Elections américaines 2012 : les vrais enjeux
Obama réussira-t-il à conserver son poste de thuriféraire au sommet du crétinisme parlementaire ; ou alors, Mitt Romney, le multimillionnaire, parviendra-t-il à mobiliser suffisamment de lumpen-prolétaires urbains et de petits «gentlemen farmers» du Middle West, à embrigader suffisamment de «preachers» du Middle Bible et d’évêques catholiques de la côte Est, à recruter assez de militants du KKK du Middle South et tout autant de petits bourgeois désœuvrés de la côte Ouest, à enguirlander assez de retraités de la Floride pour décrocher la palme et le privilège de les grever d’impôts tous ces péquenots, au profit des milliardaires planqués qui refusent de «payer à même leurs profits» ?
Nonobstant le premier ou le deuxième débat télévisé, celui qui vous dira qu’il le sait déjà vous mentira. L’impérialisme américain est désemparé et il se cherche un cheval de Troie à faire avaler à la mouvance américaine des petites gens de souche étatsuniennes prêt à dilapider leurs économies pour le salut de la patrie et de la «race des Titans» qui ont dominé la planète depuis cent ans.
WASP – le peuple élu ?
La présente élection présidentielle se situe juste au moment charnière entre la descente aux enfers de cet empire décadent et la lente montée en puissance de son concurrent – «chinois» diront les exégètes de l’église du Saint-nom de Mormon, prête à lancer le peuple américain à la conquête de terres étrangères, usurpées à l’hégémonie du peuple élu. En effet, les WASP étatsuniens laissent braire les sionistes-israéliens mais ils n’en pensent pas moins que ce sont eux les white anglo-saxon protestants qui constituent le peuple élu selon la doxa américaine de la nouvelle frontière et du destin manifeste.
Qu’est-ce que Mitt Romney pourrait proposer en soutien à cette destinée ? Rien, lui-même a placé ses deniers dans les pays d’Asie, paradis des profits, et il a déjà oublié les employés de la Silicone Vallée congédiés. Et que pourrait répliquer Obama «le nègre de service» chargé de mystifier les bureaucrates syndicaux et les bobos désemparés ? Rien, sinon qu’il leur paiera des indemnités de congédiement consistants. On ne fait pas pousser la plus-value et les profits indus dans un désert de prolétaires.
C’est exactement la conjoncture dans laquelle s’inscrit la présente élection présidentielle américaine. L’un des deux pugilats sortira vainqueur de l’affrontement et de la lutte qui s’ensuivra. Pourquoi ? Parce qu’il ne reste plus aucune marge de manœuvre pour la petite et la moyenne bourgeoisie ni pour le grand capital monopoliste. Et les traditionnels soporifiques ecclésiastiques, religieux, terroristes, libertaires, pseudo gauche républicaine laïc et opportuniste ne parviennent plus à faire taire la grogne populaire.
Un peuple contrit enseveli sous un déluge de drogue et de prostitution !
La République des États-Unis d’Amérique est au bord de l’effondrement. Une population de 310 millions d’habitants dont possiblement dix millions d’immigrants, illégaux, non enregistrés officiellement, errant de ci de là à la recherche de petits emplois et de la Terre promise qui n’existe pas. Des dizaines de millions de pauvres (13% de la population) sans services sociaux, sans services de santé, sans médicaments – affamés – vivant itinérant d’une poubelle à une ben de vidange. Ils n’ont plus rien à attendre, comme les déshérités des pays émergents, sauf qu’aux USA ils vivent à l’ombre des buildings rutilants et des promos du prochain « soap télévisé » exhibant les éphémères bêtes de cirques de l’Occident décadent.
Sur les avenues et les boulevards des milliers de meurtriers, «pushers» ou drogués en manque de leur dose de la journée, côtoient des millions de petits criminels « sans foi ni loi» emprisonnés puis relâchés en pleine mégalopole sur le point d’éclater, frayant avec des milliers de mafieux dangereux, sans aucun sentiment d’appartenance si ce n’est à leur famille de manigance – tondant allègrement des millions d’indigents ou de simples passants – alors que des tenanciers de tripots, de casinos, de maisons closes exploitent des centaines de milliers de filles – chairs damnées – lui laissant croire un instant qu’il est un bon amant.
L’Amérique c’est aussi quarante millions de Noirs, presque 14% des effectifs, ségrégués de façon larvée, communauté vivant en bidonville au centre-ville qui forment avec les prisonniers latinos et ceux des premières nations autochtones, 80% du contingent des prisons (2,5 millions d’incarcérés). Même si les Amérindiens ne représentent que quatre millions d’individus (1,3% de la population) ils constituent 8% des pauvres de la nation.
Les agriculteurs – gentlemen farmer du Middle West – surendettés, travaillent jour et nuit pour Mosento et Gargill et pour rembourser leurs créanciers. Les journalistes désœuvrés, disposés à se prostituer, ne trouvent aucun marché où s’exhiber. Les artistes-désenchantés sont pour la plupart paumés, sauf quelques réchappés qui concentrent entre leurs mains tous les revenus du milieu des initiés. Comme leurs banquiers, ils doivent vivre en cercle fermé sous haute protection personnelle derrière des enceintes grillagées. Ces dégénérés étalent sur les pages glacées des magazines et sur les réseaux sociaux leur vie déglinguée à des adolescents que la société civile a abandonnée à leur destinée. La petite-bourgeoise totalement assujettie et pourtant si mal lotie – aliénée, elle cogite de nouveaux paradigmes et autres flagorneries avant de s’écarter de la scène, décrédibilisée.
Le pays est en faillite
La République des États-Unis d’Amérique est au bord de la faillite. 20 000 milliards de dollars de dette souveraine, 120% du PIB national (16 trillons $), dont près de 5 000 milliards sont détenus par des étrangers (mille cent milliards par la Chine seulement). Chaque mois, la FED émet 40 milliards de dollars de «monkey money» inflationniste pour acheter les obligations gouvernementales au rendement si serré (1,6%) et au risque si élevé que personne ne souhaite en acheter. Les États-Unis flouent ainsi leurs amis et créanciers détenteurs de milliers de milliards de billets dépréciés.
Les «hedge fund» et les capitalistes financiers investissent de moins en moins en Amérique, ils préfèrent expatrier leurs capitaux – 380 milliards de dollars en 2011 – pour spéculer sur les marchés boursiers de Hong-Kong et de Tokyo, et créer des emplois dans différentes néo-colonies spoliées. Au même instant, les ploutocrates agitent le drapeau étoilé pour exciter les employés congédiés et lancer ces éclopés à la chasse aux immigrés accusés de «voler des jobs» déjà expirés.
En 2011, la fédération américaine a enregistré une croissance de 1,7% de son PIB et le déficit de sa balance de paiement a été de 558 milliards $ (3,1% du PIB), conséquence d’un déficit commercial exorbitant et récurrent. Le taux de chômage officiel frise les 8% et le taux réel frôle les 15%. Le salaire minimum varie d’un État à un autre, il voisine partout 7-8 dollars l’heure (5-6 euros), soit un revenu hebdomadaire brut de 320 $ pour 40 heures. Ce salaire de misère n’assure même pas la reproduction élargie de la force de travail ouvrière, aussi, faut-il s’étonner que la plupart des employés pauvres détiennent un second emploi pour joindre les deux bouts. Oubliez la société de consommation, en Amérique les esclaves salariés travaillent – courent au travail et dorment pour se préparer au travail.
Le déficit budgétaire américain astronomique était de 1,500 milliards $ en 2011, soit 52,8% des recettes fiscales et 9,8% du PIB. Pour combler ce déficit et retrouver l’équilibre budgétaire il faudrait hausser les impôts de 64%. Les deux factions de capitalistes monopolistes en lutte pour le contrôle de l’appareil d’État ne parviendront jamais à s’entendre sur cette solution économiquement nécessaire mais politiquement suicidaire. Ils se chamailleront donc pendant des années et provoqueront ainsi les conditions de l’insurrection – à savoir l’incapacité pour la bourgeoise de gouverner.
Lors de la crise financière des «subprimes hypothécaires pyramidales», où 2 000 milliards $ de capitaux spéculatifs se sont volatilisés en quelques semaines, pas moins de trois millions de propriétés ont été saisies, leurs occupants expulsés de leur foyer et jeté sur le pavé. Depuis, nombre de familles étatsuniennes vivent sous la tente dans les parcs et les jardins des cités ou encore ils squattent les gymnases des écoles et des lycées. Dans nombre de villes en faillite, les services municipaux sont suspendus et des quartiers entiers sont délaissés, retournés à la friche péri-urbaine et leurs habitants abandonnés à eux-mêmes. Depuis quelques années, des investisseurs chinois utilisent leurs dollars pour acquérir de l’immobilier à vil prix et ainsi se débarrasser de cette monnaie de Monopoly (35,9% des réserves de change de la Chine impérialiste).
Dans plusieurs entreprises, des organismes parapublics et des services municipaux, les prestations de retraite ne sont plus versées en entier, elles ont été réduites par les «hedge funds» grevés par de mauvais rendements spéculatifs. Bientôt, 78 millions de baby-boomers ex-employés découvriront qu’il n’y a pas assez dans leurs caisses de retraités.
Les États-Unis, ce pays de folies, consacrent plus de trois milliards $ chaque année pour les soins aux canins et autres «pets» urbains, en comparaison de restrictions constantes des aides gouvernementales destinées aux enfants déshérités. Les gens qui fréquentent les comptoirs alimentaires et les friperies vestimentaires se comptent par millions – ce sont parfois des travailleurs qui ont un emploi si mal rémunéré qu’ils doivent compter sur la charité pour se réchapper.
Cocaïne, héroïne, crack et drogues variées envahissent les lycées et les rues éventrées des cités. Pour approvisionner ce marché florissant, pas de soucis, la CIA a chassé depuis longtemps ses concurrents d’Afghanistan et détient maintenant le monopole des approvisionnements. Les FARC colombiennes étant présentement en pourparlers de «capitulation nationale» dans quelques temps les canaux d’approvisionnement en cocaïne seront entièrement rétablis.
Répression des pauvres et des malandrins
Plutôt que d’assister les pauvres et les malandrins, l’Amérique préfère les réprimés. Il y a proportionnellement plus de prisonniers aux États-Unis que dans tout autre pays. Obama (Romney en ferait tout autant) coupe les programmes sociaux et dope les budgets de l’armée. La «charia» étatsunienne va comme suit : «Pauvres et SDF vous n’aurez pas un denier et si vous tentez d’en dérober nous allons vous emprisonner.» Combien de temps cette «fatwa» contre des millions d’indignés pourra-t-elle durer ? Personne ne le sait mais les dépenses de sécurité augmentent proportionnellement à la propagation de la pauvreté. Même Warren Buffet, ce milliardaire éclairé, admet que cette folie ne pourra pas durer.
Constables des cités, shérifs des comptés, policiers des états et officiers fédéraux, FBI, CIA, NSS, militaires de la réserve et de la Garde nationale, gardes-côtes, soldat de l’armée régulière et agents de sécurité privés, il y aurait seize palliés de répression pour maintenir le couvercle sur le chaudron de l’insurrection et pourtant on a l’impression que l’autoclave social risque à tout moment d’exploser. Le budget étatsunien de la «défense» était de 698 milliards $ en 2010 et de 711 milliards $ en 2011 (41% des dépenses militaires mondiales) afin de maintenir 770 bases militaires à l’étranger si bien que les onze porte-avions de la flotte d’agression ne seront jamais remplacés car l’État américain n’en a pas les moyens. L’armée régulière compte 1,38 million de soldats et officiers en service actif, et les troupes de réserve en comptent 2,3 millions, tous prêts au sacrifice suprême pour protéger leur pays d’Al-Qaïda et du terrorisme. Le paradoxe, c’est que l’individu qu’ils devront demain exécuter sera le père, le frère ou le confrère affamé, indigné et révolté. Le gouvernement des capitalistes financiers pourra-t-il compter sur la loyauté de ces militaires compromis par la misère ?
Pour qui voter ?
La marge de manœuvre est étroite pour la petite bourgeoisie marchande d’illusion et de fausses solutions de gauche comme de droite. Ainsi, ces temps-ci, les évêques catholiques font monter leurs ouailles au créneau afin de contester le nouveau programme d’assurance santé avantageant quelque peu les ci-devant employés. C’est que l’un des plus gros employeurs du pays – l’église catholique romaine des États-Unis – devra payer les primes d’assurance maladie de ses dizaines de milliers de commis, une dépense sociale qui grugera les profits de cette vénérable institution charitable. Pour l’heure, les mosquées et les synagogues n’ont pas emboité le pas aux capitalistes en soutane.
Si l’Amérique des ouvriers ne s’est pas encore soulevée face à tant d’ignominie, c’est que depuis le McCarthysme des années cinquante et la guerre froide des années soixante, le prolétariat américain, bridé de chaînes dorées, a été abandonné, sans direction, totalement désorienté, soumis au lavage de cerveau des bureaucrates syndicaux affairistes, associés à la pègre et au monde interlope, trahi par les gauchistes et les révisionnistes, abasourdi par la propagande du maelström médiatique propriété des milliardaires que cette trêve sociale satisfaisait pleinement. Il en va aujourd’hui tout autrement.
N’en déplaise aux cassandres tiers-mondistes, tenants de la thèse des ruraux révolutionnaires des pays pauvres, encerclant les villes d’Occident choyées et dépravées, la grande insurrection mondiale ne viendra pas des pays capitalistes émergents ni des néo-colonies asservies mais des pays impérialistes d’Occident en déclin, au premier chef des ouvriers américains paupérisés. Dans ce contexte, l’élection américaine opposant la faction républicaine à la faction démocrate des capitalistes financiers de Wall Street n’est qu’une anecdote dans cette guerre d’empoigne à laquelle les ouvriers ne sont pas conviés. En attendant que les ouvriers se préparent, leur heure viendra, mais pas au bout d’un coupon de votation.
Robert Bibeau
Retraité de l’Education, Québec