L’Algérie : un modèle japonais ? Oui, mais…
Dans un article publié le 5 mars 2009 par le Quotidien d’Oran, j’écrivais : «Le chef de l'Etat se présentera à l'élection présidentielle du 9 avril 2009, gagnée d'avance comme rétorquent déjà ses détracteurs et une grande partie de la population et dont le décor est déjà planté : une Constitution sur mesure, des candidats rivaux sur mesure, une campagne électorale sur mesure, une télévision sur mesure et un budget sur mesure. Car, qui pourrait se mesurer aux moyens mis à contribution pour réaliser le vœu d'un chef d'Etat qui, au lendemain de son premier mandat, a rendu publique sa dernière volonté qui est celle de consacrer toute sa vie au service de la nation ! "Mourir en plein exercice de ma fonction sera pour moi l'ultime récompense", avait-il confié à son ami Jean-Pierre Elkabbach.»
Le 17 avril 2014 ressemble étrangement à 2009 avec plus de moyens financiers, plus de médias audiovisuels, sauf que le président-candidat, très entamé par la maladie, aphone, immobile, assis sur un fauteuil roulant, semblait beaucoup plus proche de la réalisation de sa dernière volonté confiée à Elkabbach. Mourra-t-il enfin sur le terrain ou sera-t-il destitué grâce à une avalanche de mécontentements populaires et une colère sans bornes de la vraie opposition ? Plus de deux semaines après son intronisation, la pilule reste en travers de la gorge du citoyen lambda, mais tout n’est pas encore joué diront des experts internationaux. Mais, alors, que viendrait donc faire un titre loufoque «l’Algérie, un modèle japonais» ? Et si les Algériens venaient à s'inspirer d'un pays géant comme le Japon ? Au lieu d’aller à la dérive, ils iront au sommet. Est-ce prétentieux de se poser la question de savoir d'où le Japon tient-il les secrets de sa réussite économique ? On a convenu en Occident de définir un «modèle japonais», certes très réducteur, mais très rassurant. Ainsi, le Japon, petit archipel pauvre et surpeuplé, se serait hissé aux tout premiers rangs grâce à ses seules forces économiques et culturelles. Qu’en est-il des raisons profondes de ce changement ? Sans doute, la caractéristique principale de la société japonaise actuelle est son dynamisme, sa capacité à se plier aux contraintes économiques, à s'adapter sans fléchir. C'est un atout considérable, le Japon le doit à des décennies d'efforts menés par la population tout entière. Tous se sont mobilisés, au service des «keiretsus», (pour aller vite, disons que les «keiretsus», sont l'équivalent de nos généraux, les détenteurs de l'argent frais) lesquels allaient favoriser la croissance économique du pays. Quant aux élites japonaises, elles ont compris très vite l'importance de la dimension humaine dans la réussite d'un pays et ont donc su très tôt rassembler les hommes au service d'un même objectif. Il en ressort une certaine façon de travailler ensemble, un esprit typiquement japonais, mais qu'il est possible d'adapter à la société algérienne en mal de modèle positif. En effet, même si comparaison n'est pas raison, quand on plonge dans l'histoire du Japon, on relève que les chefs militaires japonais détenaient la réalité du pouvoir, et leur autorité était déléguée en province à des gouverneurs, les daimyo. Jusqu'au XVIe siècle, plusieurs familles se partagèrent ainsi le pouvoir : les Fujiwara, les Taira et les Minamoto. Un autre point fort pourrait être aussi à la portée des Algériens : la soif des Japonais à la connaissance et au goût de la spéculation intellectuelle n'a jamais cessé de s'affirmer. Cette curiosité se traduit d'abord par un regain d'intérêt pour l'Europe et pour une ouverture au monde, loin de la suffisance dont se targue une grande partie d'Algériens, par inconscience parfois et par ignorance souvent ! Pour revenir à ce que j'appelle la démocratie économique, osons comparer l'Algérie rurale d'aujourd'hui, le grenier de la France autrefois, au Japon rural du XVIe siècle qui a su enregistrer pendant toute cette période des progrès réguliers qui se sont traduits par un accroissement des revenus, une spécialisation des cultures, une amélioration des techniques agricoles et une intégration des activités rurales dans les circuits économiques de la nation. En revanche, le secteur industriel japonais fera l'objet d'autres réformes. Quelques entreprises parmi les plus grandes et les plus puissantes seront démantelées grâce à de puissants syndicats indépendants qui permirent aux employés d’y investir. Les pratiques commerciales déloyales et les monopoles seront condamnés par la loi. De nouveaux impôts vont permettre de lutter contre les injustices sociales. Les personnes qui avaient fait fortune pendant la guerre seront lourdement imposées. Toutes ces mesures allaient permettre de lutter contre la concentration des richesses entre les mains d'une minorité. La richesse va commencer donc à être plus équitablement et démocratiquement répartie dans la population. Ces réformes sont à la base du miracle économique japonais. Toutefois, ce miracle n'a eu lieu que grâce à la conjonction de plusieurs facteurs importants. Une vraie démocratie participative, des partenaires sociaux indépendants entre autres… mais, avant tout, les Japonais, qui voulaient reconstruire leur pays, étaient disposés à se sacrifier pour y parvenir. Dire que l’Algérie est foutue, que plus rien n’est rattrapable et qu'il faut jeter l’éponge ? Pas vraiment, tout est encore possible, mais il faut retrousser les manches maintenant en commençant par le commencement : démarcher la famille Bouteflika pour aboutir à un deal qui lui permette de quitter l’Algérie «à la Ben Ali et sa famille», en promettant à Bouteflika que peu importe l’endroit où il décédera, on le fera revenir en Algérie pour lui organiser des funérailles nationales. Ainsi sera satisfait son ego hypertrophié, et ce jour-là personne ne lui disputera le centre du projecteur. En définitive, une Algérie démocratique et prospère à l’image du modèle japonais, c'est possible, mais il faut aussi «japoniser» le système en remplaçant le modèle «népotiste» par le modèle nippon. Rafraîchir, rajeunir, alterner devront être les maîtres mots d'une véritable remise en cause pour venir à bout de la dictature, de l'incompétence, de la médiocrité et de la suffisance.
Lila Haddad, Bruxelles