le Mossad, ni encore Moussa Hadj. Ce sont tout simplement ces hautes personnalités de chez nous, censées nous guider, nous sécuriser, nous former et informer, nous faciliter la vie… qui en sont les artisans de cet échec. Nous récoltons aujourd’hui ce que ces gouvernants ont semé pendant un peu plus d’une décennie. Et voilà que nous n’exportons que des hydrocarbures, rien que des hydrocarbures et toujours des hydrocarbures ; alors que nous importons tout ce que grand Dieu a bien voulu offrir à l’humanité.
Pour ceux qui aiment les chiffres, globalement, nous exportons pour un peu plus de 30 milliards de dollars et nous importons jusqu’à 42 milliards de dollars annuellement. L’écart est tout de même significatif et la situation se complique davantage quand on sait que le coffre de régulation des recettes a été vidé avant 2017 et que notre seule bouffée d’oxygène, qui reste quelque peu salvatrice, à savoir «les réserves de change», va rapidement s’évaporer face aux grands besoins du pays, puisqu’on jure de ne disposer que de 90 milliards de dollars aujourd’hui.
Pour en finir avec les chiffres, j’aimerais dire combien il est incroyable et ridicule en même temps de constater la création d’à peine l’équivalent de 300 milliards de dollars d’infrastructures, sur une dépense de plus de 800 milliards de dollars au plan national. L’écart, là aussi, est inimaginable ! La mise en poche sous la table, les pots-de-vin, la surfacturation, les méchouis et l’achat de la paix sociale pour des intérêts inavoués ont été privilégiés dans cette lourde dépense. Elle aurait pu (cette dépense), si utilisée honnêtement et à bon escient, donner la chance aux Algériens de mener un train de vie semblable à celui de la Suède ou de la Norvège aujourd’hui.
Ce sont, à juste titre, ces mauvaises conditions de vie dans notre pays, cette injustice, cette hogra, ces deux poids deux mesures et cette fixation sur les meilleures conditions de vie à l’étranger qui incitent nos jeunes à quitter le sol natal au risque de leur vie.
L’incertitude règne sur l’avenir de l’Algérie. Il est urgent que tout cela cesse, que chaque dirigeant fasse son mea-culpa, que la bonne gouvernance démocratique s’installe solidement et que le pays s’ouvre aux débats porteurs, et surtout remis véritablement et totalement à ses enfants. Que nos dirigeants arrêtent leur blabla stérile. Qu’ils permettent l’alternance au pouvoir et donner ainsi la chance à ceux qui peuvent susciter le vrai big bang économique et politique de l’Algérie. Il est surtout grand temps de sortir l’Algérie du tout-pétrole, du tout-mensonge et du tout-blabla, faute de quoi l’avenir des générations futures sera compromis.
A. M.
- Economiste et président de MMC Canada
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