Ce qu’a dit feu Mohamed Abdelaziz dans son interview à Algeriepatriotique en décembre 2014
Algeriepatriotique : Des manœuvres militaires ont été effectuées dans les territoires libérés du Sahara Occidental en réponse aux gesticulations de Rabat. Est-ce les prémices d’un retour à la lutte armée après 23 ans de cessez-le-feu ?
Le président Mohamed Abdelaziz : L’armée sahraouie a effectivement mené une manœuvre militaire avec utilisation de munitions réelles dans la zone libérée du Sahara Occidental, plus exactement à Agoueinitt. Cet exercice entre dans le cadre d’activités classiques et ordinaires que l’armée sahraouie entreprend chaque fin ou début d’année pour tester l’efficacité du matériel, et le degré de préparation et le moral des troupes. Mais la manœuvre de cette année revêt un caractère particulier au vu du volume et de l’intérêt porté pour celle-ci. Je peux citer deux raisons essentielles pour cet aspect particulier. D’abord, il va de soi que l’armée sahraouie a le devoir de libérer le pays. Durant ces dernières années, nous attendions l’organisation du référendum pour l’autodétermination et la reprise des négociations.
Mais le Maroc a décidé d’interrompre le processus et mettre fin à la coopération avec les Nations unies. En novembre dernier, le roi du Maroc a prononcé un discours incendiaire et annoncé une confrontation directe avec l’organisation onusienne dont il rejette les décisions et le plan visant à organiser un référendum libre et démocratique. Aussi, ceci impose à l’armée sahraouie de se tenir prête pour parer à toute éventualité, jusques et y compris la possibilité de voir le Maroc s’aventurer à expulser la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental (Minurso) et violer l’accord de cessez-le-feu entré en vigueur unilatéralement en 1991. Nous serions, dans ce cas, obligés de nous défendre et de reprendre la lutte armée dans le cadre de la légitime défense.
Ensuite, tout le monde sait que la région de l’Afrique du Nord, et le Sahel en général, est menacée par le terrorisme et le crime organisé. Le Maroc est le premier pays producteur et exportateur de drogue, et la drogue est la principale source de financement du terrorisme et du crime organisé. Tout le monde sait aussi que la République sahraouie et le Front Polisario sont un facteur réel de stabilité, de modération et de paix dans la région depuis quarante ans. C’est ce projet pour lequel nous militons. Nous avons donc des devoirs et des responsabilités à assumer, lesquels consistent à défendre le Sahara Occidental et les zones dans lesquelles nous sommes présents contre les organisations criminelles et les groupes terroristes. Aussi préparons-nous notre armée pour qu’elle puisse être capable de faire face à ce genre de menaces.
Pensez-vous que le rapport de force est équilibré en cas de reprise des hostilités ?
La puissance du colonisateur n’est jamais comparable à celle du peuple colonisé, ni en hommes ni en matériel. Nous avons la force du droit et les Marocains ont le droit de la force. Nous avons, quant à nous, une longue expérience de la guerre qui a duré seize ans de 1975 à 1991. Nous avions, à l’époque, une armée dotée d’effectifs moins nombreux, moins expérimentée et moins bien équipée qu’aujourd’hui. Notre cause n’était pas connue sur le plan international. Pourtant, cette armée-là avait pu convaincre le gouvernement marocain – de l’aveu même du défunt Hassan II – de l’impossibilité pour le Maroc de gagner la guerre et de la nécessité de régler le conflit politiquement dans le cadre des Nations unies à travers le référendum pour l’autodétermination, lequel processus devait aboutir à des négociations parrainées par l’ONU afin de mettre en place un plan de paix.
Donc, pour répondre à votre question, le problème de l’équilibre des forces ne se pose pas. L’ennemi peut être plus fort, mais le droit et la légitimité sont de notre côté. Notre volonté est très forte et si nous menons un combat, c’est pour la vie. Nous triompherons alors comme a triomphé le peuple algérien sous la conduite du Front de libération nationale dans les années 1950 contre la plus puissante force militaire du monde, c’est-à-dire l’Otan. L’armée algérienne a vaincu grâce à son stoïcisme et le droit du peuple algérien à son indépendance a fini par défaire l’ennemi. Nous aussi sommes confortés par la justesse de notre cause. Et pour cela, nous vaincrons.
Le Maroc multiplie les obstacles entravant le processus d’organisation du référendum. Cela se traduit par le report, encore une fois, de la visite de l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, Christopher Ross, au Maroc. Pourquoi le Conseil de sécurité de l’ONU n’arrive-t-il toujours pas à contraindre le Maroc à se conformer aux lois internationales ?
Il faut dire que certaines puissances traitent le dossier du Sahara Occidental avec une certaine froideur. Je dirais même qu’elles font preuve de négligence, d’indécision, voire de démission. Le dossier sahraoui est clair : c’est une affaire de décolonisation. Le plan de paix onusien de 1991 est tout aussi clair et la Minurso a été chargée d’organiser un référendum libre et démocratique dans un délai qui ne devait pas dépasser une année. Vingt-trois ans se sont écoulés depuis et le Maroc continue de louvoyer et de tergiverser jusqu’à affirmer, maintenant, qu’il refuse carrément la tenue de ce référendum et de traiter avec le représentant du secrétaire général des Nations unies. Les choses sont désormais claires et les blocages de la partie marocaine sont flagrants.
Le Conseil de sécurité de l’ONU se devait de sanctionner le royaume du Maroc et le contraindre à appliquer l’accord qu’il a signé sous l’égide de ce même Conseil. Nous attendons avril prochain [pour prendre une décision]. Dans son dernier rapport, le secrétaire général de l’ONU a affirmé que si aucune avancée n’était enregistrée dans les négociations, le Conseil de sécurité serait appelé à aborder la question sahraouie sous un autre angle ou selon une autre approche. Quelle sera cette approche ? L’ONU imposera-t-elle des sanctions contre le Maroc ? La question sahraouie passera-t-elle de l’article VI de la Charte des Nations unies au chapitre VII qui stipule que les résolutions du Conseil de sécurité doivent être appliquées y compris par l’usage de la force ?
Quoi qu’il en soit, ce qu’il faut retenir dans cette déclaration au regard du contexte dans lequel cette idée a été incluse dans le rapport du secrétaire général de l’ONU, c’est que le Conseil de sécurité est appelé à faire preuve de plus d’intransigeance et de plus de sévérité avec le Maroc. C’est ce que nous souhaitons.
Les spécialistes du dossier sahraoui estiment que la France et l’Espagne, trouvant un intérêt avec le Maroc, empêcheraient tout progrès du processus d’autodétermination du peuple sahraoui. Peut-on connaître votre avis à ce sujet ?
Malheureusement, les gouvernements français et espagnol sont les principales causes du drame vécu par le peuple sahraoui et – je dirais même – par toute la région en raison du problème du Sahara Occidental depuis 1975. En effet, l’Espagne et la France assument l’entière responsabilité des accords de Madrid de 1975, qui ont donné lieu au retrait de l’Espagne et à la partition du Sahara Occidental. Le peuple sahraoui a subi une guerre génocidaire financée et alimentée par ces deux pays. L’armée de l’air française est même intervenue directement. Jusqu’à ce jour, l’entêtement du Maroc trouve un soutien très solide et une protection auprès des gouvernements français et espagnol, alors même que des négociations ont eu lieu et qu’un plan de paix a été mis en place où il est admis que la question du Sahara Occidental est une affaire de décolonisation et que la solution doit impérativement passer par le principe de l’autodétermination à travers un référendum libre et démocratique.
Ces deux gouvernements sont, dès lors, responsables de cette tragédie et cette situation. Après tout cela, ils ont recouru à toutes les méthodes pour faire plier le peuple sahraoui, mais ils n’ont jamais essayé une : permettre au peuple sahraoui de s’exprimer, bien que l’ONU soit présente sur le terrain et qu’elle ait tout préparé pour la tenue du référendum, y compris les listes des votants. Espérons que les gouvernements français et espagnol soient, cette fois-ci, une partie de la solution et qu’ils ne restent pas indéfiniment une partie du problème.
Des comités de soutien et de solidarité avec le peuple sahraoui s’organisent un peu partout dans le monde afin de faire pression sur les Etats pour accélérer le référendum d’autodétermination du peuple sahraoui. Pensez-vous que ces actions pourraient faire bouger les choses ?
Nous nous sommes réunis en marge de la rencontre (d’Alger, ndlr) pour envisager l’organisation d’une grande conférence internationale à Alger sous le thème «Le droit des peuples à la résistance, cas du peuple sahraoui». Ce sera la cinquième édition de cette conférence dont le nombre et la qualité des participants progressent d’année en année. Beaucoup de délégations venant des Etats-Unis, d’Europe, d’Amérique latine, d’une majorité de pays africains ainsi que du monde arabe et de l’Asie prendront part à cette conférence qui réunira des parlementaires, des journalistes, des écrivains et des militants des droits de l’Homme. Tous dénoncent la colonisation du Sahara Occidental par le Maroc et les atteintes aux droits humains commis dans les territoires occupés. Tous sont solidaires avec le peuple sahraoui.
Cette action a une valeur politique, mais aussi morale, si bien que ce large mouvement de solidarité envoie un message très fort au Maroc, aux Nations unies et à tous les Etats pour mettre fin à la dernière colonisation en Afrique. Cette conférence aura un écho extrêmement positif. Il est très difficile pour les Nations unies de ne pas prêter attention à toutes ces voix, et il est très difficile aussi pour tous ces Etats de demeurer sourds au cri de leurs propres peuples et de leurs propres sociétés civiles dans leur action de défense de la cause sahraouie. Le mouvement de solidarité international avec le peuple sahraoui se développe de jour en jour et la crédibilité du Front Polisario et de la République sahraouie et de la lutte du peuple sahraoui grandissent de même. Et cela a son impact et son importance.
L’escalade verbale des autorités marocaines contre l’Algérie ne cesse de s’intensifier depuis quelques mois. Doit-on attribuer cela au soutien indéfectible de l’Algérie pour la cause sahraouie ou alors le Makhzen cache-t-il d’autres objectifs derrière ces attaques récurrentes et ce double langage ?
Malheureusement, ces campagnes menées par le Maroc contre l’Algérie font partie, à mon sens, d’une action principale qui consiste à détourner l’attention de l’opinion publique marocaine et à lui cacher la vérité, dans un hypothétique espoir de retarder les mouvements de contestation populaires contre le régime en place. A chaque fois, le régime avertit de l’existence d’un ennemi extérieur et met en garde contre l’Algérie comme étant l’«ennemi» du Maroc pour l’occuper et le faire taire.
Nous condamnons cette politique de fuite en avant, d’autant que la véritable source de malheur pour la région en général et pour l’Algérie, la Mauritanie et le Sahara Occidental en particulier, sans oublier le sud de l’Europe, c’est bel et bien le Maroc. Le Maroc est le premier producteur de cannabis dans le monde et il est de notoriété publique que les organisations criminelles se développent autour de la vente et de l’exportation de cette drogue et de la prolifération des réseaux de trafic. C’est donc le Maroc qui empoisonne les jeunes [avec son kif] et nourrit le crime organisé dans la région. C’est aussi le Maroc qui est animé par des velléités expansionnistes dans la région, puisqu’en 1963, c’est-à-dire au lendemain de l’indépendance de l’Algérie, il a déclaré une guerre injuste contre l’Algérie en revendiquant une partie importante des territoires algériens.
C’est encore le Maroc qui n’a reconnu l’indépendance de la Mauritanie qu’en 1968, alors qu’il l’a recouvrée en 1956. Et, depuis 1975, ce même Maroc mène une guerre injuste contre le peuple sahraoui. Le Maroc est donc une source d’invasion et d’expansionnisme avec l’aide d’autres pays, évidemment.
Le Maroc mène, avec la complicité de certaines entreprises étrangères, des activités illégales – au regard du droit international – sur les ressources naturelles au Sahara Occidental, dans les domaines de la pêche et des phosphates notamment, mais aussi dans d’autres domaines. Quelles suites ont été données à la protestation et aux démarches de la RASD visant à dénoncer ce pillage ?
Nous avons exposé ce problème sur le plan international et nous avons abouti à des résultats importants. Le premier de ces résultats, c’est que le secrétaire général adjoint des Nations unies en charge des affaires juridiques a, après une profonde étude, déclaré illégale l’exploitation des ressources naturelles du Sahara Occidental par le colonisateur marocain et par d’autres parties qui coopèrent avec lui. A la lumière de ce résultat, plusieurs compagnies qui avaient conclu des accords avec le Maroc dans les domaines de la pêche, de l’extraction du phosphate et de l’exploration de minerais, se sont retirées de la zone pour se conformer aux lois internationales.
Le dossier reste ouvert et nous avons déposé une plainte auprès de tribunal de l’Union européenne à Strasbourg pour juger de la légalité ou non des accords signés entre l’Union européenne et le Maroc dans le domaine de la pêche au Sahara Occidental. Nous sommes optimistes quant au verdict final, car celui-ci ne saurait contredire les résolutions des Nations unies et le droit international. De toute façon, le combat continue. Nous avons enregistré des objectifs et le Conseil de l’ONU est appelé à considérer le cas du Sahara Occidental de la même manière qu’il a considéré celui de la Namibie. Les Nations unies avaient décidé de geler toute exploitation des ressources naturelles de la Namibie jusqu’au référendum.
Le Maroc multiplie les atteintes aux droits de l’Homme (arrestations et détentions arbitraires, pratique de la torture, mauvais traitement des détenus) dans sa répression contre les militants sahraouis. Les partenaires du royaume, comme l’Union européenne, ont-ils réagi à cette situation rapportée par de nombreux témoins et observateurs étrangers ?
Nous avons organisé, depuis le 21 mai 2005, un mouvement de protestation civile pacifique, que nous avons appelé «intifadha de l’istiqlal» (soulèvement pour l’indépendance), à travers lequel les Sahraouis revendiquent l’indépendance, la tenue du référendum, la libération des prisonniers politiques, l’arrêt des atteintes aux droits de l’Homme et le droit au rassemblement et à la protestation. La réponse du gouvernement marocain fut violente et sauvage. Il y eut des assassinats, des arrestations et des procès expéditifs. Nous comptons des dizaines de détenus politiques dans les prisons marocaines. Certains d’entre eux ont été condamnés à la réclusion à perpétuité, à l’exemple de M’barek Daoudi qui a été jugé par un tribunal militaire, en violation du droit international, puisque c’est un citoyen civil dont le seul tort est d’avoir réclamé la tenue d’un référendum pour l’autodétermination du peuple sahraoui. Il a entamé une grève de la faim depuis quarante jours et sa vie est menacée. Il a été arrêté avec cinq de ses enfants, dont certains ont passé une année en prison et d’autres y sont toujours. Rappelez-vous Guedim Izik, les pratiques horribles du régime marocain et le nombre élevé de militants qui ont été exécutés.
En tout état de cause, ces atteintes marocaines aux droits humains sont désormais flagrantes et connues de tous, en ce sens que les organisations de défense des droits de l’Homme, le département d’Etat américain, l’Union européenne et le Parlement européen ont tous émis des rapports qui recensent les atteintes aux droits de l’Homme par le Maroc au Sahara Occidental de façon claire et nette. Par conséquent, beaucoup d’Etats, dont les Etats-Unis, sont maintenant convaincus de la nécessité d’intégrer la question des droits de l’Homme dans la mission de la Minurso. Ce que le Maroc refuse malheureusement. Cette question n’a pas encore été intégrée à la mission de la Minurso pour le moment.
Ont-ils prévu des sanctions ou d’autres formes de pression contre le Maroc pour l’amener à respecter les droits de l’Homme dans les territoires sahraouis occupés ?
Comme je l’ai dit auparavant, à cause de la position de l’Espagne et de la France, ni le Conseil de sécurité ni le secrétariat général des Nations unies n’ont réussi à imposer des sanctions contre le Maroc.
Les choses vont-elles en rester là ?
Nous attendons le mois d’avril. Nous souhaitons que le Conseil de sécurité agisse avec une certaine fermeté à l’encontre le Maroc.
Et si cela ne se réalise pas, quelle sera votre réaction ?
Nous coopérerons avec l’ONU tant qu’elle s’engage à organiser le référendum d’autodétermination et tant qu’elle exerce des pressions sur le Maroc pour qu’il avance dans cette direction. Mais vu que le Maroc adopte, depuis 2014 et notamment après le discours de Mohammed VI, une position basée sur une logique de confrontation claire vis-à-vis du peuple sahraoui, des Nations unies, du Conseil de sécurité et des organisations de défense des droits de l’Homme, nous prévoyons une exclusion par le Maroc de la Mission des Nations unies du Sahara Occidental. Cela signifierait une déclaration de guerre contre le Front Polisario et les Nations unies. Dans ce cas de figure, nous nous défendrons et reprendrons la lutte armée.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi